Ceux qui fêteront cette année-ci leurs 60 ans peuvent encore prétendre savoir ce qu’est le poukni. À cette époque-là, soit à la veille de l’accession du pays à l’indépendance, la cuisinière à foyers électriques était plus qu’un luxe. Cet équipement électroménager ne figurait même pas dans les vitrines des rares magasins spécialisés. N’est-il pas vrai que l’enseigne Mammouth ne célèbre que ses 40 ans cette année, encore loin de la marque pour aspirer à bénéficier de la Basic Retirement Pension (BRP)?
Le four à gaz, quasiment incontournable dans les ménages d’aujourd’hui, jouait encore aux abonnés absents. Le réchaud à charbon n’était pas à la portée de tous. Sinon, il fallait s’approvisionner en charbon, vendu en tin-pot chaque matin, avec le marsan sarbon poussant sa charrette devant la porte de ses clients potentiels. Le seul moyen de cuire quotidiennement pour les membres de la famille était le foyer à bois, avec trois roches bien calées dans un coin d’une cuisine de fortune, colmatée avec des feuilles de tôle délabrées. Le bois était facilement accessible à l’époque !
Le diksioner morisien d’Arnaud Carpooran donne la définition bull’s-eye de lakwizinn d’antan, à savoir lepok lontan andeor sak lakwizinn dimounn ti ena enn foye, voulant dire enn ti amenazman ek ros kot met dibwa ouswa sarbon brile pou kwi manze.
Le tour était joué pour la mère de famille avec pour responsabilité de nourrir la famille. À cette même époque, le taux de participation active dans l’économie des femmes était encore très bas. Sauf dans quelques rares activités comme dans les champs ou dans l’élevage. Tout cela sans aucun jugement de valeur au niveau des genres. C’était la réalité qu’ont vécue ceux qui ont déjà fêté leurs 60 ans ou qui se préparent ces jours-ci à célébrer cette étape majeure dans la vie de tout individu.
Mais où est la pertinence du poukni par rapport au débat savant sur l’introduction de la BRP à 65 ans au lieu de 60 ans ? Est-on en droit de se demander dans la conjoncture où l’expression lakwizinn semble s’estomper dans le lexique politique ? L’image de cette cuisine d’antan n’en était pas complète s’il n’y avait pas ce fameux poukni posé à côté du foyer. Le poukni était un long tuyau en métal, utilisé par les ménagères pour raviver les flammes du feu de bois, qui avaient tendance à s’éteindre sous les cendres générées par le bois consume.
Avant l’avènement du four à foyers électriques ou à gaz d’aujourd’hui, la vertu principale de l’incontournable poukni de la ménagère était de permettre de raviver un feu à des airs anémiques. Donc, l’annonce dans le premier budget 2025/26 de L’Alliance du Changement portant l’âge d’éligibilité pour la basic retirement pension de 60 à 65 ans, que le Premier ministre et ministre des Finances a sorti de son chapeau de relance économique dans une tentative de remplir lakes vid, comporte les caractéristiques du poukni politique idéal après le verdict sans appel des urnes du 10 novembre 2024.
Sur l’échiquier politique, la réforme du système de pension, un des piliers de l’état-providence, est inscrite en filigrane des préoccupations socio-économiques depuis au moins 2008 — feu le syndicaliste Rashid Imrith, qui faisait partie de la première contre-offensive de la BRP à 65 ans, n’en démentira nullement où il se trouve —. Au cours de ces 17 dernières années, la question a été emmitouflée politiquement même si la bombe à retardement du vieillissement de la population se faufilait de temps à autre à la Une de l’actualité à l’occasion de la session annuelle des articles IV des consultations du Fonds Monétaire International (FMI).
Cette semaine, ou mieux encore la Special Cabinet Meeting du jour consacrée au dossier de la réforme de la pension envisagée pour injecter une dose de long-term sustainability en dépit des short-term gains cruels pour ceux qui sont nés après le 1er septembre 1965, confirmera si la BRP à 65 ans a le potentiel de se transformer en poukni politique pour « rallumer le feu d’un ancien volcan », comme le déclame avec ferveur Jacques Brel dans une de ses plus célèbres compositions.
La BRP à 65 ans, avec cette grogne au plus profond des foyers à Maurice, affectant non seulement ceux qui sont à la veille de leurs 60 ans mais aussi cette cohorte de jeunes rejoignant le monde du travail aujourd’hui, qui voient en ces 65 ans comme le temps d’une éternité, mérite mieux que d’être traitée au poukni politique.
Les appels à la consultation générale — qui, semble-t-il, a fait défaut lors des étapes pré-budgétaires — se multiplient, dont le dernier en date émane subtilement de l’intérieur de l’Alliance du Changement, demeurent la chance de classer au musée de l’histoire ce poukni politique brandi pour rallumer des braises transformées en cendres.
Depuis son installation au pouvoir, l’Alliance du Changement n’arrête pas de parler de bridge. La question qui se pose n’est-elle pas que la BRP à 65 ans s’avère être a bridge too far pour l’instant et que we’ll cross that bridge when we come to it ? Cela même si chacun sait que Moody’s Investors a déjà mis en garde contre les Execution Risks dans la mise en pratique de l’ambitieux plan de redressement économique s’échelonnant sur les trois prochaines années.