Sindy (ex-détenue, ex-toxicomane, travailleuse sociale) : « Ofisie prizon-la dir mwa se enn privilez ki li pe examinn mwa … »
- Père Gérard Mongelard : « Brutalités et maltraitances en prison : la situation est pourrie ! »
Le Jubilé des détenus, organisé par le diocèse de Port-Louis, a pris fin, ce dimanche 27 juillet. L’événement étendu sur plusieurs axes a été principalement hébergé par la paroisse de Sacré-Coeur, à Beau-Bassin. Samedi, le père Gérard Mongelard, vicaire épiscopal pour le social, a réuni, dans l’enceinte de l’école Philippe-Rivalland, un groupe de parents de détenus et de toxicomanes, de même que des ex-détenus, autour de la thématique de la pauvreté en 2025. Les témoignages, autant des ex-détenus que ceux des parents, étaient les uns plus poignants et émouvants que les autres. Parmi les nombreuses personnes qui ont pris la parole, les vécus de Sindy et de Jonathan, qui ont connu l’enfer de l’incarcération; Siven, SDF et ex-toxicomane, ainsi que Patricia et Rubin, parents ayant des enfants accros aux substances, ont ému aux larmes. De même, l’artiste pluriel Billy Ng a relaté une success-story qui a beaucoup marqué tous ceux présents.
Ancienne toxicomane, Sindy a pris de l’emploi au sein d’une ONG, s’occupant des personnes vulnérables comme elle l’avait été. « Me zordi, mo pa la pou koz lor mo travay. Zordi, mo pou rakont zot seki mo’nn traverse kan mo ti dan prizon… » De nature joviale et taquine, elle brise le silence d’une voix qui semble venir d’outre-tombe. « Ce n’est pas une histoire que je vais vous raconter ; c’est ce que j’ai vécu. Ces jours-ci, il est beaucoup question de violence et de brutalités en prison. Finn ena sekinn arive prizon Melrose… Comme dans l’Évangile, qui dit qu’il y a de bonnes et de mauvaises herbes, en prison, c’est pareil. Il y a les bons officiers et, je ne vais pas dire mauvais, mais ceux qui peuvent faire mieux ! » poursuit-elle.
À sa première incarcération, Sindy est enceinte de six mois. « Dan cell kot mo’nn rantre-la, ti enn lot deteni ek enn lili letaz. Comme je suis enceinte, je pensais que les officiers de la prison des femmes allaient me placer dans le lit du bas. Mais non. Elle me fit monter sur la couchette supérieure. Ou pa kapav swazir dan prizon. Mo’nn res trankil », dit-elle en ajoutant « kan mo’nn rantre, mo ti ena adiksyon. Pa bizin dir, gagn craving, fat yen… Lekor pa pran. Je hurlais de douleur et me tournais dans tous les sens. Pena konesans mem ki pe fer. » Et, inévitablement, Sindy finit, un beau jour, de chuter de son lit.
« Mo’nn kriye pou ki bann ofisie vinn ed mwa. Ma co-détenue et nombre des autres femmes criaient pour alerter les responsables. Mais personne n’est venu ! » Ce n’est que le lendemain, explique-t-elle, qu’elle a eu la possibilité de « soumettre une demande pour réclamer des soins ; qu’un médecin me voit et que l’on m’emmène à l’hôpital afin que l’on sache si mon bébé n’a pas été blessé. Mais je n’ai eu droit qu’à une infirmière. Kan li ti pe tous mwa pou gete si bebe korek, li dir mwa se enn privilez ki mo pe gagne. Qu’elle me donne un Panadol, c’est aussi un privilège. Nous n’avons pas de droits quand nous sommes enfermés. Ce sont des privilèges. » Sindy n’aura pas droit à une visite à l’hôpital. « La nurse a utilisé un stéthoscope et m’a dit que tout allait bien. »
Sindy venait d’accoucher qu’elle se retrouve une nouvelle fois derrière les barreaux. Et cette fois, la situation est pire. « Mon bébé avait 13 mois. Je n’avais pas une vie facile ; je l’admets. Nombre de Sex Workers connaissent des brutalités et maltraitances aux mains de tantôt des policiers tantôt des citoyens ne supportant pas le travail que nous faisions. Je suis passée par là. Et comme je suis une femme qui prenait des substances, mon bébé, en grandissant, développait des comportements peu communs. Bebe ti pe tap so latet ar rebor lili ou so ber. On m’a enfermé dans un cachot pour maman. Mon bébé a commencé à se cogner la tête… mais cette fois, ce n’était pas le bois ; c’était le mur », se souvient-elle.
