Un budget de rigueur, pas d’équité

ABDEL KURREEMBUKUS

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Représentant de la Federation of Progressive Unions (FPU)

Le Budget 2025–26 affiche des objectifs ambitieux : transformation numérique, maîtrise des finances publiques, soutien à l’investissement.

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Mais une lecture attentive révèle un autre équilibre : recul de certaines protections sociales, ciblage plus strict des aides, report de l’âge de la pension de vieillesse. Ce budget fait peser des efforts significatifs sur les ménages modestes et les classes moyennes, tandis que les mesures fiscales touchant les grandes entreprises et les détenteurs de patrimoine restent limitées. Plus qu’un projet de cohésion sociale, il trace les contours d’une société plus inégalitaire, où les choix budgétaires manquent d’exemplarité politique.

 

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Une fiscalité moins équitable qu’elle n’y paraît

Le gouvernement introduit une nouvelle grille d’imposition progressive, avec un taux zéro jusqu’à Rs 500 000. Mais au-delà de ce seuil, la taxation grimpe rapidement à 10 %, ce qui pèsera davantage sur les classes moyennes.

Quant à la “Fair Share Contribution”, censée taxer davantage les très hauts revenus (au-delà de Rs 12 millions), elle a un effet essentiellement symbolique. Elle ne corrige en rien la faiblesse structurelle du système fiscal mauricien : l’absence d’imposition sur les grandes fortunes, la faible imposition des revenus issus du capital (dividendes, plus-values) et les avantages fiscaux dont bénéficient encore les grands groupes.

Une austérité sociale déguisée

Derrière l’habillage technocratique de ce budget, c’est bien une austérité sociale qui s’installe : les droits sociaux reculent, les protections se resserrent, et les efforts continuent de peser sur les classes populaires et moyennes. Plusieurs allocations essentielles, telles que CSG Child Allowance, Pregnancy Care Allowance, Housing Loan Relief Scheme, seront supprimées pour tous sauf les ménages inscrits au Social Register of Mauritius (SRM). Or, ce registre obsolète exclut des milliers de familles de la classe moyenne inférieure.

Dans les faits, ce sont ces classes moyennes inférieures, trop “riches” pour bénéficier des aides ciblées, mais pas assez pour supporter seules la hausse du coût de la vie, qui devront absorber la disparition de ces appuis.

La gratuité de l’enseignement supérieur est désormais restreinte aux étudiants à temps plein, pénalisant ceux qui doivent dorénavant travailler pour financer leurs études. Les aides pour les frais d’examen des redoublants deviennent conditionnées à l’inscription au SRM. C’est la méritocratie qui en fait les frais.

Le budget supprime aussi progressivement d’autres aides sociales, au nom de l’efficacité budgétaire.

Dans les faits, ces réductions frappent en priorité les familles modestes, les jeunes précaires, les retraités aux revenus modestes.

Un recul social brutal : l’âge de la pension repoussé à 65 ans

La décision de repousser l’âge de la Basic Retirement Pension (BRP) à 65 ans est l’un des reculs sociaux les plus graves de ce budget. Dans un pays où l’espérance de vie en bonne santé n’évolue pas significativement, cette mesure est une forme de cruauté sociale.

Pour des milliers de travailleurs, en particulier ceux du secteur informel ou des métiers pénibles, il sera physiquement impossible de prolonger leur activité jusqu’à 65 ans. Beaucoup n’ont pas de retraite complémentaire. La BRP représentait pour eux un filet de sécurité essentiel. La repousser revient donc à plonger une partie de la population âgée dans la précarité.

Cette réforme poussera indirectement les travailleurs vers les retraites privées, où les conditions d’accès et les coûts restent à la main des acteurs financiers. Une aubaine pour le secteur banque-assurance, qui y trouvera de nouveaux débouchés commerciaux.

Une exemplarité politique inexistante

Et pourtant, ceux qui votent ces sacrifices n’en partagent pas le fardeau. Le budget ne prévoit aucune réduction des allocations parlementaires, des pensions à vie des anciens ministres, ni des privilèges liés aux voitures de fonction, voyages, per diem ou fonds spéciaux.

