Le budget 2025-26 présenté par le Premier ministre, Navin Ramgoolam prévoit un relèvement progressif de l’âge d’éligibilité à la pension de vieillesse, qui passera de 60 à 65 ans d’ici cinq ans. Si cette réforme est justifiée par des impératifs de soutenabilité financière à long terme, elle a déclenché une avalanche de réactions, souvent virulentes, sur les réseaux sociaux.
Nombreux sont ceux qui y voient une injustice sociale, un mépris des conditions de vie des plus modestes, voire une trahison.
Travailleurs précaires et pénibilité ignorée
Pour beaucoup, cette décision touche de plein fouet les catégories de travailleurs les plus exposées physiquement. Les témoignages abondent pour dénoncer une mesure jugée inapplicable dans certains secteurs. « Mo travay depi mo 18 ans. Aster to dir moi atann 65 ans ? Mo le corps fini usé ! » s’indigne Puredey B., exprimant une lassitude largement partagée.
Même son de cloche chez Fabiola L. : « Mo plein ar douler, mo pou bizin tini ankor 5 ans ? Mo pa enn robot. » Pamela F.abonde dans le même sens, avec une formule aussi imagée qu’éloquente : « Nou va alle travail avec nou canne, déjà tout dimoune pe gagne tou qualité douleur. »
Une réforme pour les « bureaux climatisés »
La colère est d’autant plus vive que la réforme semble épargner ceux qui exercent des fonctions confortables dans le secteur public ou politique. « Li roulé dan gros loto, asizé dan l’air conditionné, li dir nou pou travay ziska 65 ans. Li kone ki sa lévé 4h pou al plant canne ? » écrit Bernard D., en dénonçant le fossé entre les élites dirigeantes et la population laborieuse.
Kodo P., quant à lui, ironise : « Maçon pou capav monte lor échafaudage, crépi plafond à 65 ans ? » Tandis que Balkrishna G. estime qu’il faudrait « définir les secteurs concernés, car leve poket ciment ou batte béton à 65 ans, c’est pas possible. Si c’est pour rester assis dans un bureau climatisé, oui, pourquoi pas. »
Privilèges des élus, frustration du peuple
La question des pensions à vie des parlementaires et ministres suscite également de nombreuses critiques. Plusieurs internautes y voient une injustice criante, un deux poids deux mesures. « Ban ki travay deux mandats gagne pension à vie, et nou, nou bizin travay ziska 65 ans pou gagne enn ti pitié ? » s’indigne Jean Marc D.
Deven C. résume l’état d’esprit de nombreux Mauriciens : « Aler Navin, aler Navin ! Zot fine roul nou mem ! » Tandis que John W. fustige les décalages entre classes sociales : « Li pé croire tou dimounn asizé dan aircon, alor li pé repousse pension à 65 ans. »
Nombreux sont aussi ceux qui expriment leur détresse d’avoir vu leurs plans de retraite s’effondrer brutalement. « Mo papa ena 59 ans. Li malade, so travail li pa kapav fer encore 5 ans. Zot pé dir li bizin atann juillet. Ki pou arrive li ? », écrit Akaash J. Ghee Ghee D. ajoute : « Mo ti fini faire mo plan pou mo retraite. Aster zot pé tire sa lespwar la dan mo la main. »
Une minorité approuve, mais se heurte à la réalité du terrain
Quelques rares internautes, comme Dana G., estiment qu’il ne faut pas compter sur l’État pour financer sa retraite. « Don’t depend on a government pension. Create your own retirement through saving and investing », écrit-elle. Mais cette prise de position, jugée élitiste, suscite des réactions immédiates. « Sa bon pou enn dimounn ki gagne bon salaire. Enn dimounn ki fini dan la misère, li kapav pas épargner du tout », rétorque Kevin N. VikTim A. conclut sèchement : « Alle dir sa enn maçon. Guet ki li dire ou. »
Quelques internautes appellent malgré tout à des solutions intermédiaires, plus humaines. Marie Annette O. plaide pour une approche différenciée : « Pas tou dimounn pou kapav pran retraite à 65 ans. Bizin ena options selon travail et la santé. » Manoj Durga, de son côté, propose que cette réforme soit « optionnelle, pas obligatoire. Sakenn bizin kapav choisir selon so situation. »
Un climat politique sous tension
Alors que la mesure sera mise en œuvre de manière progressive sur cinq ans, certains y voient déjà un virage impopulaire majeur. « Zot ti promette changement, zot fine amène soufrance. Prochain election, zot pou ress bien coze ar ban vieux », lance Rosie Rosette. Shervine Bolaky ironise sur un scénario électoral bien connu : « Prochain parti pou promet pension à 55 ans. Zot pou gagne 60-0. »
Si la réforme visait à assurer la viabilité du système de pension à long terme, elle semble aujourd’hui avoir réveillé de profonds ressentiments populaires. Et les prochaines semaines diront si cette mesure devient un point de ralliement pour les contestations sociales et politiques à venir.
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Une réforme saluée par les professionnels
La réforme de l’âge de la retraite, longtemps repoussée, est enfin actée. Le gouvernement a annoncé un relèvement progressif de l’âge d’éligibilité à la Basic Retirement Pension (BRP) à 65 ans, ainsi qu’une refonte de la Contribution Sociale Généralisée (CSG). Cette annonce, jugée politiquement risquée, mais financièrement incontournable, est accueillie avec soulagement par les professionnels du secteur public, les actuaires et les assureurs.
Du côté de Business Mauritius, l’heure est à la reconnaissance d’une bataille enfin entendue. Son président, Anil Currimjee, et son CEO, Kevin Ramkaloan, rappellent que cette réforme figurait parmi les recommandations clés du secteur privé depuis 2020. Pour eux, c’est un signal clair de rigueur budgétaire et un choix de responsabilité dans un contexte démographique de plus en plus contraignant.
Chez les actuaires, le ton est plus direct. Samuel Jeeban, de Aon Solutions, parle d’une « bombe à retardement enfin désamorcée ». Selon lui, les projections les plus pessimistes se sont confirmées, et le système de pension risquait l’effondrement si rien n’était entrepris. La décision de repousser l’âge de la BRP est, certes, difficile à faire accepter, mais elle est essentielle à la survie du modèle mauricien.
Le secteur de l’assurance salue également ce tournant. Le secrétaire de l’Insurers’ Association of Mauritius, Vashish Ramkhelawon, voit dans cette annonce les prémices d’une réforme cohérente et holistique. Pour lui, il était urgent de remettre la logique contributive au centre du dispositif, d’aligner les régimes du public et du privé, et de redonner de la visibilité à l’avenir des retraites.
En filigrane, tous s’accordent à dire que cette réforme arrive tard, mais qu’elle permet enfin de replacer la soutenabilité au cœur du pacte social mauricien.