Jazzy, de Batterie-Cassée aux USA : l’odyssée d’un saxophoniste mauricien diplômé de Berklee

par Jonathan Chaurémootoo

On dit que certains naissent avec une cuillère en or dans la bouche. Jazzy Christophe, lui, a grandi avec une embouchure en cuivre. Pas le luxe, mais le souffle. Pas les privilèges, mais le son. Et c’est ce cuivre — celui de son saxophone — qui l’a mené, à force de passion, de travail et d’humilité, jusqu’aux bancs du prestigieux Berklee College of Music à Boston, aux États-Unis. À 22 ans, le jeune saxophoniste vient de décrocher son diplôme en Music Business/Management dans l’une des meilleures écoles de musique au monde, après trois années intenses d’études, de doutes, d’émerveillements et d’innombrables heures de pratique. Une victoire personnelle, mais aussi collective, car c’est tout un quartier, toute une école de musique, toute une génération de jeunes des cités marginalisées qui se reconnaît dans son parcours. Lui-même le dit : « Je suis un fier produit de Mo’Zar. »

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Il a grandi dans une cité où les rêves se brisent souvent trop tôt. À Batterie-Cassée, quartier marginalisé de Port-Louis, le jeune Jazzy Christophe a passé son enfance à jouer avec les enfants du voisinage pendant que son grand-père vendait de la nourriture dans les profondeurs de Batterie-Cassée, qu’il surnomme ‘cité’.

C’était en 2011, Jazzy jouait ses premières notes à l’Allée des Artistes au Caudan avec José Thérèse. 14 ans plus tard, il est diplômé du Berklee College of Music

« Certains des enfants avec qui je jouais sont aujourd’hui tombés dans l’enfer de la drogue… Moi, j’ai eu la chance de trouver un autre chemin grâce à la musique et à Mo’Zar », confie-t-il avec une lucidité désarmante. Car c’est là que tout a commencé : à l’âge de 5 ans, un petit djembé offert par ses parents, des simulations de concert avec ses cousines, un saxophone aperçu lors du lancement d’un album, et la main tendue de José Thérèse, fondateur de l’atelier Mo’Zar.

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Une rencontre déterminante

« José a été la meilleure rencontre de ma vie. Mo’Zar a donné un sens à ma vie depuis que j’ai 8 ans, c’est plus qu’une école de musique. C’est une famille. Une école de la vie. Ça m’a éloigné des rues et m’a permis de rester loin des mauvaises choses, m’a donné un cadre, permis de voyager, de rêver. Je suis fier d’être un produit de cette mission. Je voulais toujours aller avec eux lorsqu’ils se produisaient sur scène et aux répétitions. J’étais même en colère quand mon papa ou mon grand-père ne pouvait pas m’emmener ! » 

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Dès l’âge de 8 ans, Jazzy ne quitte plus son saxophone. Il suit ainsi les traces de son père, trompettiste dans le groupe Mo’Zar, et de son oncle Curtis. Mais très vite, Jazzy dépasse le rêve local. À l’âge de 13 ans, il se promet de rejoindre Berklee. Une promesse faite à lui-même, alors qu’il ne savait ni comment ni avec quels moyens y parvenir. En 2018, il obtient une première bourse d’été grâce à Mo’Zar, pour suivre un stage intensif à Boston. L’expérience est un choc autant qu’une révélation : « Je me suis senti comme dans un film… tout était tellement différent de Batterie-Cassée. Les autres jeunes étaient très forts. J’ai eu peur au début de jouer devant eux. Puis je me suis dit : je vais jouer mon style. »

Perfectionniste, Jazzy confesse avoir souvent douté de lui. Il entend les sons dans sa tête, mais n’arrive pas toujours à les faire sortir comme il l’imagine. « Je suis parfois trop dur avec moi-même. Mais j’ai appris à travailler là-dessus. »

Son style, aujourd’hui, c’est un mélange de jazz — son amour premier — et de segazz, ce croisement mauricien entre le séga et le jazz. Il revendique aussi l’influence de musiciens locaux comme Philippe Thomas et Samuel Laval, mais surtout celle de Kenny Garrett, son idole de toujours, avec qui il a eu la surprise et l’honneur de parler au téléphone via un professeur de Berklee. « Je n’arrivais même pas à parler tellement j’étais ému. J’ai joué ses morceaux depuis mes 9 ans avec José. »

Un diplôme, un combat

Il vient d’obtenir son diplôme en Music Business/Management après trois années à Berklee. Une réussite acquise à force de sacrifices, de boulots sur le campus, et grâce au soutien de sponsors comme Christophe Aulner et IBL Seafoods. « Mes parents n’auraient jamais pu payer ces études seuls. Mo’Zar et ceux qui croient en leur mission m’ont porté. » 

Mais cette victoire est plus qu’un diplôme. « Je veux prouver que même quand on vient d’une cité, de ces quartiers dit « chauds », on peut réussir. Je veux casser cette image négative des jeunes des quartiers qui ne cherchent que la bagarre et se droguent. On peut tous réussir. Ça me fait plaisir de pouvoir inspirer d’autres jeunes. Lorsque je me mets un but en tête, je dois le faire. Avec Dieu, rien n’est impossible. Ça prend beaucoup de temps, de patience, de sacrifice. Ça a toujours été ainsi pour ma part. Rien n’est impossible. Tu dois continuer à croire, et continuer à bosser sans arrêt, même si cela paraît impossible d’y croire. Tu dois être dévoué dans ce que tu as envie de faire pour réussir. Chacun a sa propre définition de la réussite. La réussite ne veut pas nécessairement dire avoir de l’argent, une maison, etc., non! L’important, c’est d’atteindre son propre but. »

Jazzy travaille actuellement sur son premier album avec son groupe. Il espère l’enregistrer cet été dans les studios de Berklee. « Lors du dernier semestre, on a présenté six de mes compositions lors d’un concert qui s’est tenu après un directed study sous les conseils d’un professeur. C’était fort. Maintenant, je veux aller au bout. »

Plus tard, il rêve aussi de redonner ce qu’il a reçu. « Je veux rendre l’ascenseur, comme José l’a fait. Je veux que d’autres jeunes puissent aller encore plus loin que moi. » Pour l’heure, il joue toujours avec le saxophone de José Thérèse. Comme un symbole. Une manière de faire vivre cet héritage, de prolonger la musique au-delà des notes : comme une promesse tenue, pour lui et pour les autres.

Jazzy Christophe, « fier produit de Mo’Zar et de l’île Maurice », le jour de sa remise de diplôme à Boston

 

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