Débats sur le Constitution (Amendment) Bill : Première sanction qualifiée sous la Constitution à 58 et 8 absents

Gavin Glover : « Le viol conjugal deviendra une infraction dans notre prochaine loi »

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L’Assemblée nationale a voté hier, sans amendement, deux textes de loi : le Constitution (Amendment) Bill et le Criminal Code (Amendment) Bill. L’adoption de l’amendement à la Constitution nécessitait un vote de trois-quarts et le bilan a été de 58 voix en faveur et huit membres de majorité absents. Les deux membres de l’opposition, en l’occurrence Joe Lesjongard et Adrien Duval, ont préféré jouer aux abonnés absents à l’heure du vote. À l’issue des débats, l’Attorney General, Gavin Glover, est intervenu pour son Summing Up et a réaffirmé les engagements du gouvernement, notamment sur la criminalisation du viol conjugal.
« Marital rape will become an offense in our next law. We shall not shy away from this fundamental, » a-t-il promis, réitérant la volonté du gouvernement d’aller jusqu’au bout de cette réforme sociétale. Il a aussi stigmatisé avec insistance l’inaction de l’ancien gouvernement sur ces sujets, malgré les avertissements et alertes de la communauté internationale. « Faced with the inactive and downright attitude of the previous regime, we had to come up with a quick but nonetheless substantial amendment, » a-t-il dit, tout en faisant état de son intervention à Genève, en avril, devant le Comité des Nations unies contre la torture, où la réponse rapide de Maurice a été jugée satisfaisante.

En réponse aux propos du leader de l’opposition, qui avait appelé à une réforme « step by step » et à agir « cautiously », Gavin Glover a exprimé son étonnement : « Inexplicable aberration, » a-t-il lancé. Il a aussi souligné ce qu’il a vu comme de la contradiction dans le discours de Joe Lesjongard, qui, tout en craignant la création de loopholes juridiques, demandait des conditions plus strictes dans la loi : « Je suis tenté de répondre : qui dit mieux ! Madame la Présidente. »

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La position claire du gouvernement, notamment sur la redéfinition du viol et l’égalité des citoyens devant la loi, a été mise en avant. « We will look at a new definition of rape in order to ensure due protection of our citizens in this country, » a-t-il promis, indiquant que le travail législatif se poursuivra avec rigueur. Ces projets de loi marquent, selon lui, un tournant historique en posant les bases d’un droit pénal plus juste et protecteur des droits humains, au-delà des préjugés et des inerties du passé.

Présentant les dispositions du Constitution (Amendment) Bill et du Criminal Code (Amendment) Bill, l’Attorney General, Gavin Glover, affirme que ces amendements viennent soutenir la valeur démocratique que ce gouvernement veut restaurer et défendre. Ce projet de loi vise à abroger la section 7(2) de la Constitution « so as to provide that any law which authorises the infliction of any description of punishment, such as torture or inhuman or degrading treatment, will be held to be inconsistent with, or in contravention of, the Constitution ». Cet amendement tient également en ligne de compte les recommandations du comité des Nations unies contre la torture en date du 30 novembre 2017, lors de la revue du Fourth Periodic Report de Maurice.

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À cet effet, s’appuyant sur ces dernières conclusions, Gavin Glover maintient qu’aucune justification, quelle qu’elle soit, ne peut être autorisée pour défendre des actes de torture, ajoutant qu’elles ont attiré l’attention sur la nécessité que les pays membres prennent des actions légales pour renforcer l’interdiction d’actes de torture et d’éliminer tout obstacle légal empêchant l’éradication de tels actes. « Aucun Etat, sous quelconque circonstance, a une exception pour justifier la torture », dit-il.

