Ce jeudi 22 mai 2025 sera certainement à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire des Chagos, de Maurice mais aussi, plus largement, de ce qu’on considère comme la décolonisation… et la militarisation croissante du monde.
Ce jour-là en effet, Maurice et le Royaume-Uni ont signé un accord reconnaissant, nous dit-on, « la souveraineté pleine et entière de Maurice sur l’archipel des Chagos, y compris Diego Garcia ». Un deal qui n’est pas sans contrepartie : en échange Maurice autorise le Royaume-Uni à continuer à utiliser l’île principale de Diego Garcia pour l’exploitation de la base militaire qui y est installée depuis les années 1970, en coopération avec les États-Unis, pour une période initiale de 99 ans, renouvelable pour une période supplémentaire de 40 ans. Ce contre paiement de £101 millions (environ Rs 6 milliards) par an.
Maurice, nous dit-on, conserve la propriété foncière de l’île et certains droits, tandis que le Royaume-Uni assure la sécurité et le fonctionnement militaire de la base. L’accord prévoit aussi la possibilité de réinstaller les Chagossiens sur les autres îles de l’archipel, à l’exclusion de Diego Garcia.
Sur le plan économique, le Royaume-Uni s’engage à verser une somme annuelle à Maurice, à créer un fonds fiduciaire au bénéfice des Chagossiens, et à financer des projets de développement sur 25 ans.
On ne peut le nier : c’est un événement très important. Car il n’y a quasiment pas d’exemples où le pot de terre arrive à faire fléchir le pot de fer. Et cela a bien été le cas ici. Jusqu’à récemment, personne n’aurait cru qu’un petit pays comme Maurice aurait pu amener des grandes puissances comme la Grande-Bretagne et les États-Unis à négocier l’occupation d’un archipel qu’ils se sont approprié au moment de notre indépendance.
Cela dit aussi que les préconisations de certains organismes internationaux ne sont pas totalement inopérants (comme semble par contre le massacre qui perdure en Palestine malgré les injonctions de l’ONU).
En 2019, la Cour Internationale de Justice des Nations Unies avait émis un ruling disant que la prise de l’archipel par la Grande-Bretagne et le déplacement forcé de la population chagossienne étaient illégaux en regard du droit international. Qu’en conséquence, la Grande-Bretagne devait rendre les Chagos à Maurice, et que la population chagossienne devait avoir le droit de rentrer chez elle. Ce à quoi la Grande-Bretagne et les États-Unis avaient immédiatement rétorqué que le ruling des Nations Unies était non-binding. Et qu’ils n’avaient aucune intention de rendre à Maurice et aux Chagossiens ce territoire pour eux militairement si important.
Pourtant, ils ont fini par négocier avec Maurice l’accord rendu public ce 22 mai 2025 car, dit le Premier ministre britannique, leur position était devenue intenable au regard du droit international ; qu’ils savaient que Maurice allait poursuivre son combat légal international ; et qu’ils craignaient un ordre qui serait cette fois binding et qui rendrait effectivement leur occupation de ce territoire non-prolongeable.
On a souvent situé l’importance de la base de Diego Garcia comme une base américaine. Et de fait, l’accord donné au deal en février par le président Donald Trump (qui l’a déclaré “very long-term” et “very strong”) a été décisif, là où beaucoup s’attendaient à ce qu’il s’y oppose. Mais le Secretary of State for Defence britannique, John Healey, a déclaré le 22 mai 2025 à la House of Commons (le Parlement britannique) : “For more than 50 years, the joint UK-US military base on Diego Garcia has been a launchpad to defeat terrorists, to prevent threats to our nation, and to protect our economic security. […] The simple truth is that our national security rests on securing a deal that protects the operational sovereignty of this vital military installation. By signing this treaty on our terms, the Prime Minister has ensured that the UK retains full control of Diego Garcia throughout the next century and beyond. It is a deal struck in the national interest and a deal that makes Britons today and generations to come safer and more secure”.
