Saniyah Hossenboccus (National Forum for Colleges) : « Composer avec la pression académique croissante et les effets des réseaux sociaux »

Le National Forum for Colleges (NAFCO) a récemment constitué son nouveau comité de direction. Saniyah Hossenboccus a été élue présidente. Le Mauricien l’a sollicitée pour partager le point de vue de nos jeunes sur leurs principales préoccupations et enjeux. Dans la même veine, avec la commémoration, ces jours-ci, des 50 ans du 20 mai 1975 – date emblématique de notre Histoire – ces jeunes évoquent leurs quêtes et attentes. Entre manque de dialogue et d’espace d’expressions et d’écoute, Saniyah Hossenboccus et son équipe militent pour une meilleure représentation de la jeunesse mauricienne sur différents plans nationaux, afin de contribuer à “ouvrir la voie à d’autres jeunes, suivant l’exemple de ceux qui ont marqué l’Histoire, le 20 mai 1975.” Rencontre…

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Vous êtes la nouvelle présidente du NAFCO. Parlez-nous de vous…

C’est avec une immense gratitude et un profond sens de responsabilités que j’endosse ce rôle au sein du NAFCO. Depuis toujours, j’ai été passionnée par le développement et l’épanouissement des jeunes. Cette passion s’est traduite dans mon engagement en tant que Peer Counselor, où j’ai pu accompagner des jeunes à travers différents défis personnels et académiques. Je suis également auteure de recueils de poésie, un moyen d’expression qui me permet de canaliser mes émotions et de partager des messages d’espoir, de résilience et d’unité. Être élue présidente du NAFCO représente pour moi une opportunité de mettre cette passion et cette énergie au service de la jeunesse mauricienne, à une échelle plus large.

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Quelles sont les priorités/thématiques particulières qui concernent les étudiants, et sur lesquelles allez-vous vous concentrer ?

Mes priorités s’articulent autour de trois grands axes :

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La santé mentale des jeunes : qui reste encore trop souvent taboue malgré son importance cruciale :

L’inclusion et l’expression des étudiants : en créant des plateformes pour qu’ils puissent partager leurs idées, leurs talents et leurs préoccupations ;

Le leadership jeunesse : à travers des ateliers, des campagnes de sensibilisation et des projets collaboratifs avec des institutions d’éducation extérieures et des partenaires.

Quels sont les défis et obstacles que rencontrent les jeunes actuellement ?

Le manque d’écoute envers les jeunes, les inégalités d’accès aux ressources dans certains établissements, ainsi que le désengagement progressif de certains élèves face aux enjeux sociétaux représentent des défis majeurs. Il faut également composer avec la pression académique croissante, les effets des réseaux sociaux sur la confiance en soi, et parfois un manque de reconnaissance du potentiel incroyable que recèle notre génération.

Nous marquons, ces jours-ci, les 50 ans du 20 mai 1975. Qu’est-ce que cette date représente pour votre génération ?

Le 20 mai 1975 est une date symbolique qui nous rappelle que les acquis dont nous bénéficions aujourd’hui sont le fruit de luttes menées avec courage et détermination. Pour ma génération, c’est un appel à l’engagement. Nous devons honorer cet héritage en poursuivant le combat pour l’égalité, la justice et la dignité, dans nos établissements scolaires comme dans la société en général. C’est aussi un rappel que la jeunesse a toujours eu un rôle-clé à jouer dans le progrès collectif.

Avez-vous des activités spécifiques pour marquer cette commémoration ?

Oui, NAFCO participe activement aux commémorations du 20 mai 1975 organisées par le Center for Alternative Research and Studies (CARES). C’est un moment fort pour raviver la mémoire collective et rappeler aux jeunes pourquoi cette date est si importante dans l’histoire de notre pays.

À travers cette participation, nous espérons que beaucoup de jeunes comprendront mieux les luttes de nos anciens et l’héritage de résistance qu’ils nous ont laissé. Cette date nous inspire à continuer le combat pour une éducation plus juste, inclusive et connectée à notre réalité historique.

En tant que forum national des collèges, nous avons d’ailleurs soumis plusieurs propositions dans le cadre des Assises de l’Éducation. Parmi elles :

Corriger l’histoire dans nos manuels et programmes scolaires: il est temps d’y inclure des figures locales de résistance telles qu’Anna de Bengale, Ratsitatane, Anjalay Coopen, mais aussi de mieux enseigner le 20 mai 1975 et la lutte pour l’accès à l’éducation.

Renforcer l’éducation civique dans les écoles pour sensibiliser les jeunes – en particulier les garçons à l’empathie, au respect, à la tolérance, à la démocratie, à l’unité nationale et à la participation politique.

Mettre davantage d’accent sur la recherche, les débats, les sciences humaines et les projets de groupe.

Renforcer le soutien psychologique en milieu scolaire, car la santé mentale est au cœur de la réussite éducative et personnelle.

Ces propositions sont à nos yeux un prolongement naturel de l’esprit du 20 mai : un appel à la transformation et à l’émancipation par le savoir.

Quels autres messages souhaitez-vous faire passer ?