La section (7) 2 de la Constitution comprend deux provisions, soit la première à l’effet que « no person shall be subject to torture or to inhuman (…) punishment ». Toutefois, la sous-section 2 stipule que « nothing contained in or done under the authority of any law shall be held to be inconsistent with or in contravention of this section to the extent that the law in question authorises the infliction of any description of punishment that was lawful in Mauritius on 11 March 1964 ». Ce qui crée, dit-il, une exception à la protection constitutionnelle contre les mauvais traitements. « It immunizes from challenge any law that wasn’t there before independence even if that law authorizes punishment that are unacceptable by today’s standard », poursuit-il.

Il est d’avis que cette même sous-section est souvent mal comprise, ce qui permet que de telles sanctions soient réimposées par de nouvelles lois qui resteront ensuite à l’abri du contrôle constitutionnel, à l’exemple de la punition corporelle, légale sous la loi coloniale. Dans certains pays, comme les Bahamas, dit-il, cette loi a été abrogée et réintroduite par la suite à cause de clauses de cette nature. « Le risque existe qu’un jour ces formes de punition archaïques soient réintroduites, et nous ne pouvons permettre cela », fait-il comprendre.

L’Attorney General a cité une section de l’ancien Code Napoléon montrant que l’excuse dans le cas du meurtre commis par un époux sur sa conjointe est excusable seulement pour l’homme. Il devait faire remarquer que la France a éliminé cette section depuis 1975 et que Maurice est encore à en débattre. Ce qui, pour lui, est incompatible avec les dispositions de la Constitution.

Quant à la section 242, l’Attorney General s’est demandé comment dire à la jeune génération que, dans la loi, il y a une excuse pour le féminicide. Il devait regretter que même si les Nations Unies avaient appelé urgemment à abroger cette section, rien n’a été fait par l’ancien gouvernement. Et d’ajouter que « today is but a step for many more are to come. Step by step, slowly but surely we will cross our government’s bridge to the future ».

Gavin Glover a aussi annoncé la préparation d’un Sexual Offense Bill, lequel sera présenté au Parlement le moment venu.

Navin Ramgoolam, le Premier ministre : « Des étapes cruciales vers une société plus juste »

Le Premier ministre, Navin Ramgoolam, est intervenu pour défendre le Constitution (Amendment) Bill et le Criminal Code (Amendment) Bill. Il a présenté ces réformes comme des étapes cruciales vers une société plus juste, plus moderne et respectueuse des droits humains.
« No sensible government today would call for the return of corporal punishment, such as flogging or whipping », a-t-il déclaré d’un ton ferme. Il faisait référence à l’abrogation de la Section 7.2 de la Constitution, qui permettait encore, sous certaines conditions, des peines inhumaines héritées de l’époque coloniale. « Notre Constitution est sacrée, mais ce n’est pas un musée. C’est un instrument vivant. Elle doit être mise à jour lorsque certaines de ses parties ne servent plus les valeurs que nous défendons », a-t-il ajouté.

Le Premier ministre justifie le fait que ces amendements constitutionnels sont en conformité avec le programme gouvernemental, visant à renforcer la protection des droits fondamentaux. « Chapter 2 is at the very heart of our democracy », avance-t-il. Il indique que la Section 7.1 interdit clairement la torture, mais que la section suivante – 7.2 – introduisait une exception inacceptable. « Elle ouvrait la porte à des violations graves des droits humains. Cette mentalité coloniale doit disparaître » , concède-t-il.

Navin Ramgoolam a également souligné l’importance des recommandations du Comité des Nations Unies contre la torture, qui a, à plusieurs reprises, demandé à Maurice la suppression de cette clause. « Aucune justification légale, politique ou historique ne peut permettre la torture ou les traitements inhumains », a-t-il expliqué, en exprimant son plein accord avec la démarche du gouvernement.

