Gestion du littoral et Ingénierie côtière – Vivek Bheeroo (chercheur-doctorant à l’université Texas A&M aux États-Unis) : « Le système côtier peut être impitoyable s’il n’est pas correctement compris et évalué »

De passage à Maurice dans le cadre d’une conférence organisée par l’université des Mascareignes, le Mauricien Vivek Bheeroo, doctorant à l’université Texas A&M aux États-Unis, finalise ses travaux de recherche sur l’hydrodynamique des océans à grande échelle et sur les processus côtiers à l’intérieur et autour de la côte du Texas. Malgré les milliers de kilomètres qui séparent les deux pays, ces recherches et outils technologiques pourraient facilement s’appliquer aux côtes mauriciennes subissant ces dernières décennies une érosion sans précédent. Dans cet entretien, le Mauricien Vivek Bheeroo nous partage, entre autres, les résultats de ses travaux de recherche ainsi que les initiatives mises en place par l’État texan pour la gestion du littoral.

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Pour commencer, quel était le sujet de votre présentation à l’Université des Mascareignes ?

Ma présentation à l’Université des Mascareignes s’est concentrée sur les travaux de recherche que je mène à la Texas A&M University. J’ai présenté une nouvelle méthode de mesure des courants océaniques proches de la surface, qui a d’abord été développée par un groupe en Allemagne et que notre équipe à Texas A&M University a depuis adoptée comme partie intégrante de notre pipeline de données.

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Cette technique consiste à prendre des images de la surface de l’océan à partir d’un drone. Ces vidéos sont riches en vagues plus précisément en ondes de gravité de surface. En analysant les mouvements de ces vagues, nous pouvons déduire les courants océaniques proches de la surface grâce à un post-traitement utilisant des principes d’ingénierie ainsi que des langages de programmation tels que matlab et python.

Les données obtenues sont des cartes de courants de surface à haute résolution dont la taille est similaire à celle d’un terrain de football. Nous avons mis au point des techniques de relevé qui permettent d’obtenir des images de la surface de l’océan encore plus larges, s’étendant sur plusieurs kilomètres. Ces études ont été menées à différents endroits clés dans et autour de la baie de Galveston, un grand estuaire situé le long de la côte du Texas. La baie de Galveston connaît un trafic quotidien important de porte-conteneurs, de barges et de pétroliers qui entrent et sortent. Cette zone est donc exposée à la possibilité de déversements d’hydrocarbures.

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J’ai terminé la présentation en donnant un aperçu de la façon dont ce travail peut s’appliquer aux eaux côtières de l’île Maurice. L’île Maurice est bien sûr principalement entourée d’un système de récifs coralliens, ce qui entraîne la présence d’un lagon peu profond autour de la majeure partie de la côte mauricienne. Mon équipe et moi-même avons récemment réalisé une étude dans le lagon de Mont Choisy. Nous avons constaté que la méthode de surveillance par drone proposée peut capturer la circulation à l’intérieur du lagon et près de la passe adjacente aux récifs. Nous avons également pu détecter des courants à l’extérieur des récifs qui se confondent avec les courants lagunaires dirigés vers le large. Au cours de cette présentation, j’ai expliqué que la technologie des drones peut être facilement mise en œuvre pour comprendre cette dynamique océanique et qu’elle contribuera à atténuer les effets des marées noires, comme nous l’avons vu lors de l’incident de Wakashio.

Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste le génie côtier et océanique ?

Le génie côtier et océanique est un sous-domaine du génie civil. Ce domaine se concentre sur la compréhension, la conception et la gestion des interactions dynamiques entre l’océan et les marges côtières. L’objectif du génie côtier et océanique est de relever des défis tels que l’influence des vagues, les marées et les courants, l’érosion côtière, la protection et la restauration du littoral, la conception des ports pour une navigation et un accostage sûrs des navires, et la mise en œuvre de structures offshore, y compris les parcs éoliens et les plateformes pétrolières.

La zone côtière est une région dynamique, et des conceptions et des analyses incorrectes peuvent avoir des effets néfastes sur les rivages immédiatement adjacents à la zone d’intérêt, ainsi que sur une zone d’influence assez large, s’étendant plus loin en amont et/ou en aval de la côte. Le génie côtier et océanique est donc un domaine important qui reste essentiel pour créer, maintenir et restaurer de belles zones côtières comme celle de l’île Maurice, où l’industrie du tourisme contribue de manière significative à notre économie.

