Un médecin a-t-il ordonné de rédiger un certificat de décès sans aucune autopsie ?
Un flou entoure le décès d’un dialysé, Dhananand Beesoo, à l’hôtel Tamassa, le 7 avril 2021 sous le Ministerial Stewardship de Kailesh Jagutpal. Un médecin a-t-il refusé toute autopsie et ordonné d’inscrire une quelconque cause du décès sur son certificat de décès ? C’est ce qui a été révélé devant la Cour de district de Curepipe, hier, lors d’une nouvelle séance de l’enquête judiciaire pour faire la lumière sur les circonstances durant lesquelles sont morts douze dialysés, suivant des traitements dans des hôpitaux publics au plus fort de la pandémie de Covid-19.
Oomadevi Beesoo, une femme au foyer habitant à Baie-du-Cap, répondant aux questions du représentant du Directeur des Poursuites Publiques (DPP), Me Michel Ah Sen, a décrit depuis la barre des témoins les circonstances qui ont conduit au décès de son époux Dhananand Beesoo à l‘hôtel Tamassa à Bel-Ombre en 2021.
Dhananand Beesoo était le directeur d’une usine de textile, avant qu’il ne soit gravement atteint de plusieurs maladies. Il avait ainsi commencé à souffrir de diabète et hypertension, et à partir de 2019, d’insuffisance rénale. Il avait même eu une attaque cérébrale, et avait perdu certaines de ses facultés motrices, ce qui faisait qu’il dépendait sur sa famille pour subvenir à certaines de ses besoins. Il suivait un traitement de dialyse au New Souillac Hospital, sous la supervision du Dr Oozeerally, néphrologue.
Le 26 mars 2021, son épouse Oomadevi avait reçu un appel du ministère de la Santé. Suite à un exercice de Contact Tracing, les personnes qui suivaient le traitement de dialyse au New Souillac Hospital devraient être placées en quarantaine, et son mari figurait sur la liste.
Oomadevi Beesoo avait essayé d’expliquer au préposé que son mari ne pouvait aller en quarantaine, vu qu’il dépendait grandement sur d’autres personnes pour assurer ses besoins. Mais rien n’y fit. Le préposé lui avait expliqué que son mari n’avait pas d’autre choix que de suivre les directives.
Selon Oomadevi Beesoo, son mari dépendait principalement sur elle, qui ne le laissait jamais seule. Cette dernière lui préparait de quoi manger, lui donnait ses médicaments et lui instillait des gouttes dans l’œil, suite à une récente opération contre la cataracte. Il ne savait ainsi pas à quelle heure il fallait prendre ses médicaments.
Une fourgonnette était venue chercher son mari pour l’emmener à l’hôtel Tamassa. Selon Oomadevi Beesoo, il y avait déjà plusieurs personnes qui avaient pris place dans cette fourgonnette, sans le moindre Social Distancing. Plusieurs ne portaient pas de masques. Plus tard, elle avait appris que certaines de ces personnes étaient déjà infectées au Covid-19. Dhananand Beesoo était parti en emportant avec lui ses médicaments et ses gouttes pour son œil.
Ce n’est que le lendemain qu’elle avait pu rejoindre son mari sur son portable. Il se plaignait du fait qu’on lui servait des repas inappropriés pour un diabétique, dont du riz blanc. Selon Oomadevi Beesoo, son mari lui avait expliqué qu’il n’avait pas mangé convenablement pendant plusieurs jours. Mais elle n’était pas consciente de la gravité du problème. « Je ne m’explique pas comment le personnel de l’hôtel Tamassa n’avait pas constaté qu’il avait cessé de manger depuis un certain temps », a expliqué Oomadevi Beesoo en Cour.
Alors qu’il avait besoin de trois séances de dialyse par semaine, d’une durée de quatre heures chacune, il subissait des séances irrégulières d’une heure chacune. Une pratique pour le moins étrange dont Dhananand Beesoo avait fait part à sa femme : on lui donnait à manger en même temps que se déroulait la séance de dialyse. Avec le manque de nourriture et les séances irrégulières de dialyse, Dhananand Beesoo se plaignait à sa femme qu’il se sentait faible.
Ce n’est que le dixième jour de la mise en quarantaine de son mari à l’hôtel Tamassa, soit quelques jours seulement avant son décès qu’Oomadevi Beesoo avait été informée qu’elle avait la possibilité d’accompagner son mari en quarantaine pour s’occuper de lui. En outre, elle n’avait jamais été informée qu’elle pouvait lui apporter de la nourriture.
Le 6 avril 2021, Dhananand Beesoo avait subi une séance de dialyse et était retourné à hôtel Tamassa. Elle avait pu parler à son mari au téléphone. Avec de la colère et de l’amertume dans sa voix, il avait informé sa femme qu’il ne pourrait pas survivre longtemps dans ces conditions. En sanglotant, il avait dit à sa femme que « se mo kadav ki zot pou vinn rekipere ». Oomadevi Beesoo ne savait pas que c’était la dernière fois qu’elle parlait à son mari.
