Alors que l’enquête judiciaire sur la mort de Pravin Kanakiah vient d’être bouclée à la Cour de Souillac, des voix s’élèvent pour relier ce drame à une série de morts suspectes survenues entre 2020 et 2021 dans la haute fonction publique. Des décès officiellement qualifiés de « suicides », mais dont les circonstances, les profils des victimes et le contexte politico-administratif soulèvent aujourd’hui de graves interrogations.
Pravin Kanakiah, un homme intègre dans une fonction sensible
Ancien Procurement Officer au ministère de la Santé, Pravin Kanakiah était chargé de la gestion administrative des contrats publics, y compris ceux attribués pendant le confinement. Selon sa famille, il était rigoureux, discret, et « s’il y avait eu une enquête ou un audit, il aurait tout dit ». Le 11 décembre 2020, il ne se rend jamais à son bureau. Son corps est retrouvé en mer à Roche-qui-Pleure, vêtu d’un pantalon et d’une seule chaussure. L’autopsie révèle une hémorragie intracrânienne, sans noyade. Trois ans d’enquête n’auront pas permis de trancher entre suicide et meurtre, mais la dernière audience a clairement révélé des failles majeures dans l’enquête policière, la gestion des preuves Safe City, et le traitement médico-légal. Malgré tout, l’enquêteur principal persiste à soutenir la thèse du suicide.
Soopramanien Kistnen : le point de départ
Moins de deux mois avant la mort de Kanakiah, c’est Soopramanien Kistnen, ancien agent du MSM et dénonciateur présumé de fraudes électorales et contractuelles, qui est retrouvé calciné dans un champ de cannes à Telfair. Présenté au départ comme un suicide, son cas est désormais considéré comme un assassinat prémédité, même si personne n’a encore été inculpé. Le lien entre les deux affaires ? Un climat de suspicion autour des pratiques liées aux marchés publics et une volonté présumée d’éliminer les maillons gênants.
Sarah Boitieux : une mort « étrangement silencieuse »
Le 14 décembre 2020 – trois jours après Kanakiah, Sarah Boitieux, une employée de 30 ans affectée au bureau du Premier ministre, est retrouvée morte chez elle, pendue à la poignée de sa porte avec une écharpe. Avec en prime que nul ne sait ce qui serait advenu de son ordinateur personnel. La scène intrigue, tout comme le timing. L’enquête est toujours ouverte, mais la médiatisation reste faible. Aucun élément concret ne permet à ce jour de trancher entre suicide et mise en scène. Toujours est-il que dans son entourage, on affirme qu’elle a été le témoin d’une altercation entre deux personnes clés de l’affaire Kistnen. Là encore, le silence de l’État frappe.
Faheza Mooniaruth : le saut qui dérange
Le 9 juin 2021, Faheza Mooniaruth, fonctionnaire au ministère de la Santé, se jette officiellement du toit du Registrar Building à Port-Louis. L’événement choque : aucun mot d’adieu, aucune explication. En réponse à une question parlementaire, le ministre Vikram Hurdoyal ira jusqu’à dévoiler son nom complet et évoquer des supposés antécédents psychiatriques présumés, sans fondement clinique clair. Son époux s’y oppose fermement, affirmant que sa femme n’avait jamais montré de signes de détresse mentale.
Une logique d’élimination silencieuse ?
À travers ces quatre affaires, un même schéma semble se dessiner : des fonctionnaires engagés, exerçant dans des secteurs sensibles (marchés publics, achats sanitaires, Cabinet du Premier ministre), retrouvés morts dans des conditions suspectes. À chaque fois, une version officielle précipitée, des enquêtes bâclées, et un refus persistant d’envisager la piste d’un meurtre. Rama Valayden et les Avengers, avocats engagés dans la défense des familles Kistnen et Kanakiah, a déjà dénoncé ce qui avait été appelée une « pandémie de suicides organisés » qui aurait frappé la haute administration entre 2020 et 2021, à l’époque de la crise du Covid. Selon eux, ces morts s’inscrivent dans un même fil rouge : celui d’un système étatique contaminé par des pratiques mafieuses, où des individus gênants auraient été réduits au silence.
Justice ou impunité ?
Alors que le rapport final de la magistrate Ameerah Dunnoo est attendu, le Directeur des Poursuites Publiques (DPP) semble vouloir faire la lumière sur ces affaires longtemps étouffées. Mais les familles, elles, continuent d’attendre des réponses. Kistnen. Kanakiah. Boitieux. Mooniaruth. Autant de noms qui rappellent qu’à Maurice, parfois, la vérité met plus de temps que la mort à surgir.