Le secrétaire britannique à la Défense poursuit en ces termes : « Diego Garcia is unique. We do things there that we simply could not do anywhere else. Its airfield allows for strike operations and rapid deployments to the middle east, east Africa and south Asia. Its deep-water port supports missions from nuclear-powered submarines to our carrier strike group. It hosts surveillance stations that disrupt terrorist attacks, protect satellites and provide global intelligence capabilities, and it projects UK-US military power in the Indo-Pacific, to reinforce regional stability and security. Diego Garcia also strengthens Britain’s economic security. Over one third of the world’s bulk cargo traffic and two thirds of global oil shipments are transported through the Indian ocean. Our constant presence in these waters serves to safeguard trade routes, keeping down the price of food and energy for Britons here at home. Diego Garcia is also the permanent location of critical comprehensive nuclear test ban treaty monitoring equipment — a network that watches every moment of every day for evidence of nuclear testing, to hold nuclear and would-be nuclear powers to account. Diego Garcia is one of just four locations in the world to operate ground station antennae for the global positioning system, which everyone from astronauts to motorists and our military rely on to navigate”. Et d’insister ; “Agreeing this treaty now on our terms means that the UK retains full control over Diego Garcia now and for the next century”.
« UK retains full control over Diego Garcia », disent les Britanniques…
Plusieurs questions en découlent.
D’abord sur la question de la souveraineté que Maurice a supposément retrouvée dans son intégralité. Mais de quelle souveraineté entière parle-t-on quand c’est un autre pays qui gère l’île principale de l’archipel, ce qui peut y être fait ou pas ?
Certains disent que la realpolitk ne nous aurait pas permis de faire autrement. Et que nous avons sorti un bon deal en louant Diego Garcia pour les besoins de la base militaire. Mais les Britanniques s’en vantent : “At a cost of less than 0.2 % of the annual defence budget we have secured unrestricted access to, and use of, the base, as well as control over movement of all persons and all goods on the base and control of all communication and electronic systems”.
Seulement 0,2% du budget annuel de la défense pour une base que les Britanniques eux-mêmes disent aussi capitale ? Et ils insistent : “it compares very favourably with the €85 million that the French paid for their Djibouti base, which by the way is right next to a Chinese base. Diego Garcia is 15 times bigger than the French base in Djibouti and has an exclusion zone around it, which helps to protect our operations and the intelligence services that we have there”.
Pour tout cela, nous avons agréé à une location pour une somme qui, aux dires du Premier ministre adjoint mauricien lui-même, ne va pas du tout suffire à résoudre nos problèmes de déficit budgétaire ?
L’autre question qui se pose est celle de la place réelle des Chagossiens dans ce deal. Selon certains calculs, le trust fund de £40 millions promis par les Britanniques représenterait à peine Rs 300 000 de compensation par Chagossien-ne. Beaucoup beaucoup moins, disent certains, que ce qui est obtenu par les victimes d’accidents de la route en Grande-Bretagne… Et il reste à assurer que leurs droits entiers, notamment de réinstallation, soient effectivement respectés, alors que leur communauté est clairement de plus en plus divisée.
Et puis enfin, dire que les Chagos appartiennent de nouveau à Maurice, et que nous louons son île principale de Diego Garcia pour une base militaire américano-britannique, c’est dire que nous avons renoncé au combat pour l’océan Indien zone de paix. Et que nous allons, en clair, contribuer à faire pleuvoir des bombes sur le monde. Pour rappel, les bombardements des années 2000 sur l’Irak et l’Afghanistan sont partis de Diego Garcia. Et plus récemment, en 2024 et 2025, cela a aussi été le cas pour les bombardements contre les Houthis au Yemen.
La République de Maurice est donc désormais engagée comme territoire de guerre.
Au-delà de la souveraineté dite intégrale et de l’argent de location obtenu, c’est cela aussi qui mérite d’être clairement dit et intégré aujourd’hui…