Enquête judiciaire sur la mort de 12 dialysés — Une proche en Cour : « Que les autorités assument leurs responsabilités ! »

Nouvelle séance de l’enquête judiciaire en Cour de district de Curepipe, mardi, pour faire la lumière sur les circonstances durant lesquelles sont morts douze dialysés au New Souillac Hospital durant la pandémie de Covid-19. Deux témoins ont décrit les souffrances de leurs proches à cet hôpital. Jennifer Hart, une télésecrétaire médicale habitant Tyack, a été appelée à la barre des témoins, où elle a répondu aux questions de Me Michael Ah-Sen, le représentant du Directeur des poursuites publiques (DPP). Elle a décrit la triste fin de sa mère, Nicole Hart.
Cette dernière, une retraitée de 63 ans habitant Tyack, souffrait de problèmes rénaux et gastriques, et d’hypertension. Elle souffrait d’une complication atypique, qui faisait qu’elle ne pouvait uriner normalement. C’était la dialyse qui la maintenait en vie. Elle avait besoin de trois séances de dialyse par semaine, d’une durée de trois heures chacune, traitement qu’elle suivait au New Souillac Hospital.
Le 28 mars 2021, elle avait été placée en quarantaine à l’hôtel Tamassa à Bel-Ombre, suite à un exercice de Contact Tracing. Un infirmier du service de dialyse du New Souillac Hospital avait été testé positif à la Covid-19. , À l’hôtel Tamassa, elle avait pu rester en contact avec sa fille Jennifer, grâce à son téléphone portable. Elle avait ainsi pu décrire à sa fille comment on servait les repas aux patients. Le personnel de l’hôtel se contentait de frapper deux coups à la porte et partait, laissant le repas par terre, devant la porte. Les plats n’étaient absolument pas adaptés à ses complications médicales.
Le 3 avril 2021, ayant été testée positive à la Covid-19, elle avait été admise dans la salle d’isolation du New Souillac Hospital. Elle devait en principe reprendre ses séances de dialyse à cet hôpital. Mais un problème de taille devait alors surgir. Elle avait une fistule (connexion anormale entre deux vaisseaux), et l’ancien personnel du service de dialyse savait comment s’y prendre pour relier ses vaisseaux sanguins à l’appareil de dialyse.
Ce qu’a dénoncé sa fille en Cour : l’hôpital ne l’informe nullement de ce problème. Ce n’est que quand elle avait téléphoné à sa mère qu’elle avait su ce qui se passait. Un autre parcours du combattant devait attendre Jennifer Hart, avant de pouvoir joindre un préposé du New Souillac Hospital.
Me Ah-Sen (MA) : L’hôpital est-il entré en contact avec vous pour vous informer de ce problème ?
Jennifer Hart (JH) : C’est moi qui ai dû téléphoner à l’hôpital pour savoir ce qui se passait. On ne m’a jamais téléphoné, ni à mon frère, alors qu’on avait nos coordonnées. C’est à ma mère qu’on a dit qu’on ne pouvait la faire subir de dialyse. Il n’est pas normal que c’est moi qui dois téléphoner à l’hôpital.
MA : Le personnel du New Souillac Hospital vous avait informée qu’il ne pouvait procéder aux séances de dialyse avec votre mère, vu qu’on ne trouvait pas de veine appropriée ?
JH : Oui.
MA : A-t-on envisagé la possibilité de vous envoyer vers un autre hôpital ?
JH : On l’avait envoyée à l’hôpital de Rose-Belle
MA : La même chose s’est produite là-bas.
JH : Oui.
Nicole Hart avait été transférée à l’hôpital Jawaharlal Nehru, à Rose-Belle, qui disposait en principe de plus de facilités, mais le personnel de cet hôpital devait aussi s’avouer vaincu face à la fistule de Nicole Hart.
Retour au New Souillac Hospital ou d’autres tentatives de dialyse devaient se révéler infructueuses. Le 10 avril 2021, on lui avait intimé de demander à sa famille de venir la récupérer, en ces termes « Degaze, dir ou fami vinn pran ou, MBC pe vini la. » Le personnel du New Souillac Hospital voulait sans doute se montrer sous un bon jour devant les caméras…
MA : Le 10 avril 2021, elle avait reçu sa décharge de l’hôpital, sans aucune dialyse.
JH : Oui.
MA : Quel était le nom du médecin traitant ?
JH : Je l’ignore.
MA : Qui avait ordonné qu’elle soit déchargée ?
JH : Je l’ignore.
Une fois qu’elle avait reçu sa décharge du New Souillac Hospital, ce sera deux semaines d’enfer pour Jennifer et d’autres membres de sa famille. En deux occasions distinctes, on l’avait emmenée au New Souillac Hospital pour de nouvelles tentatives de dialyse, mais qui vont se révéler infructueuses, sauf pour une séance incomplète d’environ une heure.
Nicole Hart suffoquait, au grand désespoir de sa famille, qui ne savait que faire. Le 26 avril 2021, son état s’étant considérablement aggravé, les membres de sa famille l’ont fait admettre à l’hôpital de nouveau, où d’autres tentatives de dialyse vont se révéler infructueuses.
Deux jours plus tard, soit le 28 avril 2021, elle devait mourir. À ce moment, n’étant plus positive au Covid-19, sa famille a pu l’inhumer au cimetière de Souillac, avec seulement 10 personnes présentes.