La pension parlementaire reste l’une des plus avantageuses de la région : acquise après seulement deux mandats, cumulable. Aucune réforme n’est proposée.

Comment justifier qu’on supprime une allocation de Rs 2 000 à une mère de famille, alors qu’un député touche plus de Rs 200 000 par mois, avec chauffeur, téléphone, frais de communication et allocations diverses ? L’exigence d’effort est à deux vitesses.

Smart Cities

Les projets immobiliers de luxe bénéficient toujours des exonérations existantes, notamment dans les Smart Cities en cours, et les choix budgétaires n’apportent pas de réforme fiscale structurelle sur les rentes économiques. Ces enclaves de luxe ont bénéficié pendant des années d’exemptions fiscales massives : pas de TVA sur la construction, pas de droit d’enregistrement, pas de taxe sur les plus-values.

Le retrait partiel des incitations pour les nouveaux projets arrive trop tard. Les grands promoteurs ont déjà verrouillé leurs avantages. Sur les projets en cours, ils conservent leurs exonérations fiscales, le gouvernement ayant délibérément choisi de ne pas appliquer ce retrait de manière rétroactive. Ainsi, la spéculation foncière se poursuit et on institutionnalise la gentrification, la spéculation, l’accaparement du foncier.

Pire : la conversion massive de terres agricoles pour ce genre de projets a fragilisé notre sécurité alimentaire. La dépendance accrue aux légumes en conserve et surgelés en est un symptôme direct. L’exonération de TVA sur ces produits est une mesure hypocrite, qui ne compense en rien la destruction des filières agricoles locales.

Les travailleurs oubliés…

Malgré les promesses répétées du ministre du Travail, le Budget ne prévoit aucune avancée sur les véritables injustices dans nos lois. En particulier, le plafonnement de la définition de “worker” dans le Workers’ Rights Act, qui prive les salariés gagnant plus de Rs 50 000/mois de protections essentielles, demeure inchangé.

Ce silence n’est pas anodin : il laisse ouverte la porte à certains employeurs peu scrupuleux pour continuer à exploiter encore plus ces travailleurs en les excluant du droit aux heures supplémentaires, à la protection contre les abus, au respect du temps de travail. Cela revient à institutionnaliser cette exploitation à travers notre législation du travail.

Le fait de ne pas corriger cette injustice est un choix politique clair, au bénéfice des employeurs les plus influents et révèle un manque de courage manifeste pour assurer une meilleure protection aux travailleurs.

Pour conclure…

Ce Budget 2025–26 ne manque ni de structure, ni d’ambition technocratique. Mais il manque de justice et de courage politique. Il exige beaucoup des classes populaires et moyennes, pendant que les puissants continuent de préserver leurs privilèges.

Les ministres du gouvernement se félicitent d’avoir eu le courage de repousser la pension à 65 ans. Mais qu’ils sachent qu’il est surtout lâche de pousser les gens à travailler jusqu’à 65 ans, tout en préservant sans scrupules leurs propres avantages et pensions dorées. Un gouvernement qui impose des sacrifices doit commencer par se les appliquer. Sinon, ce n’est pas de la rigueur : c’est de la cruauté sociale maquillée en gestion responsable.

Plus que jamais, syndicats, associations, ONG et forces progressistes doivent faire entendre leur voix. Ce budget d’austérité sociale n’est sans doute qu’un premier pas : d’autres reculs pourraient suivre. Se taire, ce serait être complice.

 

« Malgré les promesses répétées du ministre du Travail, le Budget ne prévoit aucune avancée sur les véritables injustices dans nos lois. En particulier, le plafonnement de la définition de « worker » dans le Workers’ Rights Act, qui prive les salariés gagnant plus de Rs 50 000/mois de protections essentielles, demeure inchangé »

 

« Les projets immobiliers de luxe bénéficient toujours des exonérations existantes, notamment dans les Smart Cities en cours, et les choix budgétaires n’apportent pas de réforme fiscale structurelle sur les rentes économiques. Ces enclaves de luxe ont bénéficié pendant des années d’exemptions fiscales massives : pas de TVA sur la construction, pas de droit d’enregistrement, pas de taxe sur les plus-values »

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