Le bec dans l’eau

Dans quel pétrin nous sommes-nous fourrés ? Et surtout, que n’avons-nous pas compris ? Alors que nos émissions de gaz à effet de serre devraient diminuer, en accord avec nos engagements mondiaux, 2024 en aura au contraire accentué la hausse (d’environ 1%, selon les chiffres officiels). Autant dire qu’avec l’effet Trump, fraîchement réélu, et son déni de la cause climatique, ce n’est pas demain la veille que la donne changera. Ce qui a changé, en revanche, ce sont nos prédictions, et malheureusement pas dans la bonne direction. Car pendant que l’humanité poursuit sa course au « développement » – impliquant des sommes de plus en plus astronomiques de dollars et d’énergie fossile –, le réchauffement planétaire, lui, continue tranquillement aussi son petit bonhomme de chemin, et ce, sans être aucunement inquiété outre mesure.
Pourtant, en quelques mois seulement, les alertes se sont multipliées. Régulièrement, les scientifiques – aidés dans leurs analyses par des données gagnant à chaque fois en précision et leurs puissants calculateurs – nous projettent en effet dans un futur proche (de l’ordre de 15 à 75 ans) des plus apocalyptiques. Et force est de constater que le déferlement des éléments, tous autrefois qualifiés de naturels, vient ajouter davantage de crédit à leurs funestes pronostics. Nul ne pourrait en effet contester cette évidence, si ce n’est évidemment ce cher Donald ou son « ami » Bolsonaro. Car qu’il s’agisse de feux de forêts, comme ceux ayant récemment menacé la ville de Marseille, d’inondations éclair, de sécheresses prolongées ou encore de tempêtes, tous les indicateurs sont définitivement au rouge, et rien ne permet de présager que la tendance pourrait soudainement s’inverser, comme par magie.
Sans compter que le réchauffement climatique ne se limite pas à provoquer des hausses de températures et à n’affecter que les terres; il est aussi à l’origine de la perturbation de nos océans et de leurs écosystèmes. Mais aussi du cycle de l’eau d’une manière générale, et donc de nos ressources d’eau douce. À ce chapitre, il faut savoir que les modèles utilisés jusqu’ici, s’ils n’ont jamais versé dans l’optimisme, n’étaient pas non plus des plus efficaces, comme viennent d’ailleurs de le souligner des chercheurs de l’université Northeastern, aux Etats-Unis. Car simuler les interactions entre l’atmosphère, les océans et nos activités, entre autres, est loin d’être une mince affaire, et s’avère d’une rare complexité. Le souci, c’est que ces modèles sont d’autant plus importants qu’ils influencent la sphère politique, qui a à charge de savoir à quoi nous préparer.
Ainsi donc ces chercheurs, dont les résultats ont été publiés dans diverses revues scientifiques, expliquent d’une part avoir évalué les performances des modèles actuels, puis n’avoir finalement pris en compte que ceux comptant parmi les plus performants (notamment en termes de résolution et de paramètres physiques). Ne restait plus alors pour eux qu’à les appliquer sur les 30 plus grands bassins fluviaux du monde, de l’Amazone au Congo, en passant par le Gange ou le Nil. Et leurs conclusions donnent froid dans le dos, avec entre autres une diminution de 40% de leur débit d’ici 2100. Ce qui pourrait affecter pas moins de 850 millions de personnes.
Qu’il s’agisse des résultats de leurs travaux ou de ceux régulièrement publiés sur d’autres thématiques liées au changement climatique, la question reste cependant la même : nos décideurs et autres gestionnaires de ressources en eau prendront-ils à temps ces nouvelles données en compte, que ce soit pour en comprendre les impacts à venir ou éclairer l’appareil décisionnaire sur les politiques d’adaptation et/ou d’atténuation à prévaloir ? Sur ce point, jouer aux Bisounours ne servirait à rien, tant les avertissements auront été nombreux jusqu’ici sans qu’ils ne donnent lieu à un véritable engagement politique vers la décarbonisation de nos sociétés capitalistes. D’ici que l’humanité prenne la mesure de l’enjeu, l’eau (encore elle) risque donc de couler encore longtemps sous les ponts. Jusqu’à ce que ces mêmes ponts s’écroulent sous le poids de notre insouciance.

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Michel Jourdan

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