Au chapitre du Criminal Code (Amendment) Bill, le Premier ministre a dénoncé la persistance de certaines dispositions légales qui permettaient une défense partielle à l’homicide en cas de crime passionnel. «It legitimises violence against women under the cover of emotional reaction. It is true, Madam Speaker, that Section 242 has never been invoked in any known case here, but its presence in our law, as rightly pointed out by the Attorney General, is in itself an affront to the principle of equality », note Navin Ramgoolam indiquant que « a crime is a crime. Anger, betrayal, emotional distress — these may explain behaviour, but they do not excuse the act of actually killing. »

Il a expliqué que cette disposition repose sur des stéréotypes sexistes et archaïques, et qu’elle légitimait la violence contre les femmes sous couvert de trahison ou de perte de contrôle émotionnel. C’est une offense au principe d’égalité inscrit dans la Constitution. « No one, male or female, owns or possesses another human being », a-t-il martelé.
« Le réflexe de la violence comme réponse émotionnelle doit cesser. » Ces réformes s’inscrivent dans une volonté de moderniser le cadre légal. « Alignons nos lois avec nos engagements internationaux et nos valeurs démocratiques. Assurons-nous qu’elles reflètent les convictions de notre époque », préconise-t-il.


Paul Bérenger, Deputy Prime Minister « La définition du viol dans notre loi complètement dépassée »

D’entrée de jeu, le Deputy Prime Minister, Paul Bérenger, a dénoncé le comportement de l’opposition. Il a exprimé son indignation face à leur absence lors des débats sur ces deux projets de loi, qu’il qualifie d’historiques.
« Je crie avec indignation : au moment où l’on amende la Constitution, le leader de l’opposition fait son discours et s’en va. L’autre membre de l’opposition n’est même pas présent. Il a fini de se faire voir à la télévision, puis il s’en va  », a-t-il lancé.

Par contre, Paul Bérenger a salué le travail de l’Attorney General, Gavin Glover. « Bravo à lui. Aujourd’hui, nous amendons notre Constitution pour y inscrire l’interdiction absolue de la torture. C’est un grand jour, mais qui s’est fait trop attendre. »
Il s’est félicité de la prochaine présentation d’un projet de loi sur les infractions sexuelles. « À l’horizon se profile un nouveau Sexual Offenses and Crime Bill. Dans ce projet de loi, nous verrons apparaître une nouvelle infraction, qui n’est pas acceptée par tous, car nos préjugés sont difficiles à vaincre… Je n’ai aucun doute que l’Attorney General saura proposer une nouvelle définition du Marital Rape, car la définition du viol qui figure actuellement dans notre loi est totalement dépassée », fait-il ressortir.

Joe Lesjongard, leader de l’opposition : «  La torture ne devrait être tolérée »
Le leader de l’opposition, Joe Lesjongard, a tenu à exprimer son soutien de l’Attorney General. « Nous sommes membres de l’UN Committee Against Torture (CAT) et Maurice est engagée dans la prévention de la torture », dit-il. Il souligne que la torture, sous n’importe quelle situation, constitue « a despicable act » et ne devrait être tolérée à Maurice. Il estime donc qu’il était grand temps de débattre du féminicide dans les cas d’adultère.
Toutefois, malgré les abrogations apportées par ces deux projets de loi, le leader de l’opposition est d’avis qu’il demeure des points d’ambiguïté. « What is a lawful arrest nowaday? Is it based on a probable cause or a reasonable suspicion? » a -t-il demandé, ajoutant que « would it not have been more explicit and unambiguous to use the force as necessary and proportionate in all circumstances ».
Joe Lesjongard trouve que, depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, il y a eu une série d’arrestations, ce qui n’a pas manqué de susciter un brouhaha dans la Chambre. Il s’est demandé si la population devrait s’en inquiéter. « Is this leading us to a situation where law and justice prevails. What do we do in the case where a detainee escapes? Does it mean this person deserves to die? » Avant de dire que le recours à la Self Defence se justifie dans la loi.
Joe Lesjongard reconnaît que l’ancien gouvernement aurait peut-être dû se pencher sur cette question depuis des années, mais que cela, dit-il, ne veut pas dire que l’ancien régime ne l’a pas considéré. Il dit aussi remarquer une dégradation de la situation du Law and Order depuis le début de l’année. « La police devrait réagir afin de calmer la situation, pourvu qu’il n’y ait pas d’abus. Peut-être devrait-on considérer d’équiper les policiers de Body Cameras pour que des images puissent être utilisées comme preuves en cas de violence injustifiée », suggère-t-il.


