Dans l’interview accordée cette semaine à Le-Mauricien, Kevin Ramkaloan, Chief Executive Officer de Business Mauritius, souligne que la préoccupation principale de cette instance du secteur privé est le développement durable du pays. « Il faut continuer à développer le pays si on veut créer de l’emploi, continuer à avoir une qualité de vie et avoir une résilience envers le futur. » Il insiste également sur l’importance pour la communauté des affaires de disposer d’un cadre qui soit prévisible pour faire des affaires sans surprises. Il souhaite également que le coût de s’inscrire dans des affaires à Maurice ne devienne pas excessivement cher et ne constitue pas un frein aux investisseurs à développer de nouveaux secteurs.
Voilà six mois que le nouveau gouvernement est au pouvoir. À un mois de la présentation du budget, quel regard jetez-vous sur la situation économique ?
Le State of the Economy, qui a été présenté par le Premier ministre, Navin Ramgoolam, en décembre dernier, a été très révélateur, surtout en ce qui concerne les dépenses publiques et l’état des finances publiques. Cela signifie que, tenant compte de l’espace fiscal dont dispose le gouvernement, sa marge de manÅ“uvre est réduite. Au niveau de Business Mauritius, en tant que représentant de la communauté des affaires, notre considération principale reste le développement. Il faut continuer à développer le pays pour pouvoir créer de l’emploi, continuer à avoir une qualité de vie et une résilience vers le futur.
Ce développement doit être impérativement durable. Par conséquent, nous nous concentrons sur ce que nous pensons être vraiment les éléments clés du développement qui sont nécessaires pour pouvoir déclencher une nouvelle croissance. Parallèlement, nous devons demeurer résilients par rapport à la situation climatique dans un contexte international qui n’est certainement pas simple, qui est très peu lisible et avec beaucoup de chocs.
Ne pensez-vous pas qu’une grosse responsabilité repose sur les épaules du secteur privé à un moment où le déficit de la balance commerciale suscite beaucoup d’inquiétudes ?
Pour nous, il est très important d’assurer la compétitivité de nos activités, de nos industries, de nos secteurs majeurs. Un cadre compétitif et attractif pour être en mesure de produire afin d’exporter est une nécessité incontournable. N’oublions pas que notre marché local en lui-même est tellement petit qu’il nous faut avoir un marché d’exportation pour pouvoir développer la production locale.
La compétitivité et l’attractivité sont importantes pour continuer à investir dans de nouveaux secteurs ou à approfondir les secteurs existants. Pour nous, donc, le premier enjeu aujourd’hui est la compétitivité des exportations mauriciennes, non seulement des biens mais aussi des services. Aujourd’hui, les deux ont leur raison d’être et sont extrêmement importants.
Quels sont les obstacles à la compétitivité ?
Il y a deux enjeux majeurs sur lesquels nous devons travailler en collaboration avec le gouvernement et que nous considérons comme critiques pour assurer la compétitivité des exportations mauriciennes. Cela ne peut pas se faire que par la communauté des affaires. Le premier concerne le développement portuaire. Il faut reconnaître que depuis novembre-décembre, avec la nomination d’une nouvelle équipe au niveau des opérations portuaires, nous constatons une amélioration de la performance du port. Le port opère dans un contexte régional et international où le Shipping est une activité complexe.
Il est impératif pour nous d’avoir plus que jamais un plan de transition du port mauricien qui ne se contente pas d’une vision à court terme. Il s’agira de voir à moyen et long terme comment doter Maurice d’un port phare capable de faire du pays la Star and Key of the Indian Ocean. Cela demandera bien entendu des investissements massifs. Un bon port aidera à la compétitivité des exportations et à stabiliser les coûts de fret qui participent aux coûts globaux aussi bien de nos exportations que de nos importations. L’inflation est également liée au fret et aux activités portuaires.
