Quarante-trois ans après sa première représentation, Pani nai ba, ballet conçu par Sarita Boodhoo et concrétisé avec le soutien d’une équipe de jeunes volontaires de l’époque, sera de nouveau sur scène avec la participation d’une quarantaine de nouveaux artistes, ce samedi à 16h30, à l’auditorium Octave Wiehé, à Réduit. La version 2025 est mise au goût du jour et couvre l’évolution opérée dans la vie de bhojpuriphones et des descendants des travailleurs engagés mais avec « les mêmes valeurs bien ancrées ».
Dans un entretien accordé à Le-Mauricien, Sarita Boodhoo en parle. Selon elle, au vu de l’engouement créé par la reprise de ce ballet auprès des jeunes, Pani nai ba vient effacer la perception selon laquelle les jeunes ne sont pas intéressés à la langue et à la culture bhojpuri. Elle ajoute : « En 1982, quand j’ai produit Pani nai ba, le contexte social était différent. Il y avait un complexe d’infériorité pour le bhojpuri. Aujourd’hui, cela a changé. Le bhojpuri est parlé sans complexe. »
« Pani nai ba » est repris après 43 ans. Parlez-nous de ce ballet…
Après 43 ans, la chanson Pani nai ba est bien ancrée dans l’île Maurice d’aujourd’hui. Auparavant, lorsque les Mauriciens bhojpuriphones venaient à Port-Louis, ils ressentaient un certain complexe pour parler le bhojpuri. C’est ainsi, qu’avec un groupe de jeunes de l’époque, nous avons eu l’idée de mettre en place le Mauritius Bhojpuri Institute (MBI) et nous avons décidé de créer un ballet.
J’ai écrit le scénario. Pani nai ba raconte l’histoire de Palpatia, arrivée à Cooli Ghat (ndlR : aujourd’hui, l’Aapravasi Ghat) et comment après avoir vécu tous les traumatismes liés à son arrivée, son installation dans l’île et la lutte pour le maintien de la langue et de la culture bhojpuri, ses descendants les ont maintenues. Le spectacle déclinait leur vie sur cinq générations et aujourd’hui, sept en sont concernées.
Dans le cadre des recherches pour monter le ballet, j’étais un jour à Richelieu et j’ai entendu des descendants de girmityas chanter Kalkutta se chutal jahaz pani nai ba et d’autres chansons rares mais parlantes. J’ai décidé de les prendre pour monter le spectacle avec la collaboration de plusieurs personnes dont Meera Mohun, Deven Makhan, Deven Chotun, Mala Chummun et Sadna Ramlallah pour ne citer que quelques-uns.
Depuis, la chanson Pani nai ba est devenue un symbole du bhojpuri, à Maurice. Elle fait partie du mauricianisme. De grands chanteurs et grands groupes comme Alain Ramanisum, Abaim reprennent le bhojpuri dans leurs productions. Ce ballet transmet les valeurs de l’héritage bhojpuri.
Qu’est-ce qui change par rapport à 1982 ?
En 1982, l’histoire couvrait la vie de cinq générations de Mauriciens d’origine indienne. Aujourd’hui, nous en sommes à sept. Une bonne partie du ballet reste le même parce que cela n’a pas changé. Je suis allée chercher dans mes archives personnelles : j’ai retrouvé tout le script dans un dossier et c’était émouvant de revivre cela. Je l’ai révisé pour inclure les deux générations qui suivent avec la transformation qui s’est ensuivie.
Aujourd’hui, il y a la technologie, l’intelligence artificielle. Il y a un changement dans la manière de vivre. Dans le temps, la plupart étaient des laboureurs ; aujourd’hui, beaucoup sont des professionnels. Certains ont gravi les échelons en politique. Il y a eu une évolution économique du bhojpuri à l’ère de l’informatique, de l’IA, des réseaux sociaux, mais il a maintenu son dynamisme, son charme et sa beauté.
Qui sont les artistes et comment réagissent-ils à ce ballet ?
Les comédiens, les chanteurs et les danseurs sont tous des jeunes. Ils travaillent sous la direction de M. Joyram. Rahul Ranade est le directeur musical pour le programme. Il est intéressant et encourageant de voir que le bhojpuri est bien ancré à Maurice.
Aujourd’hui, il y a un changement dans le mindset. En 1982, j’ai produit Pani nai ba dans un contexte social où il y avait un complexe d’infériorité pour le bhojpuri alors qu’aujourd’hui tel n’est plus le cas. Le bhojpuri est parlé sans complexe.
Les participants sont des universitaires, des jeunes professionnels… Il y a un engouement et les répétitions se passent très bien. Elles ont lieu à différents endroits par différents groupes. C’est très dynamique.
Quelle est la pertinence de reprendre ce ballet aujourd’hui ?
La langue, la culture, le folklore bhojpuri sont résilients. Le Storytelling en bhojpuri est toujours très présent dans la vie des Mauriciens. Les enfants s’intéressent aux légendes locales, à l’histoire de Mourya Pahar (ndlR : le Pieter Both), par exemple.
Ce ballet montre qu’il y a une nouvelle génération de Mauriciens qui a émergé et qui est attachée à cette culture, à cet héritage. Nous souhaitons qu’il continue à être transmis et qu’à l’avenir, un nouveau groupe prenne la relève. Cette nouvelle production voit aussi l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants qui assumeront cette responsabilité. Je suis très attachée à cette langue et à cette culture. Je fais la promotion du bhojpuri mais il ne m’appartient pas. It is not my property.
Depuis quand travaillez-vous dessus ?
J’ai été présidente de la Bhojpuri Speaking Union durant 12 ans. J’avais proposé l’idée de faire un Bhojpuri Mohatsaw en 2023 qui a finalement eu lieu en 2024. J’avais souhaité l’intégrer dans cet événement international mais nous n’avons pas pu le faire.
Entre-temps, le nouveau directeur du projet, Prittiviraj Joyram, chanteur qui avait participé dans la version de 1982, a fait une demande de financement auprès du National Arts Fund. Les élections sont arrivées. Tout a changé. Nous avons parlé au ministre des Arts et de la Culture, Mahendra Gondeea, qui a agréé à ce que nous allions de l’avant. Nous présentons le ballet samedi.
Combien de personnes sont engagées sur ce projet ?
Environ 70 dont 40 seront sur scène.
Quelle est la durée du spectacle ?
Le ballet dure 90 minutes mais il y aura une partie protocolaire. Samedi, il y aura aussi le lancement d’un livre pour enfant en bhojpuri intitulé Tittli, soit Papillon, est écrit par Shomduth Kashinat. Si le bhojpuri rentre à l’école, il faut des textes et des livres d’accompagnement pour les enfants.
Le mot de la fin…
Je souhaiterais rendre un hommage à tous ceux qui ont participé au ballet du 19 septembre 1982. Ils sont âgés aujourd’hui. Certains ne sont plus mais j’ai une pensée spéciale pour eux.
Ce ballet est une plate-forme de projection du bhojpuri auprès des jeunes. Nous avons d’ailleurs reçu une demande pour une représentation à l’Uuniversité de Maurice. Nous sommes dans une mouvance qui remet à jour la réalité du bhojpuri. Nous sommes dans la bonne direction. Elle vient effacer la perception selon laquelle, les jeunes n’y sont pas intéressés. Nous invitons tout le monde à venir voir le spectacle. L’entrée est gratuite.