Je voudrais dire aux jeunes : votre voix compte. Votre vécu, vos rêves, vos luttes ne sont pas invisibles. À travers le NAFCO, nous allons créer un espace d’écoute, de solidarité et d’action. Je vous encourage à vous engager, à croire en vos capacités et à ne jamais sous-estimer l’impact que vous pouvez avoir. Ensemble, nous allons bâtir un réseau où chaque étudiant se sentira valorisé, représenté et prêt à faire une différence.

La nouvelle direction du NAFCO

Les élections pour le nouveau comité de direction se sont tenues le 10 mai dernier. Saniyah Hossenbocus en est la présidente. Elle a comme vice-Président (National Affairs), Havisha Jamodhee ; et vice-Président (Affaires étrangères), Kistnen Savilen.

Garushee Amourdon est le secrétaire de l’organisation tandis que Andrew Julie en est le Chief of Staff. Elsie Chia Yin Cheong est la trésorière et Gérie Dice, le responsable de communications.

Mathieu Dacruz (membre fondateur de NAFCO) : “Notre système d’éducation est pourri !”

“Les étudiants à travers le monde, comme à Maurice, ont toujours été aux avant-postes des combats pour l’égalité, la justice sociale, entre autres”, estime Mathieu Dacruz, membre fondateur du NAFCO. Il continue : “Les étudiants sont ceux ayant aboli la ségrégation scolaire dans le Jim Crow South américain, manifestant sur le pont Edmund Pettus, à Selma. Dans les années 60, le SDS (Students for Democratic Society) aux États-Unis était l’un des principaux mouvements contre la guerre du Vietnam. En 1989, en Chine, des centaines de milliers d’étudiants ont réclamé des réformes démocratiques sur la place Tian’anmen. Plus récemment, l’analyste Chloe Mulderig estime que le Printemps arabe « n’aurait pu avoir lieu sans l’impulsion idéologique et numérique d’une immense masse d’étudiants en colère ». Maurice n’échappe guère à ce phénomène : les anciens se souviendront de mai 75. Mais avons-nous conscience de ce que cela implique et de notre devoir de mémoire ?

Le jeune Mauricien fait un rappel des faits : “En mai 1975, les étudiants se révoltent contre les coûts et la qualité de l’éducation secondaire publique à Maurice. Ils exigent une éducation gratuite et égale pour tous. Les étudiants descendent dans les rues pour manifester. Non armés, ils sont aspergés de gaz lacrymogène et frappés à coup de bâton. 118 arrestations liées à ces révoltes ont eu lieu pendant le mois de mai 1975.” Il souligne le fait que “ces étudiants battus et arrêtés ont été le coût de l’éducation gratuite à Maurice. Ces événements ont marqué le pays et permettent à tous d’aller à l’école. Pourtant, il semblerait qu’une grande partie des étudiants ignore ce volet de notre histoire, ne comprenant pas l’importance de l’unité et du combat estudiantin.” De fait, regrette Mathieu Dacruz, “le devoir d’unité et d’organisation des étudiants demeure absent de notre conscience collective. Or, cela permettrait d’avoir une population tellement plus éveillée, politisée et critique.”

Il poursuit : “Nous vivons dans une ère où les Trends définissent nos actions et les convictions sont mises de côté. C’est ce qui, pour moi, explique le manque d’engagement des jeunes. Nous voulons tout faire pour être vu, sans doute dû aux réseaux sociaux ou à l’ignorance. Notre engagement d’étudiants se limite à un clean-up avec le club de l’environnement au lieu de contester l’allocation d’EIA scandaleux, elle se limite à une fresque multiculturelle le 12 mars au lieu de vraiment remettre en question et agir face au communautarisme à Maurice !” Ceci étant dit, explique notre interlocuteur, “je ne blâme personne. Notre système éducatif est pourri : il nous transforme en moutons et nous gave de leçons particulières au lieu de nous apprendre à réfléchir. Mon argument est simple : les étudiants sont capables de tellement plus !”

Le jeune homme rappelle que “en 2019, mon équipe et moi fondions le National Forum for Colleges (NAFCO), l’union des étudiants à Maurice ayant pour but de représenter les jeunes, de défendre leurs droits et intérêts, et de les pousser à s’engager. Presque six ans plus tard, c’est avec une certaine émotion que je reviens sur cette aventure.” En effet, ajoute-t-il, “après des années de combats et de campagnes, et malgré la division et la réticence de certains, l’organisation qui se définit comme le syndicat des étudiants mauriciens tient toujours. Ça n’a pas toujours été facile, notamment au niveau du ministère de l’Éducation, ce qui me ramène à la réalité qu’une représentativité des étudiants demeure absente de notre conscience collective. Pour certains, il est inconcevable que des étudiants fassent entendre leur voix et veuillent être partie prenante des décisions. Pour eux, les étudiants devraient être des acteurs passifs, et accepter ce système éducatif contre-productif.”

Cependant, termine M. Dacruz, “nos années de campagne portent leurs fruits. Le nouveau ministre de l’Éducation compte soutenir le NAFCO, et notre nouveau comité exécutif est plus déterminé que jamais, sous la présidence de Saniyah Hossenbocus. Ils ont conscience du devoir de mémoire des étudiants, et de notre responsabilité de continuer un vrai militantisme. Ils participeront aux commémorations du 20 mai 75 et continueront à faire entendre la voix des étudiants.”

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