Le second enjeu qui affecte la compétitivité des exportations est le climat des affaires. Cette question prend en considération le coût de faire des affaires et la facilité avec laquelle l’on s’y adonne à Maurice. Le coût des affaires a augmenté d’une façon conséquente au fil des dernières années. Nous ne parlons pas seulement du coût de la main-d’œuvre, mais également de celui des services publics, en particulier l’énergie.
Quels sont les principaux points évoqués dans le mémorandum soumis au gouvernement ?
Nous devons veiller que le coût d’entreprendre des affaires à Maurice ne devienne pas excessivement cher et ne constitue pas un frein aux investisseurs à développer de nouveaux secteurs. En fait, tous les éléments du coût doivent être considérés, notamment le coût fiscal. Nous avons aujourd’hui une tarification de base de 15%, nous avons également la CSR Levy, et également la Corporate Climate Responsibility Levy. Nous ajoutons à cela la Payroll Tax, qui est la CSG. Dans cette équation, lorsque nous parlons de consolidation fiscale, il faut s’assurer que la compétitivité de Maurice soit prise en compte.
D’autre part, quant à la « ease of doing business », nous avons longtemps parlé du Doing Business Report de la Banque mondiale. Aujourd’hui, la Ease of Doing Business est en train d’être modifiée, et la nouvelle version Business Ready est toujours au stade de version pilote. Nous devons absolument travailler ensemble, comme un pays, pour pouvoir se doter d’un climat des affaires qui soit conforme à Business Ready. Pour nous, cette fameuse Export Competitiveness est d’actualité pour notamment répondre au défi posé par le State of the Economy. Ce document préconise clairement un boost to our competitiveness.
Un autre sujet mentionné dans le State of the Economy, et qui constitue pour nous un enjeu principal, relève de la productivité d’un des facteurs de production, à savoir nos employés, à laquelle s’ajoute la prédictibilité des coûts associés. Nous voulons payer nos employés le mieux possible. Toutefois, il faut s’assurer que la productivité augmente. Pour pouvoir payer mieux, il faut être certain de l’accroissement de la productivité.
Malheureusement, l’année dernière, nous avons été confrontés à une série d’augmentations des salaires dont la Salary Compensation de 2024, la Review of Minimum Wage de 2024, et après la relativité, et finalement, le Minimum Wage de 2025. Donc, c’est énormément de coûts. Ce que nous disons aujourd’hui, c’est que pour rester compétitifs, il faut absolument que nous puissions augmenter les salaires en fonction de l’augmentation de la productivité. Dans les secteurs où il y a des Labour Intensive Jobs, il faut s’assurer qu’il y a une vraie corrélation avec la productivité.
Autre point important : que les entreprises puissent avoir une prédictibilité. Si nous nous disons que tous les cinq ans, nous allons revoir le Minimum Wage, que nous respectons ces cinq ans, et non pas les réduire à quatre ans, comme cela a été le cas l’année dernière. Nous ne pouvons pas avoir plusieurs instances d’augmentation du salaire au cours d’une année, parce que c’est impossible pour un opérateur de planifier sa stratégie d’entreprise.
Quels sont les autres sujets que vous avez évoqués ?
Dans le mémorandum que nous avons soumis au gouvernement, nous observons que la Contribution Sociale Généralisée (CSG) ne semble pas être soutenable. Il faut par conséquent parler de la consolidation fiscale. Il y aura besoin de revoir le système de pension, et de donner une plus large place aux Voluntary Contributions.
Autre sujet extrêmement important pour nous dans ce contexte actuel, c’est l’innovation. Il faut aujourd’hui avoir plus de digitalisation, être en présence de davantage de systèmes de production qui soient innovants, et aussi des secteurs innovants. Et pour nous, cela passera certainement par l’intelligence artificielle, la connectivité digitale, et la connectivité tout court. Des petites îles comme la nôtre ont besoin d’avoir toutes ces connectivités pour se développer, et ainsi faire partie du « régional » et de la chaîne de valeurs régionales et globales. Il est tellement évident que l’IA apporte une telle augmentation de productivité qu’il faut vraiment l’assimiler à tous les niveaux de notre pays, dès le système éducationnel, bien sûr dans les entreprises, mais aussi à travers le pays. Cela nous permettra d’accomplir un grand pas en avant.
