Trois jours de chaos aérien pour la compagnie aérienne nationale avec un sacré coup de la culture de service et la gouvernance
Une succession d’incidents techniques sur plusieurs avions d’Air Mauritius a plongé la compagnie aérienne nationale dans une crise opérationnelle sans précédent entre le 31 juillet et le 3 août. Mais plus que les pannes, la communication brouillonne de la compagnie, qui porte l’étendard du chatwarisme nouvelle version avec des teintes de l’ancien modèle, le manque de prise en charge et les conditions de traitement indignes de certains passagers ont mis le feu aux poudres. Toutefois, à hier après-midi, la compagnie aérienne nationale annonce un retour à la normale.
Tout commence le 31 juillet avec un incident sur un ATR 72-500 à Rodrigues. L’appareil, immatriculé 3B-NBN, subit un atterrissage brutal à l’aéroport regional de Plaine-Corail, nécessitant des vérifications poussées par ATR France. Puis, le lendemain, deux Airbus long-courriers sont successivement immobilisés : l’A330-900Neo à La Réunion (3B-NBU) et l’A330-200 à Mumbai (3B-NCL). À cela s’ajoutent des opérations de maintenance prolongées sur un autre A350 à Bordeaux.
Résultat : le 1er août, la flotte disponible chute brutalement, passant de sept à trois avions opérationnels. Cette contraction logistique entraîne un réaménagement chaotique des dessertes majeures, soit Paris, Londres, Mumbai, Rodrigues, Johannesburg et Kuala Lumpur.
Face à ces perturbations, Air Mauritius se lance dans la publication d’une série de communiqués se voulant rassurants. Mais sur le terrain, les témoignages dessinent un tout autre tableau, à savoir celui de passagers abandonnés à eux seuls, sans explication, ni encadrement.
Vol MK749 Mumbai–Maurice : embarquement à 2h45 du matin, climatisation défaillante, chaleur étouffante, passagers confinés sans eau ni information pendant six heures. Finalement, le vol est annulé. Les passagers doivent refaire les procédures d’immigration, attendre des heures pour être relogés — parfois sans chambre — et aucun représentant de la compagnie n’est présent à l’hôtel.
Vol MK42 Maurice–Paris : les passagers reçoivent un SMS d’annulation après l’enregistrement. Aucun personnel au sol. Une agente finit par dire que le vol est annulé… avant qu’un autre superviseur n’affirme qu’il est « suspendu » car l’avion est bloqué à La Réunion. L’attente s’étire sans eau ni assistance, même pour les familles avec bébés.
Un mur de silence et une communication inefficace
Au lieu d’excuses franches ou d’empathie, les passagers dénoncent des réponses froides, impersonnelles et contradictoires. Les canaux de communication (Call Center, WhatsApp, site Web) sont saturés ou imprécis. Certains témoignent même que leurs commentaires critiques sur les réseaux sociaux ont été effacés par la compagnie.
Un passager résume le malaise : « Ce n’est plus une panne, c’est un mépris. On n’attend pas qu’un avion soit parfait, mais au moins d’être traités comme des êtres humains. »
Des conséquences durables et une image écornée
La succession de retards, d’annulations et de prises en charge aléatoires, combinée à une absence de communication empathique, a provoqué une fracture profonde entre Air Mauritius et ses usagers. À l’international, plusieurs voyageurs affirment ne plus vouloir voler avec la compagnie. Localement, les critiques pleuvent sur une gouvernance jugée opaque, avec en toile de fond des tensions internes : grèves latentes, controverses sur les examens de jeunes pilotes, et accusations de népotisme dans les recrutements.
La crise qu’a vécue Air Mauritius ces derniers jours ne peut se résumer à un incident technique. Elle révèle une faille systémique dans la gestion de la relation client, la réactivité de l’organisation et la transparence de sa gouvernance. Alors que la compagnie aspire à redorer son image Post-Voluntary Administration, ces épisodes risquent de laisser une marque indélébile — à moins d’une réforme urgente de sa culture du service et de sa stratégie de communication en temps de crise.
