Smart City : Un nouvel espoir pour Roches Noires

La demande de permis EIA du promoteur PR Capital (Mauritius) Ltd a été rejetée

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La nouvelle est tombée durant la semaine : la demande de permis Environment Impact Assessment (EIA) par le groupe PR Capital (Mauritius) Ltd, porteur du projet Roches Noires Smart City (RNSC), a été officiellement rejetée. Dans un communiqué émis par le ministère de l’Environnement, l’État mauricien reconnaît formellement que le site d’une superficie de 352,95 hectares est « extrêmement sensible sur le plan environnemental » et une lettre de rejet a été émise à PR Capital (Mauritius) Ltd le 22 mai. Une bouffée d’air frais pour tous les collectifs écocitoyens, lanceurs d’alerte, qui militent depuis trois ans
pour la préservation de cette région de l’île. Retour sur l’affaire Roches Noires.

En 2022, Roches Noires, village tant convoité est une fois de plus sous le feu des projecteurs. Ayant eu vent qu’un projet de Smart City comprenant hôtels, villas de luxe et terrains de golfe sur pas moins de 352 hectares de forêts vierges, d’étangs et de caves se profilait à l’horizon, des citoyens engagés décident de tirer la sonnette d’alarme. En effet, le promoteur, PR Capital, subsidiaire du groupe français City Group, qui a fait la demande en 2021 pour un Smart City Certificate auprès des autorités concernées, a obtenu une letter of comfort en mars 2022 lui permettant de soumettre son Master Plan ainsi que son Environment Impact Assessment (EIA) dans l’attente d’obtenir le feu vert pour démarrer les travaux.
Les collectifs citoyens, nommément Platform Moris Lanvironnman (PML), l’Organisation non gouvernementale (ONG ) MRU2025, l’ONG Protégeons l’écosystème de Roches Noires (PERN) et le parti écosocialiste Rezistans ek Alternativ, entre autres, n’ont pas tardé à agir, envoyant plusieurs correspondances et plusieurs documents pour s’opposer au projet qui selon eux mettraient en péril cette zone sensible. En 2023, le projet avait été alors « set aside » par le ministère de l’Environnement, tandis que PR Capital lui ne lâchait pas l’affaire, enchaînant rencontres et campagnes de promotion. Vers la fin de 2023, à la surprise de tous, un consortium de conglomérats locaux, dont Eclosia, IBL, Currimjee, Scott et autres forment le Collectif mauricien pour Roches Noires, proposant la construction d’un parc naturel. Aucune décision n’avait alors été prise au niveau des autorités, jusqu’à ce jour.
En réalité, c’est une affaire qui ne date pas d’hier. Les premières tentatives remontent véritablement à 2005 où une entreprise sud-africaine, Elan Group, avait reçu un certificat IRS pour Roches Noires Resorts and Residence Ltd. Le 9 octobre 2006, Elan Group décide de se retirer pour laisser place à un consortium dirigé par Jean Marie Bain. Le projet obtient son permis EIA et son certificat IRS le 13 novembre 2007.
Le 11 février 2010, le consortium informe les autorités de ses difficultés financières et fait une demande pour vendre 90 hectares à des investisseurs locaux pour la construction d’un morcellement. La demande est rejetée. La compagnie passe sous administration et en avril 2011, MM. Bonieux et Lutchumun sont nommés « receivers and managers » de Roches Noires Resort and Residence Ltd. Le 5 avril 2012, la compagnie perd son certificat IRS. En 2013, un groupe chinois YIHE Group crée Island Summer Palace Ltd, projet IRS en trois phases : la première un hôtel ; une zone commerciale, une business zone, un convention centre et une marina ; la deuxième un terrain de golf, des villas de golf et un club-house et troisièmement des low-side residential units, un retirement village et un education hub. Tout cela pour un total de Rs 44 milliards.
En 2015, l’affaire Roches-Noires faisait l’objet d’une question parlementaire posée par le leader de l’opposition d’alors, Paul Bérenger, et à laquelle répondait le ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo. Dans la réponse de ce dernier, tous les projets sont cités, y compris le projet de construire une deuxième piste d’atterrissage qui finira par être abandonné la même année. Depuis quelques années, les derniers propriétaires en date, soit le YIHE Group, se sont retrouvés en difficulté financière… pour finalement laisser place à PR Capital. D’ailleurs, ce sont les banques BPCE et ABSA qui détiennent les actifs de ce site. Pour info, le site appartenait originellement au groupe Fon Sing (352 hectares), à la Société Yajna (4,22 hectares) et S. Ghurburrun (0,7 hectare).
Un site considéré comme une zone environnementale sensible, site riche en espèces animales et végétales, et comportant de nombreuses zones marécageuses, mais aussi de nombreuses caves… dont la plus connue, « la cave, madame » (voir déclaration du ministre de l’Environnement). Dans un document daté de 1998, intitulé Lava caves of the Republic of Mauritius, Indian Ocean, le chercheur Gregory J. Middleton indique que la Plaine des Roches connectée avec Roches-Noires a « the greatest concentration of caves », avec à l’époque plus de 29 caves répertoriées. La plus grande cave a été découverte en 1991 à 520 mètres. Elle est un tunnel de 10 à 15 mètres de large et de 10 mètres de hauteur qui abriterait la plus grande colonie de chauves-souris de l’île ainsi que des colonies d’oiseaux. Trois ans après, Roches Noires retrouve enfin sa liberté… en espérant que ceux qui seront garants de sa préservation en prendront bien soin.

