À l’occasion de la Journée mondiale de l’Environnement, célébrée le 5 juin, Le-Mauricien a rencontré le ministre de tutelle, Rajesh Bhagwan, pour faire le point sur les actions engagées par son ministère. Salubrité publique, lutte contre la pollution plastique, responsabilité collective, mobilisation des ONG, COP 30 et priorités du gouvernement pour une île Maurice plus propre et plus verte sont parmi les thèmes abordés. « Joanna Bérenger et moi rêvons de faire de Maurice, une île écologique », lance Rajesh Bhagwan. Il insiste que l’urgence nationale est qu’il faut cesser de salir le pays.
L’Organisation des Nations pour l’Environnement célèbre ce jeudi 5 juin la Journée mondiale de l’Environnement. Quel message souhaiteriez-vous transmettre à cette occasion ?
Cette année-ci, la Journée mondiale de l’environnement coïncide avec la présentation du Budget. Dans notre discours-programme, la stratégie gouvernementale concernant l’environnement est claire, avec notamment l’amendement à la Constitution pour l’introduction du droit de la nature. L’environnement est aujourd’hui un sujet d’avant-garde. L’urgence nationale est qu’il faut cesser de salir. Il ne faut pas oublier que l’État dépense quelque Rs 2, 8 milliards pour la collecte des déchets. Ce n’est pas une option.
Joanna Bérenger et moi-même rêvons de faire de Maurice une île écologique. Mais ce rêve ne peut se réaliser qu’avec un changement d’attitude. ONG, population, secteur privé : nous avons tous le même combat. Et nous n’oublions pas Rodrigues que je salue pour les initiatives dans cette lutte.
Le ministère appelle à une action collective, mais aussi à plus de rigueur dans l’application des lois. La police de l’environnement, lancée sous mon précédent mandat, a ses limites alors que les plaintes sont en hausse. Chaque policier doit aussi devenir un gardien de l’environnement. C’est la raison pour laquelle, cette année, pour marquer la Journée mondiale de l’Environnement, le ministère a tenu à réunir mardi les différents Enforcement Officers, le temps d’un atelier de travail. Qu’ils soient inspecteurs municipaux, des conseils de district, inspecteurs sanitaires, Fisheries entre autres, tous sont appelés à travailler ensemble pour une meilleure coordination.
Il faut que la loi environnementale et les règlements soient appliqués sans exception afin de pouvoir transformer notre cadre de vie. Pa posib ki pou No Entry la polis pran kontravansion me kan pe zet salte pena nanye. Le but est de redonner à l’inspectorat sa valeur, encourager les inspecteurs qui, dans le passé en uniforme kaki, se faisaient respecter.
Le thème de la Journée mondiale de l’environnement cette année est « Lutter contre la pollution plastique ». Quelles mesures ont été prises pour faire face à la pollution plastique ?
Mo pena pou fer enn katalog comment la pollution plastique est un Eyesore et à quel point elle détruit la nature. Les déchets plastiques représentent plus de 75 000 tonnes des déchets solides municipaux générés chaque année, alors que moins de 3 % de ces déchets sont recyclés.
Je reconnais les efforts faits concernant le ramassage des bouteilles en Polyéthylène Téréphtalate (PET). Je reconnais un début de prise de conscience avec des initiatives extraordinaires des ONG et des entreprises privées pour le ramassage, le recyclage et la réutilisation. Mais, ma plus grande frustration demeure l’indiscipline et le plus grand défi demeure la sensibilisation et la responsabilisation des utilisateurs tout comme des producteurs. Mettre fin à la pollution plastique figure parmi les priorités majeures du gouvernement.
À cet effet, notre ministère a déjà mis en place un comité statutaire de gestion des plastiques qui réunit des représentants du secteur public, du secteur privé et de la société civile. Nous avons aussi réduit le moratoire sur les plastiques de trois à un an. Nous discutons avec la Chambre de Commerce et d’Industrie. Beaucoup d’efforts ont été faits mais il faut réduire encore et encore
C’est là aussi qu’entre en jeu l’économie circulaire…
Au ministère, la feuille de route nationale pour l’économie circulaire 2023-2033 vise à guider le pays vers un modèle économique plus résilient, fondé sur l’efficience des ressources, la réduction des déchets et la valorisation maximale des produits et matériaux.