Vous êtes actuellement rattaché à un laboratoire de recherche basé au Texas, où vous poursuivez votre doctorat. Comment la gestion de la zone côtière texane est-elle organisée ?

Le littoral du Texas s’étend de Sabine Pass à la frontière entre le Texas et la Louisiane, à South Padre Island, à la frontière entre le Texas et le Mexique. Cette étendue abrite de nombreuses plages de sable, des baies, des estuaires et des ports. Le Texas General Land Office (TGLO) est la principale entité chargée de la protection de l’habitat côtier. Conformément à la mission du TGLO, son domaine d’action comprend l’érosion côtière, la planification côtière et le financement de projets. Le financement des projets est géré par le biais du Coastal Erosion Planning and Response Act (CEPRA) et d’autres programmes de subventions. TGLO travaille également avec toutes les parties prenantes concernées pour identifier les zones stratégiques pour les projets d’érosion et maximiser les ressources fédérales, étatiques et locales.

En ce qui concerne les projets de résilience, certains domaines comprennent la gestion de l’habitat côtier, la gestion du littoral du golfe, l’adaptation aux conditions changeantes, la gestion des bassins versants et la gestion du littoral de la baie. La baie de Galveston, où je mène mes recherches, est très exposée aux ouragans. Plusieurs autorités sont impliquées dans la protection du littoral de la baie de Galveston, notamment le Gulf Coast Protection District, le Texas General Land Office, l’U.S. Army Corps of Engineers et la Coastal Resources Division de la ville de Galveston. Ces agences collaborent à divers projets visant à réduire les ondes de tempête et l’érosion, à protéger les habitats naturels et à gérer les ressources côtières.

Vous avez justement eu l’occasion d’étudier le lagon de Mont Choisy. Avez-vous noté des similitudes entre les zones côtières de l’île Maurice et celles du Texas ?

Les zones côtières de l’île Maurice sont principalement constituées d’un système récif-lagune qui est périodiquement interrompu par des passes dans le récif. Les types de récifs qui entourent l’île sont principalement des récifs frangeants, qui se trouvent généralement dans des eaux peu profondes près de la terre, avec quelques exemples de récifs barrières, comme dans le sud-est. Nos lagons sont généralement peu profonds et s’étendent de quelques mètres à environ 1 kilomètre du rivage. Les eaux littorales de l’île Maurice sont également caractérisées par de riches écosystèmes benthiques tels que les mangroves et les herbiers marins.

Toutefois, au fil des ans, divers rapports font état d’une dégradation de l’écosystème. Comme à Maurice, l’accès du public aux plages de la côte du Golfe du Mexique au Texas est un droit constitutionnel. Bien que le littoral texan contienne également des poches de plages sablonneuses avec une marge de recul assez large, celles-ci sont ouvertes sur le golfe d’Amérique et ne possèdent pas de barrière naturelle sous la forme d’un système de récifs. Les plages, les ports, les baies et les estuaires sont donc soumis à l’action intermittente de fortes vagues et de courants océaniques, en particulier pendant la période des ouragans qui s’étend de fin mai à début octobre. Si l’intérêt de protéger le littoral et l’écosystème est similaire, l’exposition aux eaux du large n’est pas la même.

Quelles sont vos principales observations sur l’érosion côtière à Maurice ?

L’érosion côtière est un phénomène très répandu qui touche un certain nombre de plages tropicales/subtropicales en divers endroits du monde. L’île Maurice est également sujette à ce phénomène et a vu ses plages sablonneuses régresser dans des proportions assez alarmantes.   

Notre barrière naturelle contre les tempêtes et les conditions de mer difficiles a souffert au cours des trois à quatre dernières décennies. Si le transport de sédiments et l’érosion transitoire des plages dans la zone littorale sont des phénomènes normaux, une érosion soutenue entraînera une modification du bilan sédimentaire qui pourrait finalement se traduire par une érosion grave et irréversible de ces plages.

J’ai étudié le rapport Baird de 2003-04 et, en tant qu’ingénieur côtier, je pense qu’il s’agit d’un manuel précieux qui devrait être compris et appliqué dans son intégralité. Le rapport Baird s’appuie sur des études complètes et techniques du système côtier de l’île Maurice grâce à l’utilisation d’instruments in situ, d’exercices de modélisation, d’interprétation de données basées sur le SIG, de levés de terrain ainsi que sur l’application de principes et de méthodologies d’ingénierie côtière afin d’identifier la cause principale de l’érosion sur plusieurs sites. 

