Dans son message à la nation le 12 mars dernier, le Premier ministre s’engageait à venir devant la population « presque tous les 100 jours » pour faire le bilan de ce qui a été accompli dans les trois mois précédents. Cette promesse tarde à se matérialiser tout comme celle faite le 24 janvier dans le discours-programme de mettre sur pied un comité de révision constitutionnelle.
Dans le cas de cette structure, c’est probablement l’appel à quelques compétences extérieures qui freine sa composition. Mais qui connaît mieux et qui a pratiqué le plus la loi suprême du pays si ce ne sont les professionnels de la loi qui exercent depuis 1968 et qui sont, sans aucun doute, les plus qualifiés pour se pencher sur son indispensable évolution.
Une autre promesse qui était attendue et qui semble être tombée dans les oubliettes est la mise sur pied d’un Selection Committee pour procéder aux nominations à des postes-clé. Si certaines nominations post-électorales étaient urgentes, on ne comprend pas, en revanche, les raisons pour lesquelles ce n’est pas ce comité, après huit mois de gouvernance, qui ait été appelé à viser certains choix vraiment discutables.
On ne parle pas ici de ces « retourneurs » de veste professionnels et ses soi-disant communicants qui s’attachent de près à des ministres de différentes obédiences politiques et qui s’arrangent toujours pour être dans le giron du pouvoir.
Il y a définitivement ceux dont l’échine est d’une souplesse vraiment digne des champions de gymnastique. Si leurs contorsions sont tolérées et même récompensées, ce n’est pas de leur faute, mais celle des ministres qui n’ont probablement pas de convictions et qui sont eux-mêmes, en réalité, de vulgaires opportunistes.
Imaginons ce comité de sélection, composé peut-être de parlementaires des deux côtés de la Chambre, du président de la Public Service Commission et de quelques anciens fonctionnaires d’expérience devant auditionner Manou Bheenick qui postule pour la présidence de la State Bank of Mauritius. Il aurait, sans doute, fait un travail en amont sur les faits et gestes de cet ancien gouverneur de la banque centrale et pesé le pour et le contre d’une telle nomination avant de faire ses recommandations.
Sans ce genre d’arbitrage, pourtant au cœur du programme électoral de l’Alliance du Changement, la situation régulateur/banque publique n’en devient que plus indigeste, rocambolesque, et même dangereux sur le plan de la réputation du pays.
Lorsqu’on se déchire à la tête de la banque centrale elle-même, cela ne peut qu’envoyer un signal des plus négatifs au monde entier. La République n’a pas besoin de ce triste différend à un moment où elle essaye de rester dans les bons papiers des agences de notation internationales.
Manou Bheenick est un personnage controversé et ce ne sont pas les supposées distinctions internationales qu’il a reçues – au même titre qu’un Harvesh Seegoolam en liberté conditionnelle pour malversation dans l’affaire Menlo Park – qui changera la perception publique négative entretenue à son égard.
Que Rama Sithanen, actuel gouverneur de la banque de Maurice, conteste la nomination de Manou Bheenick est tout à fait compréhensible. Il n’a probablement pas oublié l’épisode du « fameux trou » de Rs 700 millions. Lorsqu’il est devenu ministre des Finances en 1995, il a noirci le tableau budgétaire laissé par son prédécesseur Rama Sithanen en procédant à un paiement temporaire à la banque centrale pour faire croire à un « trou » dans les comptes publics.
C’est feu Dev Manraj, alors secrétaire financier, qui avait découvert le pot aux roses et alerté des membres influents du cabinet qui ont exigé non seulement le rapatriement de ces fonds au budget national, mais ils ont aussi demandé que ce ministre, capable de manipuler les données économiques, soit retiré des Finances. Ce qui fut fait plus tard, avec sa rétrogradation au ministère du Plan.
Les différends Sithanen/Bheenick ne se sont pas arrêtés là. Lorsqu’il est redevenu ministre des Finances en 2005, Rama Sithanen avait aussi résisté à la nomination de Manou Bheenick à la tête de la banque centrale, mais Navin Ramgoolam avait eu le dernier mot. Vu l’antagonisme entre les deux hommes, les conflits ne tardèrent pas à apparaître.
On se souviendra des questions parlementaires des back-benchers travaillistes comme Suren Dayal et Lormesh Bundhoo sur les failles gestionnaires du gouverneur de la banque centrale. Même le généralement conciliant Xavier Duval, devenu ministre des Finances en 2011, après le départ de Pravind Jugnauth en pleine tempête Medpoint, a eu à faire une sortie publique contre Manou Bheenick qui avait contesté la composition du Monetary Policy Committee. Le tort de ce comité c’était de l’avoir plus d’une fois mis en minorité. Lorsqu’on réussit à se mettre à dos tous les ministres des Finances, c’est que l’on a un vrai problème qui va au-delà des comportements égotiques.
Mais il n’y a malheureusement pas que ça. Manou Bheenick, viré à l’arrivée au pouvoir de Lalians Lepep en 2014, s’était signalé par le refus de percevoir son salaire, déjà très conséquent, au motif qu’il n’avait pas été ajusté en même temps que la révision salariale générale appliquée à la banque centrale. Il réclame depuis Rs 200 millions bien qu’il ait déjà obtenu une indemnité de Rs 56 millions de l’ancienne administration MSM incarnée par Harvesh Seegoolam.
Dans un parcours, il n’y a pas que l’alignement des diplômes qui est le seul critère à prendre en compte au moment de la sélection d’un individu, il y a son bilan professionnel et les traces qu’il a laissées. Dans quel pays démocratique et transparent, un État nomme-t-il un personnage qui est en conflit financier avec lui, alors même qu’il a déjà touché une loterie de Rs 56 millions ?
À un moment où on parle de « caisse vide » et que l’on demande des sacrifices à la population, il est scandaleux et provocant que l’on nomme quelqu’un comme Manou Bheenick à la présidence de la State Bank. Il y a quand même des limites à l’indécence.
Il y a des limites à l’indécence
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