L’objectif est d’accélérer la transition d’une économie linéaire vers une économie circulaire, avec les neuf principes clés, soit les 9R : Refuser, Repenser, Réduire, Réutiliser, Réparer, Rénover, Réaffecter, Recycler et Récupérer.
Comment s’est passé votre retour au ministère de l’Environnement après 20 ans ?
C’est un retour chargé d’émotions. Lors de mes précédents passages, j’avais eu l’opportunité de poser des jalons importants : l’interdiction de l’extraction de sable dans les lagons, l’introduction de l’essence sans plomb, la création de la police de l’environnement, l’amélioration de l’environnement via un « marathon de l’environnement » à travers l’île, et l’aménagement de parcours de santé comme le Dauguet, Montagne des Signaux, colline Candos que nous allons d’ailleurs réhabiliter, pour reconnecter les Mauriciens à la nature.
Aujourd’hui, vingt ans plus tard, l’environnement est plus que jamais un enjeu majeur. J’ai la chance d’avoir à mes côtés Joanna Bérenger, une Junior Minister brillante, passionnée par l’écologie.
Comment se présente le ministère de l’Environnement en 2025 ?
Je voudrais insister sur le fait que le ministère de l’Environnement ne s’occupe pas uniquement des ordures. Il est aussi doté d’un Laboratoire national de l’environnement (NEL) certifié ISO/IEC 17025 et qui joue un rôle clé dans la surveillance de la qualité de l’air et de l’eau ainsi que dans la vérification de la conformité des plastiques. Le NEL a réalisé 13 134 analyses d’eau, 463 tests de plastique et plus de 1,2 million de surveillance de la qualité de l’air en 2024.
D’autre part, le Premier ministre a confié à mon ministère la mission de redynamiser Mauri-Facilities Limited, qui tombait autrefois sous Landscope. Avec 2 500 employés, dont 75 % sont des femmes –auxquelles je rends hommage – Mauri-Facilities Limited joue notamment un rôle clé dans le nettoyage des toilettes et des cours d’écoles publiques. Ce sont aussi ses employés que nous voyons en train de nettoyer aux abords des autoroutes, à La-Citadelle, au Triolet bypass. Nous avons rencontré le personnel, ravivé leur motivation.
Avec la National Environment Cleaning Authority (NECA), l’idée est de rationaliser les ressources éparpillées sous une seule autorité et de donner une cohérence et un nouveau rayonnement à l’ensemble des actions liées à la propreté. Cette mission bien définie doit refléter la personnalité de l’homme de terrain et d’action que je suis.
Quel constat faites-vous de la situation environnementale dans le pays aujourd’hui?
Honnêtement, la situation est préoccupante. Maurice n’est pas aussi propre que nous pourrions l’espérer, malgré des investissements importants. Cela tient avant tout à un manque de civisme. Les dépotoirs sauvages prolifèrent, les lieux publics sont pollués. L’insalubrité contribue à des maladies comme la dengue, le chikungunya, ou encore la leptospirose, qui, n’oublions pas, a fait 12 morts l’année dernière.
L’élan enclenché avec la campagne « Ou zete, ou peye » que nous avions lancée dans le passé pour éveiller les consciences, s’est malheureusement estompé. Il y a aussi beaucoup de problèmes comme le tapage nocturne, les voitures et motocyclettes avec des pots d’échappement modifiés, des véhicules fumigènes, chiens errants.
Avec le développement économique, nous avons aussi beaucoup de nouveaux produits et par conséquent de plus en plus de produits dangereux dans la nature. Ces problématiques affectent directement la qualité de vie. Il y a aujourd’hui urgence à retrouver une conscience environnementale collective.
Aujourd’hui, nous faisons surtout face à d’importants défis qui nous affectent directement comme le changement climatique, l’érosion côtière, la montée des eaux, les flash floods, la sécheresse. Ce sont autant d’enjeux qui nécessitent un plus grand effort national et une plus grande concertation internationale.