Hors texte 1
SAMEDI DERNIER AU PAILLES EN QUEUE COURT
Une conférence de presse technique,
un malaise humain persistant
Samedi, Joël Toussaint, responsable de la communication d’Air Mauritius, a tenté de reprendre la main sur la crise qui secoue la compagnie nationale depuis plusieurs jours. Face à la colère grandissante des passagers, relayée massivement sur les réseaux sociaux, la direction a convoqué la presse pour livrer sa version des faits. Mais ce point de presse, s’il se voulait apaisant et informatif, a surtout mis en lumière un décalage profond entre le langage de l’entreprise et les attentes des passagers en souffrance.
Dans une déclaration minutieusement préparée, Joël Toussaint a présenté ses excuses au nom de la compagnie pour les désagréments subis, tout en insistant sur le caractère indépendant de ces événements. Deux appareils, le 3B-NBU (un A330Neo) et le 3B-NCL (un A330-200), ont été immobilisés respectivement à La Réunion et à Mumbai. À La Réunion, une équipe technique dépêchée sur place est parvenue à réparer la panne dans la nuit de vendredi à samedi. Après le repos de l’équipage, l’avion est retourné à Maurice à midi, permettant d’effectuer deux rotations et d’acheminer les 400 passagers restés bloqués.
Situation tendue à Mumbai
À Mumbai, en revanche, la situation demeurait tendue. L’A330-200 était toujours cloué au sol au moment de la conférence, en attente d’une pièce acheminée depuis Maurice par un vol Vistara. Selon Joël Toussaint, il fallait compter trois heures pour le dédouanement, quatre heures de réparation, puis un nouveau délai pour le repos de l’équipage avant une reprise des opérations. En attendant, assurait-il, les passagers resteraient dans leurs hôtels, sans être déplacés tant que l’appareil ne serait pas pleinement opérationnel.
Il a aussi rappelé que deux autres A330 étaient actuellement en maintenance à Bordeaux : l’un pour un C-Check, l’autre pour un changement de moteur. La compagnie se retrouve donc à opérer avec seulement quatre avions. C’est alors qu’il lâche une phrase qui marquera cette intervention : « On peut dire que l’on paie le prix de notre succès commercial. » Une formule qui, si elle se veut explicative, a rapidement été perçue comme une tentative maladroite de faire passer une défaillance organisationnelle pour une conséquence de la performance commerciale. Dans la bouche d’un représentant d’une entreprise confrontée à une crise de confiance, cette justification a laissé un goût amer.
Pour le volet des opérations interîles, un ATR étant également indisponible à Rodrigues à la suite d’un atterrissage brusque, Air Mauritius a été contrainte de réorganiser les rotations vers l’île, notamment à l’occasion du festival de kitesurf en cours. Le porte-parole a conclu en évoquant la diffusion des nouveaux horaires via WhatsApp, le site Web de la compagnie, et une nouvelle application mobile, tout en avertissant que les perturbations allaient se prolonger au-delà du week-end.
Si le ton du communiqué était poli, technique et didactique, la émotionnelle est occultée. La priorité semblait être de rassurer sur la logistique et la gestion interne, en décrivant précisément les actions entreprises. Mais à aucun moment, le concerné ne s’est attardé sur l’expérience humaine des passagers.
Rien sur l’attente sans climatisation à Mumbai, sur les heures d’angoisse passées à bord d’un avion immobilisé, ni sur les familles abandonnées à l’aéroport ou sans chambre d’hôtel. Aucun mot non plus sur les retards dans l’information, les erreurs de communication ou l’absence de personnel visible dans les moments critiques. Plus troublant encore, aucun engagement n’a été pris sur d’éventuelles compensations, remboursements ou gestes commerciaux à l’égard des passagers lésés.
Fracture entre l’image de MK et l’expérience vécue
Pendant que la direction déploie un vocabulaire d’efficacité, les passagers témoignent d’un sentiment d’abandon profond. Six heures coincés dans un avion à Mumbai sans clim ni eau. Un simple SMS d’annulation à Plaisance, sans personnel pour expliquer. Des familles dormant sur le sol d’un hôtel, faute de chambre et sans assistance de la compagnie. À travers ces scènes se dessine une fracture bien plus grave que la panne d’un appareil: une crise de relation, de confiance et de considération.
