Bien-être animal —Le Dr Serge Monnier : « À Maurice, j’ai eu l’impression de revenir 50 ans en arrière tant la condition animale est difficile »

Serge Monnier, 60 ans, est un vétérinaire français spécialisé en orthopédie et comptant plus de 35 ans d’expérience. Ayant exercé à Maurice où il a vécu pendant deux ans et demi, avec la connaissance des problématiques locales incluant les conditions d’exercice de la médecine vétérinaire, il souhaite s’engager dans des actions et mettre ses compétences au service du pays, afin de résoudre le problème de chiens errants. Dans l’interview qu’il nous a accordée, le vétérinaire actuellement intégré dans un grand groupe international, soit l’IVC Evidensia, évoque son inquiétude face à cette situation qui risque de perdurer encore longtemps sans une restructuration complète de tout ce qui concerne la condition animale. Il nous parle de son expérience en France et à l’île de La Réunion, des solutions ayant permis de limiter la prolifération des chiens errants sur l’île-sœur. Aussi : des raisons de son départ de Maurice, des contrats de travail illégaux et des freins à l’amélioration de la condition animale.

 

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Prolifération de chiens errants, abandons en hausse, campagnes de stérilisation insuffisantes et infructueuses, montée de violence et de cas de cruauté, tortionnaires qui continuent d’agir en toute impunité, inaction des services de police, absence d’une police des animaux… La situation est catastrophique à Maurice. La condition animale ne semble pas s’améliorer. En tant que vétérinaire ayant exercé au pays, quel est votre regard sur la situation et quelle serait, selon vous, la solution à tous ces problèmes et failles ?

La prolifération des chiens errants est un problème à la fois de bien-être animal (surpopulation, malnutrition, maladies contagieuses, plaies, blessures non soignées avec contamination par des maggots, des infections, accidents de la route, chiots et chatons laissés à l’abandon) et de santé publique (accidents déclenchés, aggressions, impact sur le tourisme, transmission de maladies comme l’ascaridiose, la leptospirose). Les raisons de cette prolifération provient des abandons, des personnes laissant divaguer leurs animaux non stérilisés. Le manque de stérilisation est souvent dû à un manque de connaissance et d’information de leurs propriétaires. Ils vont jusqu’à penser que les animaux ne souffrent pas, mais les animaux sont comme nous : ils sont sensibles à la douleur, à la faim. Les pouvoirs publics, les écoles ont un grand rôle à jouer dans l’éducation des propriétaires, en allant jusqu’à la répression si c’est nécessaire. Les vétérinaires ont aussi ce rôle d’information et doivent être impliqués dans des actions de sensibilisation. J’ai travaillé à Maurice pendant 1 an et j’y suis resté 2 ans et demi. J’ai eu l’impression de revenir 50 ans en arrière tant la condition animale est difficile et la médecine vétérinaire en retard. Le pas à faire est tellement gigantesque que cette situation risque de perdurer encore longtemps sans une restructuration complète de tout ce qui concerne la condition animale. Cela concerne la partie visible, les chiens, mais le problème est encore plus important pour les chats. Concernant les pouvoirs publics, les moyens qui étaient mis en œuvre n’étaient pas en rapport avec l’importance du problème. La structuration des professionnels de la santé animale que sont les vétérinaires n’est pas adaptée à cette problématique, non plus : le manque de vétérinaires, de formations, de personnel assistant non formé, de médicaments (notamment pour gérer la douleur).

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Maurice compte moins d’une centaine de vétérinaires, un nombre insuffisant et en disproportion face à la population canine et féline croissante. Le Worldwide Veterinary Service (WVS) avait prévu de lancer un programme de stérilisation en masse à Maurice, visant à stériliser, vacciner et micropucer 80,000 chiens dans les 12 premiers mois. WVS est reconnu pour son expertise en matière de gestion des populations canines, avec des réussites notables en Inde et en Afrique, où il a stérilisé des milliers de chiens. Mais leur offre avait été rejetée. Il semblerait que le Veterinary Council de Maurice limite l’impact d’initiatives internationales. Qu’avez-vous à dire là-dessus ?

Il faut privilégier des actions chocs qui permettent d’avoir un réel impact sur l’augmentation de la population canine et féline. Il est dommage que le programme de la WVS n’ait pu avoir lieu, mais je n’en connais pas les détails. Le Vet Council ne permet pas ce développement par la main mise des fonctionnaires qui gardent jalousement leurs prérogatives pour pouvoir exercer à côté de leur activité gouvernementale sans avoir les compétences, ni les moyens. Ils bloquent l’arrivée de vétérinaires et de compétences de l’extérieur. Mon exemple est éloquent

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Parlez-moi de votre expérience à Maurice. Pourquoi êtes-vous parti ? Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans votre travail ?

À Maurice, j’ai travaillé dans une structure dirigée par une personne intéressée uniquement par l’argent, qui ne comprend rien à la santé animale, qui ne connaît pas la passion de notre métier et les compétences qui vont avec. Seuls des vétérinaires indépendants devraient être décisionnaires dans les cliniques vétérinaires pour le bien-être animal et avoir une mission de service public pour cela. J’ai été victime de l’influence de cette personne auprès des administrations et je n’ai pu continuer à exercer mon métier à Maurice alors que je savais que mes compétences, mon expérience m’auraient permis d’apporter quelque chose à Maurice. J’ai même postulé à la Mauritius Society for Animal Welfare (MSAW) et j’ai été écarté par l’influence de mon ancien employeur. D’autres vétérinaires m’ont précédé et suivi avec les mêmes problèmes. Cet aspect légal de l’exercice de la médecine vétérinaire est à revoir complètement pour faire avancer l’intérêt général, et non des intérêts particuliers. Des contrats de travail illégaux ou inadaptés sont aussi une des raisons à ces blocages et à mon départ de Maurice. Par ailleurs, un autre frein possible à l’amélioration de la condition animale : certaines ONG qui, vivant de dons pour la misère animale, n’ont pas d’action réelle sur l’évolution des populations. Une mauvaise organisation de ces ressources n’optimise pas leurs actions dispersées.

Quels sont vos projets? Envisagez-vous de revenir à Maurice ?

Actuellement, je travaille pour un grand groupe de cliniques vétérinaires et dirige une de leurs cliniques. À mon âge, la réalisation de la transmission de mes connaissances et expériences à Maurice serait  un grand plaisir pour moi. La restructuration de la médecine vétérinaire, comme support du bien-être animal, et de la lutte contre la prolifération avec l’aide de grands groupes et d’autres vétérinaires, serait d’un intérêt non négligeable pour Maurice. L’organisation de campagnes de stérilisation de grande ampleur avec des vétérinaires européens à Maurice serait idéal pour les animaux, pour les vétérinaires et leur personnel. Et en même temps, ce serait aussi pour de jeunes vétérinaires européens sortant des écoles, ayant alors l’occasion de pratiquer à grande échelle, un deal gagnant-gagnant. Je pourrais apporter mes compétences à la fois pour la création d’un hôpital vétérinaire, mais aussi pour la formation continue du personnel avec l’aide de confrères spécialisés que j’ai dans mon réseau. Cet hôpital pourrait être le lieu de formation des vétérinaires exerçant à Maurice tout en donnant des soins de qualité à faible coût aux personnes avec peu de moyens ainsi que pour les ONG et les animaux errants. Ma capacité à organiser un système de soins en relation avec différents partenaires et à les fédérer autour d’un projet pour l’amélioration de la condition animale. Nous devons tous agir dans le même sens pour ce changement.

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