La formation, l’employabilité, la présence de plus de jeunes dans le monde du travail restent toujours d’actualité. Cela demande une flexibilité accrue. Une des propositions fortes que nous avons faites en termes d’employabilité, c’est de pouvoir développer une plateforme nationale d’Internship. Cela permettra à n’importe qui à Maurice dans le système d’éducation ou qui vient peut-être même de finir son parcours académique ou Vocational Training, de demander un placement en entreprise pour une période donnée. Il est important que les jeunes puissent se rapprocher du monde productif.
Nous n’avons pas oublié le marché africain. Aujourd’hui, dans les 55 pays d’Afrique, il y a énormément de choses que Maurice peut toujours offrir. Nous sommes une plateforme qui peut aider au développement du continent. Pour cela, il y a besoin de beaucoup de convergence dans ce que nous faisons déjà . Donc, nous avons besoin de beaucoup plus de coordination public-privé pour développer une stratégie sur ce que nous voulons réaliser par secteur.
Cependant, il n’y a pas que l’Afrique. Il y a aussi tout le développement qui se fait en Asie. D’où l’importance de notre rapprochement, que ce soit avec l’Inde et d’une certaine façon avec l’Asie. Par ailleurs, la signature de notre accord de partenariat économique (EPA) avec l’Europe peut apporter de réelles innovations dans les secteurs d’avenir. À ce propos, il est essentiel que nos entreprises soient conformes aux normes ESG (Environnement, Social et Gouvernance).
Business Mauritius a participé la semaine dernière à l’organisation d’un séminaire sur la gestion côtière. Quel a été le but de cette activité ?
La résilience climatique est un sujet dans lequel nous sommes partie prenante. Il s’agit maintenant d’améliorer la réduction des risques contre les aléas. Dans ce contexte, Business Mauritius met l’accent sur le développement intégré de nos zones côtières. Cette question a été évoquée pendant une journée lors d’un séminaire organisé conjointement avec l’Union européenne et l’AFD. Il y a aujourd’hui des investissements à faire dans cette restauration des zones côtières. L’érosion côtière est un sujet qui nous concerne et est aussi un résultat de la montée des eaux.
Il y a, également, énormément d’investissements à faire dans la transition énergétique, et nous venons avec des propositions pour pouvoir développer et continuer cela. Dans notre mémorandum, nous évoquons aussi des sujets comme l’économie circulaire et l’eau qui devient critique. Lorsque nous parlons de l’eau, nous parlons aussi de la désalinisation, de la nécessité de décentraliser le traitement d’eau usée.
Pour ce qu’il s’agit d’innovation, nous voulons promouvoir l’idée des incubateurs. Nous avons aujourd’hui à Maurice sept incubateurs accrédités. Nous pouvons aller encore plus loin avec des écosystèmes tels qu’ils existent dans les pays développés.
Finalement, nous nous sommes aussi intéressés par la diaspora. Il faudra voir comment travailler ensemble pour pouvoir attirer les compétences de la diaspora ou développer des connexions avec la diaspora afin de permettre aux talents mauriciens – où qu’ils se trouvent – de contribuer au développement.
La politique tarifaire dans laquelle s’est engagée l’administration américaine donne lieu à une incertitude sur le plan mondial dont Maurice. Vos commentaires ?
En tout cas, les tarifs proposés par l’administration américaine ont été une grande surprise, un choc pour Maurice qui a été frappé d’un tarif de 40%. Bien sûr, la réciprocité même n’était pas très compréhensible pour nous, puisque c’était un Presidential Decree.