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Adi Teelock (PML) :
« Le ministère a reconnu
le bien-fondé des arguments des ONG et autres »
Platform Moris Lanvironnman, inlassable lanceuse d’alerte en matière d’écologie, est l’une des premières ONG à être montées au créneau. Après voir envoyé plusieurs documents signalant les anomalies du rapport EIA de PR Capital, elle est aujourd’hui satisfaite que les autorités aient pris en considération leurs observations et leurs inquiétudes. « La décision du ministère de l’Environnement est la seule décision qui s’imposait. Le projet de smart city de PR Capital sur ce site écologiquement sensible était destructeur à tous les points de vue : écologique, environnemental, social et de patrimoine culturel et social. Les ONG avaient fait front pour combattre cette smart city et la campagne de mobilisation avait pris plusieurs formes. PML avait envoyé des commentaires sur le rapport EIA couvrant tous les aspects sus mentionnés ainsi que sur des aspects de gouvernance », dit Adi Teelock.
Elle ajoute que « nous avions avancé, entre autres, les points suivants :
l Penser le site comme d’un terrain vague (« vacant land ») est assurément la source des manquements, failles et faiblesses du rapport EIA soumis. La notion même de penser d’un terrain qu’il est « vacant » ou « vague » et peut donc être approprié et occupé pour un développement urbain à usage privé traduit une façon de penser qui est à l’opposé des principes de « sustainability ». Elle nie la possibilité que le site — connecté à la mer — est déjà en train d’assurer de précieux services écosystémiques et a une valeur intrinsèque, que les humains chérissent tels quels.
l PML est opposée au développement de la Roches Noires Smart City (RNSC), car les promoteurs n’ont pas démontré que leur projet proposé est soutenable (« sustainable ») sous tous les aspects : environnemental, social, économique, financier et technique.
l Le rapport EIA sur le projet hôtelier est sérieusement défaillant et n’est pas en conformité avec les Sections 18 (2) (d) à (o) de l’Environment Protection Act (2002) subséquemment amendé.
l L’Economic Development Board (EDB) a fait preuve d’un niveau de défaut de vigilance consternant, y compris au niveau financier. Ce projet de smart city n’aurait même pas dû avoir été facilité par l’EDB.
l Étant donné que la politique sectorielle concernant le développement immobilier, dont font partie les Smart Cities, n’a pas fait l’objet d’une évaluation environnementale stratégique (Strategic Environmental Assessment), il est essentiel de mener une telle évaluation afin d’établir un bilan pour éclairer la suite à donner.
Le ministère de l’Environnement a reconnu le bien-fondé des arguments des ONG et autres organisations qui se sont mobilisées en prenant la décision annoncée. »