Très vite, Sindy se retrouve avec son enfant à la tête ensanglantée. « On m’avait donné une robe de couleur blanche : elle était maculée de sang. La sonnette de service ne marchait pas. Je hurlais. Toutes les détenues se sont mises à crier. Chacune y allait de ses conseils. On m’a dit de presser la tête de mon enfant avec une serviette… Disan-la ale mem. Durant trois heures, nous avons appelé au secours. Ziska prizon zom ti pe tann nou. Mais aucun signe d’assistance, une fois encore. »
La jeune femme relève : « j’ai appris qu’un médecin est affecté de manière permanente auprès des détenues. Sa place est donc auprès de nous. Mais il n’y avait personne. » Une fois de plus, ce n’est que le lendemain que Sindy a eu droit à des soins. De par son état et les blessures, son enfant est admis à l’hôpital. « Zanfan-la pann grandi normal », constate la mère. D’ailleurs, il vit actuellement à l’abri de nuit. Elle se remémore qu’à l’époque où elle était en prison, « l’animatrice de radio, Pamela Patten était venue, accompagnant la ministre de la Femme. Elle était venue me parler. Elle était choquée de me découvrir dans cet état… Et elle m’avait dit qu’elle voulait me voir à ma sortie. »
Dans le cadre de son travail, Sindy évoque des cas de détenus rencontrés qui relatent que « pendant le confinement du Covid-19, ils ont été maltraités de manière extrême. Ils m’ont raconté avec leurs mots : Met nou touni, met nou nene dan tonkin lot prizonie, mars kat pat…Ils m’ont dit : nou nepli ena okenn dignite. »
Les femmes n’ont pas été épargnées, soutient Sindy. « Met zot touni, zot osi, ek amenn zot dan karo sousou. Ce lieu, c’est là où se trouvait un vieux bâtiment de la prison. Il y fait très froid. Et les femmes sont enfermées là ; pendant des jours et des semaines. Cela dépend de la gravité de la faute commise et/ou des égards qu’à l’officier de la prison. Ena pou sagrin, dir ase, tir zot aster. Mais il y en a d’autres qui disent : les zot koumsamem !’Comme je l’ai dit, il y a de bons officiers et de… moins bons. Mais la question que je me pose : la violence, la répression et les actes aussi brutaux changent-ils les gens pour le meilleur ? »
Le témoignage de Sindy a jeté un froid dans l’assistance. D’aucuns frémissaient à l’idée de vivre ce que cette femme a relaté de son passage derrière les barreaux et le sort des autres dont elle a témoigné. En donnant le coup d’envoi à la rencontre, le diacre Cadress Rungen, qui a aussi été infirmier au sein de la prison pendant 38 ans, avait eu cette phrase : « la prison, c’est comme un tableau. Il y a l’image et l’envers du décor. »
Une série de témoignages audio, d’hommes et de femmes, essentiellement des parents de toxicomanes, ont ponctué le rassemblement. Toutefois, Jonathan est un jeune issu de Résidence-Kennedy. Il a 23 ans. Frêle et à la démarche hésitante, il se transforme, néanmoins, en prenant le micro. « Je me suis retrouvé en prison à 18 ans. Mo lavi pa stab ni fasil. Depuis que je suis sorti de prison, je suis à la recherche d’un travail. Mais partout où je vais, on me demande le certificat de moralité… Boukou dimounn kritik mwa. Mo pa viv lib. J’ai trop de problèmes. La santé de ma maman n’est pas bonne et je suis très inquiet pour elle. Heureusement, il y a l’ONG Kinouete et l’officier de prison, Josian Babet. Avec leur aide, j’arrive à me concentrer et avancer », révèle-t-il.