MA : Elle ne bénéficiait plus de ses séances de dialyse, et les choses se sont empirées.
JH : On lui avait donné un médicament à boire
MA : Pensez-vous qu’elle est morte à cause des soins qui n’ont pas été administrés ?
JH : Oui. C’était une chose que l’on pouvait éviter. Elle a vécu trois ans sous dialyse, sans aucun problème
On refuse de le mettre sous oxygène
Jyoti Jeebun, une retraitée habitant Souillac, a ensuite été appelée à la barre des témoins. La famille Jeebun a retenu les services de Me Nirmal Busgopaul. Mahadoo Jeebun avait commencé la dialyse en 2023. Il souffrait aussi de problèmes rénaux et d’hypertension. Citait une personne active, même après qu’il avait cessé son travail dans les hôtels, vu son traitement de la dialyse. Il faisait même de la plongée sous-marine. Il avait besoin de trois séances de dialyse par semaine, de 4 h chacune.
Il avait subi sa dernière séance de dialyse le 25 mars 2021. Le lendemain, sa femme avait reçu un appel du New Souillac Hospital suite à un exercice de Contact Tracing.
MA : Il avait subi des séances de dialyse ?
Jyoti Jeebun (JJ) : Oui, le 29 mars, une séance d’une durée de deux heures seulement.
MA : Vous avez pu parler à votre mari ce jour-là ?
JJ : Oui. Il ne paraissait pas en forme. Un homme était mort à l’hôtel. Cela l’a affecté. Il était au troisième étage et éprouvait des difficultés à monter et à descendre.
MA : Que vous a-t-il dit le 30 mars ?
JJ : C’était un appel vidéo. Son visage était gonflé, à cause des séances incomplètes de dialyse.
MA : Il avait informé le personnel de l’hôtel Tamassa ?
JJ : Les infirmières ne passaient que quand il fallait effectuer des tests PCR. Elles ne passaient pas tous les jours.
Le 2 avril, Mahadoo Jeebun avait été testé positif au Covid-19, et transféré le même jour au New Souillac Hospital.
MA : Vous avez pu parler à votre mari ?
JJ : Oui. Il était dans une salle malpropre, avec plusieurs personnes, sans distanciation.
MA : A-t-il reçu un quelconque traitement contre le Covid-19?
JJ : Oui. Deux comprimés de Panadol, matin, midi et soir.
MA : Il a reçu la visite de médecins et des infirmières ?
JJ : Oui. Le matin seulement.
MA : Vous connaissez le nom du médecin ?
JJ : Non.
MA : Que faisaient les patients pour alerter le personnel médical en cas d’urgence ?
JJ : Ils devaient frapper à la porte de la salle des infirmiers.
MA : Quand avez-vous parlé à votre mari ?
JJ : Le 6 avril. Il m’avait demandé de lui apporter un peu d’eau. Personne ne lui donnait d’eau.
MA : Que vous a-t-il dit sur son état de santé ?
JJ : Il s’était détérioré. Le 5 ou le 6 avril, il avait dit au médecin qu’il ne pouvait plus respirer. Le médecin avait ordonné de le mettre sous oxygène. Les infirmières n’avaient pas obéi à cet ordre et avaient dit à mon mari Kan al fer dializ pou met oksizenn. Après les séances de dialyse, elles disaient qu’il était trop tard pour lui donner de l’oxygène.
MA : Quelqu’un vous avait-il informé de son état de santé ?
JJ : Non, il n’y a eu aucun appel de l’hôpital.
MA : Quand avez-vous parlé pour la dernière fois à votre mari ?
JJ : Le 7 avril, il m’avait dit qu’il ne pouvait plus respirer et ne pouvait plus marcher. Mon beau-fils avait alors téléphoné à l’hôpital. On lui avait affirmé qu’on allait le voir. Mais personne n’était allé le voir, m’avait-il dit par la suite. Mon beau-fils avait alors pris contact avec un médecin personnellement qui était allé le voir. Mon mari m’avait affirmé qu’il s’était senti soulagé par la suite.
MA : C’est-à-dire, si vous ne l’avez pas appelé, personne n’aurait rien fait.
Le témoin éclate alors en sanglots. La magistrate Shavina Jugnauth ordonne alors une suspension de séance d’une quinzaine de minutes.
MA : Avez-vous pu lui parler par la suite ?
JJ : Vers le 8 avril, il avait cessé ses appels.
MA : Il est mort le 11 avril 2021 ?
JJ : Oui.
MA : Entre le 8 et le 11, quelqu’un du New Souillac Hospital vous avait-il appelé ?
JJ : Non, c’était moi qui appelais l’hôpital une fois par jour.
MA : Qui vous a informé du décès de votre mari ?
JJ : L’hôpital.
MA : Vous avez pu respecter les rites ?
JJ : Oui. Un pandit a pu dire des prières.
MA : Veuillez décrire les conditions de transport depuis l’hôtel Tamassa jusqu’au New Souillac Hospital ?
JJ : C’était dans une fourgonnette. Plusieurs personnes ne portaient de masque.
MA : Est-il possible qu’il ait contracté le Covid-19 au New Souillac Hospital ?
Me Ah-sen lui a alors demandé s’il avait quelque chose à dire, et elle a réclamé que les responsables assument leurs responsabilités, pour que d’autres personnes n’aient pas à souffrir comme elle-même et sa famille.

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