Sur 322 km de littoral, seuls 48 km sont classés comme plages publiques, soit moins de 15%, mais la notion de plage privée n’existe pas
S’il y a bien une chose sur laquelle on ne doit pas badiner avec le Mauricien, c’est sa plage. Durant la semaine, une créatrice de contenus française s’est attirée le courroux des internautes mauriciens. Elle a déclaré dans une vidéo publiée sur la plateforme TikTok qu’il existait des plages privées à Maurice. Si les propos, parfois douteux, de la jeune femme ont provoqué de vives réactions de part et d’autre, ils ont surtout mis le doigt sur un problème beaucoup plus grand quant à la gestion du littoral et qui mériterait toute notre attention, surtout celle des autorités. Avec la future reproclamation de la plage de Pomponette comme plage publique, un léger rappel des faits s’impose.
Dans le cyber espace, malheureusement, par faute d’arbitre qui se respecte, les polémiques sont nombreuses, trop nombreuses. Nous ne nous attarderons, donc, pas sur les commentaires échangés sur la plateforme de cette créatrice de contenus, qui a déclaré qu’elle porterait plainte pour cyber harcèlement… Nous nous concentrerons, cependant, sur la vraie problématique de tout cet argumentaire : les plages mauriciennes sont-elles privées ou publiques ? « Bien que la majorité du littoral soit publique, l’accès n’est pas garanti, c’est l’État qui décide de son usage. C’est ainsi que nous avons eu le cas de “déproclamation” de la plage publique de Pomponette pour un projet d’hôtel », indique l’organisation non gouvernementale (ONG) Aret Kokin Nu Laplaz (désormais Mru2025) engagée depuis des années dans la protection et la préservation du littoral. À noter que la plage de Pomponette sera bientôt reconnue plage publique, suite à une décision du Conseil des ministres, le vendredi 25 avril, conformément à l’article 2 de la Beach Authority Act.
L’ONG souligne que, selon le Pas Géométriques Act, les pas géométriques sont des « reserved lands » situés le long du littoral, mesurant au minimum 81 mètres et 21 centimètres. « Le public est, toutefois, autorisé à circuler en dessous du High Water Mark. Mais avec l’érosion et la montée des eaux, cela signifie souvent… marcher dans la mer. Ces terrains relèvent du domaine public, inaliénables et imprescriptibles, mais peuvent être loués sous forme de baux. En pratique, ces baux confèrent un droit d’occupation qui permet de restreindre l’accès. » Tel est le cas pour les groupes hôteliers ou les « campements » privés qui finalement exercent un droit de propriété, bien que temporaire, sur un terrain public qui leur a été loué. Si ces propriétaires ont, certes, le droit de jouir d’une certaine intimité sur leur propriété, il y a dans toute cette affaire une question morale qui va dans les deux sens : du côté des propriétaires ainsi que dans celui des personnes qui utilisent la plage. Dit l’adage, « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ».
« Le cadre légal actuel est clairement inadapté »
« Un détenteur de bail peut, donc, interdire tout passage au-dessus du High Water Mark. Cela pose de sérieux problèmes de sécurité, notamment là où il n’y a plus de plage et où il y a des rochers ou des falaises », souligne l’ONG. Ainsi, concrètement, les zones accessibles au public pour pique-niquer ou se détendre sont limitées aux plages publiques. Et toujours selon Mru2025, sur 322 km de littoral, seuls 48 km sont classés comme plages publiques, soit moins de 15%. « Le cadre légal actuel est clairement inadapté. » D’où le combat de plusieurs collectifs citoyens engagés dans la protection du littoral lourdement impacté par le changement climatique. Les plages que l’on connaissait il y a 20 ans ne sont plus les mêmes, dont certaines rongées par les vagues.
« La loi doit évoluer pour tenir compte du recul du trait de côte et des enjeux liés à l’érosion », affirme Mru2025. « Avec le changement climatique, ce qui était autrefois sec est désormais submergé. Il devient impossible de faire le tour de l’île par le littoral, et les conflits d’accès se multiplieront si l’État ne traite pas ces situations en profondeur.Nous connaissons tous ces conflits où des détenteurs de bail, s’appuyant sur les délimitations de leur contrat, affirment que le High Water Mark est désormais dans l’eau, et qu’il faut donc passer… dans la mer. »
Par ailleurs, en juin 2024, la Law Reform Commission a publié un Issue Paper sur la « Criminalisation of denial of access to public beaches in Mauritius ». Dans ce papier disponible dans son intégralité sur la page Facebook de l’ONG, la Commission propose des réformes sur justement l’accès public aux plages et met l’accent sur la Public Beach Access Zone, garantissant un droit de passage au public. « La Commission évoque aussi l’instauration d’un Beachgoer Ethical Conduct, et des campagnes d’éducation et de sensibilisation, un nivellement vers le haut, pour favoriser le respect mutuel entre usagers du littoral, détenteurs de baux et usagers, dans une logique de partage de l’espace respectueuse. Le littoral est un bien commun. Il faut apprendre à le partager, à en profiter dans le respect et, surtout, à le protéger face aux effets du changement climatique », affirme Mru2025.
Le respect des uns et des autres
La solution serait, donc, une cohabitation harmonieuse, un partage d’un bien commun, soit une gestion du littoral réfléchie, respectueuse et somme toute inclusive. C’est dans cette optique qu’à la veille des élections générales de l’an dernier, Mru2025 avait soumis aux candidats un manifeste proposant, entre autres, la création d’un Sentier Littoral National et une approche de retrait stratégique (managed retreat) pour restaurer les écosystèmes côtiers. « Cela implique aussi de ne pas construire sur les pas géométriques encore non bâtis, ou envisager de récupérer progressivement certains espaces pour les renaturer, au lieu de les relouer. Ce sentier permettrait aussi de corriger les discontinuités d’accès et de rétablir plus d’équité dans l’usage du littoral. Ce sentier s’ancre dans la justice sociale, la protection du territoire, et de la réappropriation collective du littoral, toujours dans le respect des uns et des autres. »
Le manifeste souligne aussi une anomalie concernant les méthodes utilisées pour recalculer ou cartographier régulièrement le High Water Mark (HWM). Il est également proposé de constituer une Autorité du Littoral pour avoir une meilleure coordination entre les différents acteurs, et d’avoir au sein de cette autorité des Gardes du Littoral. « Ces agents seraient chargés de faire appliquer les lois relatives à la protection du littoral, de surveiller l’état écologique des zones côtières et de sensibiliser le public à une gestion durable du littoral. Toute planification côtière doit désormais intégrer le recul du trait de côte, comme réalité permanente du changement climatique », dit Mru2025.
En somme, face au changement climatique, nous sommes tous égaux, que l’on soit propriétaire de campement, directeur d’un grand groupe hôtelier, créatrice de contenus ou citoyen mauricien lambda venant profiter de la plage en famille. Si des décisions audacieuses doivent être prises au niveau des autorités pour garantir une meilleure gestion du littoral mauricien qui s’effrite, il est également de notre responsabilité collective d’apprendre le vivre-ensemble et de développer davantage un esprit de partage, surtout lorsqu’il s’agit d’un bien commun, d’un ecosystème, car encore une fois, concrètement il n’existe pas de plage privée.