Maurice, île durable pour tous – Propositions pour un littoral juste et vivant : L’Etat doit récupérer de l’espace pour tous

Monsieur le Premier Ministre,

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Nous appelons à l’ouverture d’un dialogue sincère et constructif, afin d’agir ensemble avec lucidité, responsabilité et vision pour l’avenir de notre territoire. En mettant de l’ordre sur le littoral, nous enclencherons un effet structurant, bénéfique à l’ensemble du pays : pour la justice sociale, la résilience écologique et la paix sociale. Nous ne faisons qu’une seule et même cause : celle d’un territoire partagé, vivant, et pour plus d’équité. 

Nous avons formulé une proposition de transformation en profondeur de notre rapport au littoral dans la façon dont nous l’aménageons, le protégeons et y vivons à travers un Manifeste pour le Littoral Mauricien. Ce document, que nous avons partagé lors des dernières élections et dans le cadre des consultations pré-budgétaires. En voici quelques-unes :

  1. L’État doit d’abord commencer par maîtriser son foncier. Nous ne devons plus permettre de construction sur les Pas Géométriques. Il est urgent de stopper l’hémorragie : restaurer les accès publics aux plages, rivières et zones humides, interdire toute nouvelle construction sur les Pas Géométriques encore non bâtis. Ces zones de transition fragiles et inaliénables doivent redevenir des biens communs. Elles doivent être reconnues comme des zones tampons essentielles contre l’érosion et les risques climatiques.
  2. Créer un réseau de parcs côtiers régionaux accessibles à tous. Ces parcs, véritables outils de régénération écologique, de cohésion sociale et de résilience climatique, pourraient s’étendre par exemple du sud de l’île (de Gris-Gris à La Cambuse), aux falaises d’Albion ou encore à Roches Noires. 
  3. Développer un Sentier du Littoral. Ce sentier serait un trait d’union entre les habitants, les mémoires et les milieux naturels. Le sentier du littoral en question, est pensé comme une épine dorsale de justice territoriale et écologique et doit permettre à chaque habitant, d’où qu’il vienne de reconnecter avec son île, à pied, librement, dans le respect du vivant. Le Royaume-Uni, la France et même l’île Sœur ont déjà amorcé de tels projets. Pourquoi pas nous ?.
  4. Créer une Autorité du Littoral. Une institution dédiée, dotée de moyens humains (gardes, rangers) et techniques, et capable de coordonner l’aménagement, la protection et la valorisation du littoral avec une expertise publique forte et indépendante.
  5. Réparer, restaurer, inclure : bâtir une société plus juste

Une société véritablement durable ne peut se construire sur l’exclusion et l’oubli, mais sur la réconciliation avec nos lieux, nos histoires et nos engagements communs.

À la croisée des défis climatiques et sociaux, la question foncière cristallise aujourd’hui, les profondes inégalités historiques qui freinent l’émergence d’un développement véritablement inclusif, équitable et durable. Ce n’est pas une question marginale : c’est un enjeu national, au cœur de la justice sociale.

Et pourtant, cela fait plus d’une décennie que le rapport de la Commission Justice et vérité présidée par le regretté Alex Boraine, dort dans les tiroirs de l’État. Ce silence prolongé alimente un sentiment d’abandon, d’injustice et d’exclusion. En tant qu’acteurs de la société civile, plus nous avançons dans notre parcours pour contribuer à avoir un littoral plus juste et apaisé, plus les recommandations de cette Commission résonnent avec force et semblent incontournables.

Nous sommes convaincus, au vu des réalités du terrain et des nombreuses voix que nous entendons, que l’intégration de cette démarche de réparation et de reconnaissance est nécessaire dans la future Stratégie nationale d’aménagement du territoire annoncée dans le Discours du Budget 2025-26. Il faut en finir avec une logique de développement par cloisonnement, qui déconnecte les populations locales de leur territoire, sans leur offrir ni autonomie, ni sécurité, ni perspectives.

Cette « dépossession » foncière, insidieuse mais constante, empêche l’épanouissement des communautés et leur capacité à construire un avenir. 

Depuis la transformation du modèle « vilaz tablisman », il y a eu bien des promesses pour encourager le développement de petites et moyennes entreprises dans ces régions. Mais sur le terrain, il n’en est rien. Où développer ces activités ? Sur les toits des maisons, déjà trop petites pour des familles entassées? Dans des villages frappés de plein fouet par la précarité historique et aujourd’hui par l’urgence climatique? 

Il est temps d’entendre ces réalités.