Selon elle, le 7 avril 2021, le personnel de l’hôtel Tamassa, en venant lui livrer son repas le matin, avait constaté qu’il ne répondait pas à leurs coups à la porte. Un médecin et deux infirmiers avaient ensuite pénétré dans la chambre, où ils avaient trouvé Dhananand Beesoo mort dans une chaise.
Le même jour, Oomadevi Beesoo avait reçu un appel pour le moins étrange : un préposé de l’hôtel Tamassa lui avait expliqué les procédures à suivre en cas de décès d’un proche, mais sans lui indiquer directement que son mari était mort ! Ce n’est que quand Oomadevi Beesoo avait insisté qu’elle ne connaissait personne qui était décédé du Covid-19 que la personne à l’autre bout du fil lui avait avoué que son mari était mort. Oomadevi Beesoo ne pouvait accepter cette nouvelle dans un premier temps, vu qu’elle avait pu parler à son mari la veille.
Elle avait suivi la fourgonnette qui transportait le corps de son mari vers le cimetière, dans la voiture d’un ami policier. Un religieux n’avait pu dire qu’une courte prière avant que Dhananand Beesoo ne soit incinéré.
Après son décès, tous les médicaments que Dhananand Beesoo avait emportés avec lui en quarantaine ont été remis à sa femme. À sa consternation, celle-ci avait constaté que ses médicaments étaient intacts, ce qui voulait dire que Dhananand Beesoo ne les avait pas pris.
Le comble dans ce drame : après trois tests PCR durant son séjour en quarantaine, Dhananand Beesoo avait toujours été testé négatif au Covid-19. Sa femme a exprimé son amertume en cour : selon elle, on aurait pu isoler son mari dans sa chambre à son domicile.
À une question de Me Ah-Sen qui lui avait demandé, selon elle, quelle était la cause du décès de son mari, Oomadevi Beesoo a expliqué qu’elle ne savait toujours pas quelle était la cause exacte du décès de son mari, mais elle est sûre que ce n’est pas le Covid-19, vu que son mari avait été testé négatif à trois reprises. Elle pensait ainsi que son mari était mort du stress d’être loin de ses proches et dans un milieu où l’on ne subvenait pas à ses besoins, de ses séances de dialyse irrégulières, du manque de nourriture adéquate, et le fait qu’il n’avait pas pris ses médicaments.
Se basant sur les faits déjà en sa possession, Michel Ah-Sen devait expliquer à la magistrate Shavina Jugnauth, qui préside cette enquête judiciaire, qu’un médecin affecté à l’hôtel Tamassa avait demandé une autopsie au médecin responsable de l’hôtel Tamassa, avant qu’il ne soit convoyé vers le cimetière mais un autre médecin, le Dr. D., est intervenu et a refusé toute autopsie. Il a ordonné au premier médecin d’inscrire dans le certificat de décès que la cause de la mort était un « cardio-pulmonary arrest ».
Oomadevi Beesoo avait ensuite répondu aux questions de Me Veda Baloomoody, qui représente les intérêts de certaines familles des décédés. Elle a confirmé avoir expliqué au préposé du ministère de la Santé qui avait dit que son mari devait partir en quarantaine et qu’il avait besoin de prendre des médicaments. Elle a aussi confirmé qu’aucun membre du personnel de l’hôtel Tamassa n’était venu pour l’aider à prendre ses médicaments. Personne de cet hôtel n’avait pris contact avec elle pour lui communiquer que son mari avait cessé de prendre de la nourriture à un moment donné.
Le fils de Dhananand Beesoo, Shyland Beesoo, avait ensuite pris place à la barre des témoins, juste après sa mère. Ce dernier est établi en France, mais du 26 mars au 6 avril, il était à Maurice, aux côtés de sa mère. Le 7 avril, alors qu’il avait pris son vol pour Paris, il avait appris le décès de son père en plein vol.
Ce dernier a expliqué que son père, qui avait subi une opération à l’œil pour la cataracte, ne voyait pas bien, et avait besoin d’aide pour pouvoir instiller les gouttes dans son œil. Selon lui, aucun membre du personnel de l’hôtel Tamassa n’avait aidé son père dans cette tâche. Ces derniers lui avaient expliqué que c’était là le fameux « protocole », et qu’ils devaient garder leur distance vis-à-vis du malade.
Une fois, ayant refusé le riz blanc qu’on lui avait servi, totalement inapproprié pour un diabétique, le personnel de l’hôtel lui avait donné du pain et de la confiture, en guise de « foutan » selon son fils. Des fois, le personnel frappait à la porte de sa chambre et laissait la nourriture par terre devant la porte avant de s’en aller, sans s’assurer qu’il prenait bien ses repas. Des fois, il sortait de sa chambre pour chercher un médecin, se plaignant de douleurs, mais lui avait crié de regagner sa chambre.
La magistrate Shavina Jugnauth a alors mis fin à la séance. Cette affaire reprendra lundi avec l’audition d’un autre témoin.