Vous aviez repris vos responsabilités ministérielles sur les chapeaux de roues à l’incendie de Mare-Chicose comment cela s’est passé ?
Dès notre prise de fonctions en novembre, la Junior Minister, Joanna Bérenger, et moi avons dû gérer l’incendie sur le site d’enfouissement de Mare-Chicose. Le feu a été maîtrisé après plus d’un mois grâce au travail acharné des pompiers et d’un comité de coordination présidé par notre ministère.
Ce site d’enfouissement, le seul du pays est saturé. J’ai hérité d’un contrat déjà alloué d’expansion verticale de Mare-Chicose. Ce projet implique des milliards. Le consultant a émis des réserves. Personnellement, je ne suis pas satisfait non plus de la façon dont évolue ce projet. J’ai rencontré plusieurs fois l’opérateur et j’ai l’intention de le rencontrer à nouveau.
Quelle est votre priorité absolue ?
La gestion durable des déchets est prioritaire. Il faut sortir de la logique du tout-enfouissement. En 2024, 550 000 tonnes de déchets municipaux solides ont été enfouies à Mare-Chicose. Ce qui fait plus de 10 millions de tonnes de déchets enfouies depuis la mise en service du site en 1997.
Nous ne pouvons plus continuer à collecter, transporter et enterrer des tonnes d’ordures chaque année. Le tri à la source est une priorité. Nous ne pourrons pas progresser si nous continuons de tout enterrer. Les gens ne se rendent pas compte. Le gouvernement dépense près de Rs 3 milliards dans la gestion des déchets par an. Et c’est de l’argent public. Il faut réduire à la base.
Le tri arrive. Le Cabinet a déjà pris note. Il y a toute une logistique que le gouvernement s’engage à mettre en place. Des camions seront achetés, des poubelles de différentes couleurs fournies aux foyers. On ne réussira que si chaque producteur, chaque citoyen s’implique. Aucun projet de séparation de déchets à la source ne peut marcher sans la contribution de chaque générateur de déchets. Il ne suffit pas seulement d’arrêter de polluer l’environnement, il faut aussi apprendre comment jeter ses déchets. Il y a toute une culture environnementale à instaurer et nous savons que nous allons faire face à beaucoup de résistance.
C’est pour cela que nous comptons sur les jeunes pour être les moteurs de ce changement, en convainquant leurs parents à faire en sorte que ce système marche. Il faut la contribution de tout un chacun pour ne pas faire écrouler ce système où il est question d’investissements massifs. Il faut sensibiliser, encore et encore.
Aujourd’hui, seuls 7 % des déchets principalement les déchets de type PET, cartons, papiers et textiles sont actuellement recyclés ou exportés par des entreprises privées. C’est insuffisant. Il faut un changement systémique. Aucun système ne fonctionnera sans une implication forte des citoyens.
Quelles sont les autres actions phares de votre ministère ?
Les plages publiques sont des lieux de loisir de prédilection des Mauriciens et méritent une meilleure protection contre l’érosion. Beaucoup d’études ont été faites concernant les zones côtières. Le constat est que le problème d’érosion côtière est accru dans plusieurs régions dont Trou-aux-Biches.
La Junior Minister et moi-même accompagnés, de l’Attorney General Gavin Glover, du ministre Ranjiv Woochit et du député Kaviraj Rookny, l’avons constaté de visu pas plus tard que samedi. À Albion et au cimetière de Souillac, même constat dramatique. Ce sont donc les trois projets prioritaires de réhabilitation de plages.
Il est aussi vrai que nous recherchons des financements pour l’adaptation au changement climatique auquel nous, petit état insulaire avec des moyens budgétaires limités, devons faire face. Nous renforçons en parallèle le rôle de la Beach Authority et la rendons plus performante avec pour but d’améliorer la propreté et les infrastructures. La plage publique doit rester un bien commun. Sans compter qu’il y a aussi de nouvelles plages publiques, comme celle de Pomponnette.
La décision du ministère de l’Environnement de ne pas accorder de licence Environmental Impact Assessment (EIA) au projet de Smart City de Roches-Noires a suscité beaucoup de réactions positives. Quel message votre ministère a-t-il voulu transmettre ?