Gada Schaub-Condrau
(PERN) :
« Il reste désormais à protéger durablement cet espace »
Gada Schaub-Condrau, du collectif Protégeons l’écosystème de Roches Noires (PERN), est parmi les nombreux citoyens à avoir élevé la voix contre le projet de Smart City dans la région. Après plusieurs mois d’attente, le collectif se réjouit de la nouvelle. « La Plateforme Protégeons l’écosystème de Roches Noires se réjouit de cette décision. Le projet, dans son ensemble, aurait clairement mis en danger cette zone écologique ultra-sensible. Heureusement, l’EIA a été rejeté. Je pense que notre démarche a été entendue. Il reste désormais à protéger durablement cet espace, afin d’éviter qu’un autre promoteur ne tente de prendre le relais. Le communiqué du ministère est d’ailleurs très clair : il insiste sur la sensibilité et la fragilité du terrain. Une alternative existe aujourd’hui à travers le Collectif pour Roches Noires, qui réunit plusieurs grands groupes mauriciens autour d’un projet de préservation durable : créer un espace naturel protégé, accessible au public, où l’écosystème et le patrimoine de la région sont respectés et valorisés. C’est une opportunité unique. C’est le moment d’agir », nous partage Gada Schaub-Condrau.

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Rajesh Bhagwan
(ministre de l’Environnement):
« Un ministère de l’Environnement qui se veut avant tout crédible »
Dans une déclaration accordée à Week-End, hier, le ministre de l’Environnement Rajesh Bhagwan confirmait la nouvelle. À quelques jours de la présentation du budget coïncidant avec la journée de l’Environnement, il prend l’engagement de préserver les derniers sites naturels restants et d’agir. Félicitant le travail du directeur des National Park Services et des techniciens, il avance qu’il y a encore beaucoup de travail à faire avec l’aide des citoyens mauriciens.
« Nous rappelons que c’est l’EIA Committee composé de techniciens, d’experts, qui nous a avisés pour prendre cette décision. Joanna Bérenger et moi avons aussi été à l’écoute de toutes les ONG et avons pris en considération leurs protestations. Nous sommes guidés par nos principes et bien sûr tout en étant dans le respect des lois, nous voulons que le ministère de l’Environnement soit reconnu pour sa crédibilité et son sérieux. Nous avons écouté toutes les parties concernées et avons agi dans l’intérêt du pays et de l’écologie. Nous ne favorisons personne. Quant à l’avenir de Roches Noires qui est un site protégé, nous donnons la garantie que nous allons tout faire pour le préserver. Il faut noter que lorsque j’étais ministre entre 2000 et 2005, j’étais celui qui avait demandé la réhabilitation de la Cave Madame à Roches Noires. Ce sont des sites, des bijoux qu’il faut absolument protéger et préserve », dit-il.
Rajesh Bhagwan avance qu’« il y a trop de béton et il y a eu beaucoup trop de massacres écologiques ces 20 dernières années. Nous travaillons d’ailleurs sur un Wetlands Bill pour protéger nos wetlands. Mais il est aussi bon de rappeler que nous ne sommes pas contre le développement et que l’EIA ne doit pas être une barrière au développement, mais il faut savoir faire l’équilibre entre l’environnement et le développement justement. »

Collectif mauricien pour Roches Noires :
« Ce résultat est le fruit d’un engagement collectif rigoureux »
Dans une déclaration publiée en ligne, le Collectif mauricien pour Roches Noires, association de plusieurs conglomérats locaux, dont Eclosia, IBL, Currimjee, Scott et autres, a indiqué que « le Collectif Mauricien pour Roches Noires salue cette décision majeure qui préserve un écosystème sensible et précieux ! Ce résultat est le fruit d’un engagement collectif rigoureux, porté par de nombreuses voix : associations, experts, riverains, forces vives… Merci et bravo à toutes celles et ceux qui se sont mobilisés et ont contribué à cette avancée. » Le Collectif propose la création d’un parc naturel sur ledit site, avec pour ligne conductrice le développement d’un tourisme vert et durable, avec entre autres la volonté de créer un Trust Fund qui sera alimenté par les participations des promoteurs du projet et des partenaires techniques et financiers ainsi que par des contributions annuelles, publiques et privées que l’équipe de gestion sera chargée de rechercher.

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