Il fournit également des recommandations et des conceptions pour atténuer ces érosions. À mon avis, ce rapport n’a pas été bien compris et n’a donc pas été utilisé de manière optimale. Plusieurs projets, tant dans le cadre d’initiatives publiques que privées, présentent de graves lacunes techniques, notamment en ce qui concerne l’application de principes corrects de génie côtier.

Le système côtier peut être impitoyable s’il n’est pas correctement compris et évalué. L’erreur humaine et la façon dont l’homme interagit avec l’environnement marin est actuellement le dénominateur le plus commun dans la plupart des problèmes d’érosion côtière observés autour de l’île.

D’où l’importance de consulter les techniciens et professionnels du secteur…

Pour lutter contre l’érosion, il est important que les parties prenantes et les autorités chargées de délivrer les permis soient bien informées et formées aux sciences côtières et aux applications de l’ingénierie. 

L’hydrodynamique côtière, la mécanique des différents types de vagues, la modélisation côtière et les instruments de mesure de l’océan sont des éléments clés pour évaluer un projet côtier et son avenir potentiel. Une bonne connaissance des sciences interdépendantes telles que l’océanographie physique, les sciences marines, la biologie marine, les mathématiques de d’ingénierie, le génie côtier et océanique, la dynamique des sédiments et leur comportement hydraulique sous différents facteurs de forçage, l’application de la télédétection à l’environnement côtier ainsi que l’utilisation de logiciels et de la programmation aideraient à concevoir de manière appropriée des stratégies de protection.

Selon vous, Maurice devrait-elle donc davantage investir dans le développement du génie côtier et océanique ?

Je pense que le domaine du génie côtier et océanique doit être développé à Maurice. Nous devons veiller à appliquer le bon domaine de spécialisation. Le génie civil est un terme général qui recouvre différentes spécialisations et ne doit pas être confondu avec le génie côtier, car le sujet peut être très différent. C’est comme si un chirurgien du cerveau faisait une opération à cœur ouvert !

Nos zones côtières sont soumises à des pressions croissantes dues à des interférences d’origine humaine. Sans une connaissance adéquate des sciences côtières associée à des instruments et des outils pour la collecte, l’analyse, l’interprétation et la surveillance des données, nous risquons de subir une dégradation côtière à grande échelle. 

En outre, comme nous l’a appris l’incident de Wakashio, il existe un besoin urgent d’accès aux mesures et aux données côtières. Cette base de données fournira des indications sur le transport et la circulation dans la zone touchée, ce qui aidera les responsables de la lutte contre les marées noires à mobiliser les efforts de nettoyage de manière plus efficace. Ce faisant, nous réduirons le risque que les nappes soient rejetées sur le littoral et endommagent les écosystèmes tels que les mangroves et les habitats des plages de sable. Une infrastructure adéquate et l’accès aux données peuvent également nous informer des mesures à mettre en œuvre pour gérer nos plages et limiter les problèmes d’érosion à différents endroits de l’île. Les autorités chargées de délivrer les permis auront besoin d’une mise à niveau et d’une formation continue dans le domaine des sciences côtières et des technologies relatives pour mieux évaluer et accepter ou rejeter un projet.

Propos recueillis par

Kovillina Durbarry

BIO EXPRESS – Une riche carrière au rythme des vagues

Après des études secondaires à l’école internationale Le Bocage, Vivek Bheeroo s’envole pour les États-Unis où il obtient une licence en génie civil à la prestigieuse Purdue University, où il se concentre sur l’hydraulique et l’hydrologie. Il suit également un cours de génie côtier et décide de poursuivre ses recherches en obtenant un Master of Science (M.S.) en génie civil à Oregon State University, avec une spécialisation en génie côtier et océanique. Il travaille alors sous la direction du Dr Harry Yeh, réputé pour ses travaux sur l’hydrodynamique côtière et la mécanique des vagues, ainsi que pour ses études sur un certain nombre de tsunamis, dont celui qui s’est produit en 2004 dans l’océan Indien. Vivek Bheeroo décide ensuite de poursuivre une autre maîtrise entièrement financée en ingénierie océanique à l’université du New Hampshire. Il est actuellement doctorant à l’université Texas A&M dans le cadre d’un projet financé par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA).

 

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