Siven est un visage familier de ceux qui empruntent chaque jour la rue St-Georges, à Port-Louis. « Mo enn SDF. Se gras a Lakaz A zordi ki mo nepli pran ladrog. Mais cependant, je suis toujours sans domicile… » Il revient sur son calvaire mais avec lucidité il dit : « Puis, j’ai découvert Lakaz A et toute cette équipe formidable. Je suis devenu un membre de leur grande famille !» Même s’il dort toujours à la belle étoile, Siven fait remarquer que « chaque jour qui passe, ces animatrices et bénévoles de Lakaz A se font un devoir de me donner à manger, de veiller à ce que je prenne mes médicaments et que je me lave. »
Par ailleurs, le cas de Patricia n’a laissé personne indifférent. Mère d’un unique fils dont elle ne se doutait nullement qu’il était accro aux substances. « Chaque parent rêve d’une vie en or pour son/ses enfants. On fait tout pour que son enfant ne manque de rien. Qu’il contribue dans le monde du travail. Et pourtant, mon fils en est arrivé à toucher aux substances illicites, et il est devenu accro… Il arrive que je n’ai pas d’argent à lui donner pour s’acheter sa dose. Mais aucun parent ne devrait passer par de telles épreuves. » Patricia explique comment « quand il n’est pas dans son état normal, il nous insulte. Puis il prend ce qu’il trouve dans la maison et va le vendre. Je ne sais plus où j’en suis. Mais c’est mon enfant… Je l’aime malgré tout. »
Ambassadeure à l’Unesco, membre de plusieurs associations œuvrant dans le social, Jasmine Toulouse a interprété, a cappella, un de ses morceaux et a résumé l’esprit dans lequel le vicaire épiscopal dans le domaine du social, le Père Mongelard et son équipe ont organisé cette journée de partages et d’échanges. « Il n’y a pas que ceux qui ont témoigné qui sont sous le coup de l’émotion. Après toutes ces souffrances que j’ai entendues, je suis aussi toute bouleversée. Mo leker gro la ! Et je dis à toutes ces personnes qui demandent une deuxième chance – et qui ne l’ont pas – de ne pas abandonner. Ne baissez pas les bras et persévérez ! »
Pauvreté matérielle, spirituelle et intellectuelle, l’idée, ce samedi était de laisser parler, libérer la parole. Le 24 mai dernier, les premières consultations dans le cadre des Assises de la Pauvreté, ont commencé au Collège Lorette de Rose-Hill. Ce processus d’écoute qui a été enclenché culminera aux Assises de la Pauvreté en novembre 2025.
Mongelard : « La situation dans nos prisons est pourrie ! »
En marge du Jubilé des détenus, le Père Gérard Mongelard s’est rendu à la prison de Petit-Verger. « Une prison où j’ai mis les pieds pour la toute première fois ! Et j’ai été choqué d’y voir tant de jeunes parmi les détenus », affirme-t-il.
Le vicaire épiscopal ne pouvait manquer d’évoquer les récents événements qui ont secoué l’univers carcéral, soit de graves incidents entre les murs de la prison de haute sécurité de Melrose, il y a deux semaines. Où des renforts de la SMF, de la SSU et de la GIPM avaient été mandés pour prêter main-forte aux officiers de la prison. « La maltraitance et les violences dans nos prisons relèvent d’un domaine qui n’a plus de contrôle. Finn tro les ale boukou lane… Au final, nous nous retrouvons avec une situation pourrie. Je lance un appel sincère à la Commission des Droits de l’Homme de maintenir leur enquête sérieuse et de faire toute la lumière sur cette affaire », plaide-t-il.