Cette décision du comité EIA redonne de la crédibilité au ministère. Cependant, il ne faut pas que l’EIA devienne une barrière pour le développement. Nous ne sommes pas là pour ralentir le développement mais cela doit se faire dans le respect de l’environnement.
Maurice est une île fragile avec beaucoup de zones sensibles comme à Roches-Noires. Pour que nous devenions une île écologique, une île verte, il faut respecter les normes. Il y a eu trop de bétonnage, des manquements sur de gros projets. Des routes ont été faites sans EIA. À Roches-Noires, il y a des zones sensibles à préserver, y compris La Cave Madame, que j’avais réhabilitée en tant que ministre dans le passé. Nous travaillons aussi pour la mise à jour de l’Environment Act, nous viendrons avec des amendements. Pour nous la transparence doit primer.
Quelle est la place accordée aux ONG dans votre approche ?
Avec ce gouvernement, la porte du ministère de l’Environnement leur est ouverte. Des ONG comme Aret kokin nou la plaz, Eco-Sud, Platform Moris Lanvironnman siègent déjà sur des boards comme la Beach Authority, ou dans des comités comme l’Integrated Coastal Zone Management (ICZM,) la gestion des plastiques entre autres. Je comprends certaines frustrations mais il faut aussi comprendre les contraintes légales et administratives du ministère. Rome ne s’est pas faite en un jour. Donnez-nous le temps. Ce partenariat doit fonctionner dans les deux sens.
Le ministère de l’Environnement s’est aussi vu confier la responsabilité de l’île-aux-Bénitiers où les opérateurs pourront recommencer à opérer à partir du 16 juin. Pouvez-vous nous en parler.
Tous les amoureux de la nature qui s’y sont rendus avant l’opération nettoyage ont été révoltés par l’état de l’île. La campagne de nettoyage à l’île-aux-Bénitiers, suivant la visite du Deputy Prime Minister, a permis de retirer plus de 138 tonnes de déchets. Je salue le soutien du conseil de district de Rivière-Noire et de son président Kemraz Ortoo qui a été partie prenante de cette opération depuis le début.
Le ministère de l’Environnement qui est désormais responsable des lieux, s’occupe en ce moment des installations comme des toilettes sèches pour les visiteurs et les opérateurs qui pourront reprendre le travail le 16 juin, comme annoncé par le Conseil des ministres. Au début, nombreux n’ont pas compris notre intention. Aujourd’hui nous avons un bon « response » des opérateurs. Cette réouverture de l’île qui est sur la carte touristique doit se faire dans les meilleures conditions et dans le respect de l’environnement.
L’île aux Bénitiers est un pari gagné. Un exemple de la volonté du gouvernement à mettre de l’ordre et se tourner vers l’avenir. Ce n’est qu’un début. Il y a une cinquantaine d’îlots autour Maurice. Il s’agit de notre patrimoine national. Deux comités présidés respectivement par le Deputy Prime Minister, Paul Bérenger, et le ministre des Terres, Shakeel Mohamed, se penchent sur leur gestion durable.
Parlez-nous de la participation mauricienne à la COP 30.
Le ministère de l’Environnement, de même que le ministère des Affaires étrangères, celui de l’Économie bleue et celui de l’Intégration sociale, nous nous préparons activement pour participer à la COP 30 qui se tiendra du 10 au 21 novembre à Belém au Brésil. Dépendant du financement, Maurice sera représentée comme il se doit.
D’ailleurs, un comité présidé par le Premier ministre adjoint suit ce dossier de près. Malgré des contraintes en ressources et d’autres défis, le département du changement climatique de mon ministère a déjà soumis son rapport Biennal de Transparence (BTR), y compris l’Inventaire national de gaz à effet de serre, le 26 décembre 2024. À ce jour, seuls cinq autres PEID ont soumis leur BTR : Guyane, Maldives, Vanuatu, Trinité-et-Tobago et Singapour. Il a maintenant jusqu’à septembre pour soumettre le document de Contribution Déterminée au niveau National (NDC 3.0).