Les innocents payent pour les coupables



Au terme de deux semaines de débats sur le budget largement dominé, il est vrai, par les orateurs de la majorité gouvernementale, alors que les dotations budgétaires sont examinées méticuleusement par les parlementaires, l’impression générale dans le pays est que l’heure est au sacrifice pendant les deux ou trois prochaines années. Fini donc le temps des illusions monétaires, de la dépréciation constante de la roupie, de l’inflation galopante avec la hausse des prix qui minait la vie des ménagères et les Mauriciens en général, mais qui, en raison de la TVA, permettait d’alimenter les caisses de l’État. Maintenant, on sait que ce cycle infernal nous conduit au bord du précipice et il ne tient qu’à un fil pour qu’on ne bascule pas dans le vide.
Tout le monde connaît par cœur désormais la situation des fondamentaux économiques : déficit budgétaire de 9,8% (Rs 70 milliards), dette publique de Rs 642 milliards (90% du PIB), service de la dette à Rs 21,8 milliards, soit l’équivalent du budget du ministère de l’Éducation et celui de la santé. La gestion économique a été douteuse, des abus ont été commis et l’argent des contribuables a été canalisé vers des membres des familles proches du précédent gouvernement, comme le relèvent les nombreux cas étudiés actuellement par la FCC. Les révélations troublantes ne cessent de mettre au grand jour les pratiques de certains ministres censés être les gardiens et les gestionnaires des fonds publics.
Le Premier ministre et ministre des Finances ainsi que le ministre du Logement a cité quelques exemples au Parlement cette semaine et a fait comprendre que ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. « The MSM has committed economic vandalism », lançait jeudi le Premier ministre et ministre des Finances, Navin Ramgoolam. Le DPM Paul Bérenger ajoutait que « le MSM a commis des crimes. Nous avons hérité après dix ans d’un pays en ruine ». Pour combler le tout, Shakeel Mohamed affirmait pour sa part que « ce sont eux les vrais coupables. ».
Pour sa part, Ashok Subron avait déclaré que l’ancien gouvernement du MSM était coupable d’avoir « assassiné » le Fonds national de pension qui comprenait aussi bien la contribution des employés que celle des employeurs. En fin de compte, on est tenté de dire que, face à cette culpabilité généralisée de l’ancien régime, aujourd’hui ce sont les innocents du plus haut de l’État au plus bas de l’échelle salariale qui paient les pots cassés.
Les innocents payent pour les coupables. C’est ce sentiment généralisé que les autorités gouvernementales sont appelées à gérer et qui se manifeste dans les débats autour du report de l’éligibilité de l’âge à la pension de vieillesse de 60 à 65 ans.
Sans doute, il faut se mettre à la place de ceux qui sont à la veille de toucher leur pension de vieillesse et de ceux qui seront les premiers à attendre 2030 pour avoir leurs premières allocations de pension, pour comprendre ce que peut ressentir le commun des mortels à faible revenu qui pensait mettre un peu de beurre dans les épinards alors qu’à 60 ans les énergies commencent à faiblir.
Il a fallu attendre les explications du Premier ministre et du Premier ministre adjoint pour entendre la bonne nouvelle, qui n’a pas été mise en valeur suffisamment ou a été noyée au milieu d’un océan d’explications justifiées certes : tout le monde ne sera pas logé à la même enseigne. Ceux qui font un “hard labour” comme les maçons, les travailleurs manuels, les femmes ménagères à la maison, ceux qui sont au bas de l’échelle salariale pourront bénéficier de leur pension dès l’âge de 60 ans. On espère que les recommandations des deux comités présidés respectivement par le Premier ministre et par le ministre de la Sécurité sociale, qui sont appelés à fusionner, pourront créer ce feel good factor dont a besoin la population.
Les parlementaires qui ont reconnu la nécessité de faire un geste de solidarité doivent pouvoir annoncer au plus vite la forme que prendrait cet acte de sacrifice. Par exemple, ceux qui ont plus de deux mandats et qui ont droit à une pension de vieillesse devraient accepter de la verser dans un fonds quelconque. Finalement, faisons un rêve fou, à savoir que tout l’argent mal acquis par les coupables de l’ancien régime puisse être récupéré et versé dans le fonds national de pension qui devrait être relancé…

Jean Marc Poché

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