Heureusement qu’il y a eu un moratoire de 90 jours durant lequel un tarif de 10% est imposé pour permettre que des représentations soient faites auprès des autorités américaines. Nous espérons que les négociations auront lieu, et que nous parviendrons à quelque chose qui nous permettra de fonctionner. S’agissant de l’AGOA nous travaillons conjointement avec le gouvernement mais il faut attendre pour voir comment la situation évoluera.
Des critiques ont été formulées dans la presse étrangère concernant l’économie de Maurice. Pensez-vous que les autorités font suffisamment d’effort pour promouvoir l’image du pays ?
Il est très important de promouvoir notre image, il est très important de communiquer sur les opportunités, les avantages de Maurice dans tous les secteurs. L’EDB fait un bon travail et doit continuer à le faire. En tout cas, nous sommes toujours là pour le soutenir, et pour travailler avec l’État dans ce domaine. Dans le secteur touristique par exemple, nos hôtels, nos groupes hôteliers font leur promotion, et généralement il y a aussi une partie de la collaboration qui se fait avec l’État. Nous sommes sortis de la liste grise de la FATF, ce qui veut dire que Maurice est une des juridictions qui a mis en place tous les paramètres nécessaires pour ne pas être considéré comme un paradis fiscal. Il est essentiel que cette nouvelle soit connue par tous nos partenaires commerciaux.
Nous sommes une démocratie. Nous avons une histoire de transformation. Nous avons des jeunes et des talents qui sont éduqués et qui ont une capacité de s’adapter. Et c’est un pays où il fait bon vivre. Nos campagnes de promotion à l’internationale doivent prendre tout cela en considération.
Sur le plan de la gouvernance, comment est-ce que les dérives de l’ancien régime qui remontent à la surface vous interpellent ?
En tout cas, la Financial Crimes Commission en ce moment est en train d’abattre un travail phénoménal. Si nous voyons la FCC être aussi agile aujourd’hui, cela veut dire qu’elle dispose de compétences. Nous nous demandons pourquoi ces compétences n’ont pas été déployées auparavant afin de s’assurer que cela ne se passe pas et pour que nous ayons un cadre qui permette à toutes les institutions clés de fonctionner d’une façon indépendante et efficace. Cela fait partie du climat des affaires.
Business Mauritius a formulé des critiques par rapport aux amendements apportés à l’Employment Relations Act. Pouvez-vous nous en parler ?
Notre critique de l’amendement porte sur l’étendue de la liberté accordée au ministre. Nous comprenons le contexte particulier de l’année dernière marquée par les promesses faites. Mais nous avons contesté en Cour le règlement promulgué par le ministre. Nous avons, par la suite, retiré le cas logé en Cour après l’adoption d’une législation. Nous reconnaissons la primauté de la loi votée.
Notre préoccupation majeure, aujourd’hui, réside dans la nécessité d’encadrer rigoureusement la discrétion ministérielle. Bien qu’une certaine souplesse soit nécessaire à l’application des lois, une discrétion excessive nuit au climat des affaires que nous appelons de nos vÅ“ux. Nous aimons savoir quelles sont les règles du jeu et pouvoir opérer en fonction. Nous devons avoir des lois-cadres qui nous donnent tous le cadre du jeu susceptible de nous permettre plus de négociations collectives, qui est la meilleure pratique dans le monde.
Qu’attendez-vous du budget 2025-26 qui sera présenté bientôt ?
Nous reconnaissons que le budget 2025-2§ sera un exercice difficile, parce que la marge de manÅ“uvre fiscale est limitée. Nous pensons néanmoins que c’est un budget qui devra pouvoir ouvrir des espaces d’investissement, qui doit faire la part belle au climat des affaires. L’innovation doit jouer un très grand rôle. La communauté des affaires doit disposer d’un cadre qui soit prévisible pour faire des affaires à Maurice sans qu’on n’ait des surprises. Un Level Playing Field est important. Il y a des investissements qui restent néanmoins à faire dans certaines infrastructures. Nous pensons que ça va être vu comme des opportunités d’investissement public-privé.