Là où l’État ne dispose plus de terres pour répondre aux besoins de communautés saturées, il devient urgent d’envisager la réaffectation de certaines parcelles privées à des usages collectifs. Cela permettrait de créer des zones de régénération communautaire, fondées sur l’habitat durable, les petits élevages, l’agriculture régénérative, l’écotourisme local et les futurs besoins de relogement. Il est aussi essentiel de rétablir l’accès aux espaces de nature autrefois accessibles. La Truth and Justice Commission avait d’ailleurs recommandé la création d’une Land Bank : une réserve foncière pour l’agriculture et l’entrepreneuriat. Une telle mesure ouvrirait enfin des perspectives concrètes à celles et ceux qui n’ont pas de terre, pour produire, cultiver et entreprendre dans la dignité.

Il ne s’agit pas ici de revanche, ni de relecture passéiste de l’histoire. Il s’agit de réparer, de restaurer, d’inclure. Il s’agit de construire une société mauricienne plus juste, plus cohérente avec ses valeurs proclamées de justice, d’égalité et de vivre-ensemble.

Maurice a cette chance rare : une richesse culturelle plurielle, une jeunesse engagée et des communautés encore résilientes malgré les pressions qui pèsent sur elles. Il est de votre responsabilité historique, Monsieur le Premier Ministre, de reconnaître cette urgence et d’y répondre avec la hauteur d’âme qu’exige un véritable leadership d’État. 

  1. Une révolution juridique, sociale
    et éthique

Vous l’avez annoncé, Monsieur le Premier Ministre : notre pays s’apprête à franchir un tournant majeur avec l’intégration des Droits de la Nature dans notre Constitution. C’est, en effet, l’un des projets de société les plus ambitieux et transformateurs de ces dernières décennies.

Reconnaître la Nature comme sujet de droits et non plus simplement comme ressource à exploiter change profondément notre rapport au territoire, à l’aménagement, à l’économie, à la justice, et même à la citoyenneté.

Cela nous oblige à repenser nos lois, nos politiques publiques, nos usages du sol et de la mer. Cela nous invite à revoir nos modèles de développement à travers le prisme de l’interdépendance entre les humains et les écosystèmes. Cela signifie aussi redonner une place centrale aux savoirs traditionnels, aux liens culturels et affectifs que nous entretenons avec nos rivières, nos lagons, nos forêts, nos montagnes.

C’est une révolution juridique, mais aussi éthique et sociale. Vous avez d’ailleurs annoncé la création d’une Just Transition Commission. Portera-t-elle enfin la rupture nécessaire avec un modèle de développement aliénant, destructeur et profondément injuste ? 

Et dans ce cadre nous avons besoin d’un National Development Strategy for Land Use Planning cohérent avec les priorités climatiques et sociales du pays. Cette stratégie devra :

l Aligner l’urbanisme, en particulier côtier, sur les limites écologiques et les droits des générations futures. La côte ne peut plus être un front de spéculation.

l Mettre en œuvre les recommandations oubliées de la Truth and Justice Commission, notamment en matière de restitution et d’accès équitable à la terre — condition sine qua non d’une véritable réparation historique. Cela permettra enfin de reconnaître les droits des communautés historiquement marginalisées et de répondre, dans le même élan, à un droit fondamental d’habiter un territoire sûr et digne. Nombre d’entre elles vivent aujourd’hui dans des zones vulnérables, exposées aux inondations, aux glissements de terrain, ou à l’érosion côtière. Ne fermons pas les yeux sur le déracinement qui les guette si nous ne planifions pas dès aujourd’hui des relocalisations justes, participatives, et respectueuses de leurs attaches.

l Garantir l’accès à la terre et au logement pour les jeunes, les familles modestes et les habitants des villages, dans un esprit de justice intergénérationnelle et d’équité territoriale.

l Valoriser les économies locales, les savoir-faire traditionnels, l’agriculture paysanne, la pêche artisanale et les formes d’habitat et de tourisme durables, qui enracinent la population au territoire et participent à sa résilience.

Après des années de mobilisation pour ce littoral devenu une peau de chagrin, nous nous retrouvons aujourd’hui dos au mur, face à un constat implacable : l’île Maurice nous échappe peu à peu, grignotée par les intérêts privés, déséquilibrée par des choix d’aménagement à court terme. Et aujourd’hui, même les touristes nous boudent, déçus par un modèle qui a oublié l’essentiel : la beauté partagée, l’hospitalité sincère, et le lien vivant entre territoire et population. 

Le temps ne joue pas en notre faveur. Nous sommes encore bien loin d’être prêts à affronter pleinement les impacts des changements climatiques. Les cyclones nous ont jusqu’ici épargnés, mais il ne faudra pas compter sur cette « chance » éternellement.

Il est urgent d’agir, avec vision et responsabilité, pour bâtir une île résiliente, capable de protéger son territoire, ses communautés, et son avenir.

FIN


CARINA GOUNDEN
Au nom des citoyennes et citoyens engagés
de la plateforme Aret Kokin Nu Laplaz 

 

 

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