Si Air Mauritius veut éviter que cette séquence ne laisse des séquelles durables sur son image, elle devra faire plus qu’expliquer. Elle devra écouter, reconnaître et agir pour rétablir un lien humain avec ses clients. Car s’il est une chose que cette crise a démontrée, c’est que la résilience technique ne suffit pas quand la culture du service fait défaut. Les passagers n’oublieront pas comment ils ont été traités. Et désormais, ils le disent – haut et fort.
RELATIONS INDUSTRIELLES – EMPLOYMENT RELATIONS TRIBUNAL
Rappel à l’ordre de la Cour
contre l’AMTSSU
Dans un arrêt tranchant rendu le 1er août, la Cour suprême a débouté le syndicat du personnel technique d’Air Mauritius (AMTSSU) dans sa tentative de contester une décision de l’Employment Relations Tribunal (ERT). Cette affaire portait sur un litige sensible: le paiement rétroactif de salaires pour la période 2015–18, estimé à plus de Rs 22 millions, au bénéfice des membres du syndicat. Mais la Cour n’a pas eu à trancher sur le fond du différend. Elle a jugé que la demande de Judicial Review du syndicat n’avait pas été déposée avec la promptitude exigée par la loi. Résultat : la requête est rejetée d’emblée.
Tout commence en 2018, lorsque l’AMTSSU et Air Mauritius signent un accord collectif (CA18), prévoyant un Backpay pour les années antérieures. Mais les modalités exactes de ce paiement restent à négocier. Or, en avril 2020, la compagnie nationale est placée en Voluntary Administration, dans un contexte de crise profonde. En juillet de la même année, un nouvel accord (CA20) est signé, sans référence explicite au Backpay.
Face au blocage, le litige est transmis à l’Employment Relations Tribunal, qui tranche le 14 août 2023 : si le Backpay faisait bien partie de l’accord de 2018, il n’est plus exigible, car le nouvel accord de 2020 l’a remplacé.
Six semaines trop longues
Insatisfait, le syndicat dépose une demande de Judicial Review le 29 septembre 2023, soit plus de six semaines après la décision du tribunal. Problème : selon la jurisprudence du Privy Council (C-Care Ltd et Mauritius Shipping Corporation Ltd), le dépôt d’un tel recours doit se faire non seulement dans un délai légal de trois mois, mais surtout promptement. C’est ce critère de promptitude que la Cour suprême juge ici non respecté.
Les raisons invoquées par le syndicat – devant consulter ses membres, un problème de changement d’avocats, attente de documents – sont jugées insuffisantes. Les juges Chan Kan Cheong et Kam Sing notent que les éléments essentiels (les accords CA18 et CA20) étaient déjà en possession du syndicat, et que l’affaire reposait sur des questions d’interprétation juridique connues.
Au-delà du cas Air Mauritius, ce jugement envoie un message clair à tous les syndicats et aux acteurs des relations industrielles : dans un contexte de délais réglementés par la loi, en particulier dans les litiges soumis à l’Employment Relations Act, la moindre inertie procédurale peut être fatale.
La Cour rappelle que l’ERA impose une résolution rapide des conflits : 45 jours pour le CCM, 90 jours pour l’ERT. Dès lors, les syndicats ne peuvent se permettre d’attendre plusieurs semaines avant d’agir en justice. Le jugement souligne que le simple respect du délai de trois mois ne garantit pas l’acceptabilité du recours. « Ce n’est pas parce qu’on est dans le délai légal que l’on a agi promptement », rappellent en substance les juges.
Un épilogue amer pour les employés concernés
Les avocats spécialisés en droit du travail tirent déjà la sonnette d’alarme : ce jugement pourrait inciter les instances à appliquer avec plus de rigueur le critère de promptitude, même pour des causes sociales ou syndicales jugées légitimes. Certains y voient un rééquilibrage en faveur des employeurs, qui, comme dans ce cas, ont tout intérêt à la clôture rapide des contentieux.
Pour les membres du syndicat AMTSSU, cette décision signifie que leur revendication salariale de Rs 22 millions, liée à trois années de travail, n’aura même pas pu être plaidée au fond. La porte est désormais juridiquement fermée, sauf hypothétique réouverture sous une autre procédure.