Kushal Lobine, leader des Nouveaux Démocrates : « Another milestone to restore our democracyn»
Tout en exprimant son soutien total aux deux projets de loi et au discours de l’Attorney General, Kushal Lobine, leader des Nouveaux Démocrates, a regretté la « banalité avec laquelle le leader de l’opposition est intervenu sur un texte de de loi aussi importante ». Pour lui, ces deux projets de loi sont « another milestone to restore our democracy and are long overdue and they correct decades of legal tolerance for violence under the guise of honour ».
Le parlementaire s’est ensuite appesanti sur le fait que l’United Nations Committee Against Torture (CAT) a émis des recommandations claires à Maurice en 2017 en la pressant à abroger la section 242 du Criminal Code, qui excuse le féminicide quand l’épouse est tuée en flagrant délit d’adultère, et d’abroger la section 7 (2) de la Constitution, « qui compromet l’interdiction absolue de la torture ou des peines inhumaines ou dégradantes en préservant des lois de 1964 ». Il ajoute : « Ces lois n’ont plus leur place dans la société moderne. It confuses rage for justification and treats human lives as collateral damage to male honour. That is not law. That is licence. »
Citant des extraits de jugement, il fait remarquer que la cour a clairement déclaré : « Neither anger not jealousy reduces the blameworthiness of the crime (…) In a democratic society violence is not a means of resolving emotional conflict. » Il devait ainsi trouver que « adultery and jealousy are no longer viable excuses for killing. Parliament must now reflect this legal reality in statut ».
Comparant Maurice à d’autres pays développés, il s’est dit d’avis que le pays a du retard, mais pas trop quand même. « Maurice se rattrape. Ces projets de loi sont une manière de se rattraper. Cette réforme renforce notre engagement sous le CEDAW et le SADC Protocol sur le Gender and Development pour éliminer toute forme de violence basée sur le genre. Ces projets de loi ne font pas que mettre à jour la loi, ils restaurent la dignité de chaque personne », se félicite-t-il.


Anne Navarre Marie, ministre de la Femme : « Des amendements qui feront date »
La ministre de la Femme et du Bien-être de la famille, Anne Navarre-Marie, a rendu hommage à l’Attorney General, Gavin Glover, pour être venu aussi rapidement avec ces projets de loi, lesquels feront, selon elle, date dans l’histoire de la justice mauricienne.
S’agissant de la section 242 du Code pénal, Anne Navarre Marie a estimé que trop longtemps, elle a servi à justifier une injustice profonde, « légitimant sous le vernis de vieilles traditions des actes de violence, qui sont le reflet du déséquilibre entre l’honneur masculin et les droits inaliénables des femmes ». Elle ajoute qu’aujourd’hui, les femmes vivent un moment historique, « car nous tournons la page à des formes d’injustice envers les femmes ».
« La section 242 justifiait les féminicides dans le cas d’une femme trouvée en situation d’adultère alors que la loi doit être un rempart même contre la violence. L’abrogation de cette section veut dire que tout cas d’homicide, de coup, de blessure par un mari en cas d’adultère ne sera plus excusable. Se servir de l’adultère comme excuse pour violenter la femme n’a plus sa place aujourd’hui. La violence est des fois utilisée sous des soupçons d’infidélité. Nous mettons fin à un système patriarcal qui n’a que trop duré », dit-elle avec soulagement.
Abordant le viol conjugal, la ministre a tenu à faire ressortir : « Nous avons le devoir absolu de mettre fin à l’ambiguïté juridique concernant le viol conjugal, qui doit être peut-être pris dans le Domestic Violence Bill en cours de préparation. » Elle se réjouit par ailleurs que l’Attorney General ait annoncé qu’un Sexual Offense Bill est en préparation.

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