« Il y a eu trop de victimes dans nos prisons ! Et aucun de ces cas n’a été élucidé. Pourquoi des bagarres surgissent-elles et pourquoi des détenus évoquent la présence d’hommes encagoulés qui les frappaient ? Il faut absolument savoir ce qui s’est réellement passé. Prendre la mesure de tout l’épisode et des mesures en amont », indique-t-il.
Citant un message partagé par un recteur d’un établissement scolaire, ayant trait aux événements de Melrose, il s’est interrogé : « est-ce que nous avons vraiment tiré des leçons des émeutes de février 1999 avec la mort de Kaya en cellule à Alcatraz ? Les autorités et les citoyens avaient tous juré : plus jamais ça ! Mais à ce que je vois, avec la politique de deux poids deux mesures, avec des riches qui obtiennent des cautions pour ne pas rester en prison, et les pauvres qui, parce qu’ils n’ont pas de moyens, sont condamnés à y pourrir, que le spectre d’un soulèvement est là… Hélas ! »
Billy Ng : « Nous, citoyens, devons donner une seconde chance aux ex-détenus »
Artiste pluriel, enseignant d’arts martiaux, et activiste social très engagé, Billy Ng a souhaité apporter sa contribution aux échanges. Il a surtout mis l’accent sur un cas ; une success story qui lui tient beaucoup à cœur.
« C’était un jeune homme qui avait suivi les procédures pour faire partie de la force policière. Bien qu’il ait été caporal à la SMF, il s’est rapidement retrouvé entraîné dans la spirale de la drogue. Une chose entraînant une autre, il finit par tout perdre. Je l’ai retrouvé un jour alors que je travaillais dans mon atelier. Lui cherchait à se faire quelques sous. Je l’ai approché et proposé de travailler pour moi. Ce qu’il a fait. De fil en aiguille, il devait me prouver qu’il pouvait assumer des responsabilités et même, mettre le cœur à l’ouvrage.
« Avec son consentement, j’ai fait état de son parcours et de ce qu’il vaut via ma page Facebook. Et un homme d’affaires qui vit à Rodrigues s’est senti interpellé. Il m’a contacté, et aujourd’hui, cet ancien toxicomane vit et travaille dans l’île. Son parcours est ponctué de succès. Il s’y est forgé une place pour lui, au soleil. Comme quoi, si nous, citoyens, aidons à donner une seconde chance à ceux qui font les preuves et méritent notre confiance, nous pouvons y arriver ! »
Billy Ng a adressé un appel du cœur : « Mo’nn ne dan Plezans, Rose-Hill. Monn res laba ziska monn gagn 17 ans. Puis, je me suis installé à Kennedy. Aujourd’hui, j’ai 52 ans et je ne quitterais Kennedy pour rien au monde. C’est là que je me sens chez moi. » Père de deux jeunes enfants, il confie avoir fermé temporairement son studio où il dispensait des cours d’arts martiaux.
Mais Billy Ng demeure toujours présent dans les rues et quartiers vulnérables. Il va à la rencontre des jeunes qui ont besoin d’un peu d’écoute, de dialogue et d’attention. « La plupart de ces jeunes qui se font piéger ne demandent pas grand-chose. Juste qu’on les remarque, qu’on leur donne un peu d’affection et une chance de prouver qu’ils peuvent faire quelque chose de bien. »
Père Veder : « L’AG Gavin Glover évoquera le certificat de moralité au Parlement en septembre »
Suite à la publication de l’article paru dans l’édition de Le-Mauricien de samedi 26 consacré au forum-débat dans le cadre du Jubilé des détenus, le père Jean Claude Véder explique que « l’Attorney General, Me Gavin Glover, a pris contact avec moi. Il m’a dit qu’il se penchait sérieusement sur toute la question de certificat de moralité et des échanges que nous avons eus dans le cadre du forum-débat sur toute la question. Me Glover a déclaré qu’il compte aborder le point à l’Assemblée nationale en septembre prochain. »