« PANI NAI BA » : Le bhojpuri célébré à Réduit

Pendant deux heures, une quarantaine d’artistes (danseurs, chanteurs, musiciens, narrateur) ont évolué sur la scène de l’auditorium Octave Wiehe, à Réduit, pour célébrer le bhojpuri rappelant tantôt des moments durs de l’histoire, mettant en lumière, parfois, les petites qui s’insèrent dans la grande mais aussi des moments de joie et de bonheur partagés. « Pani nai ba », une reprise du ballet de 1982, signée Sarita Boodhoo, fervente défenseuse de la langue et de la culture bhojpuri, et remise à jour, a ravi le spectateur présent.
Le spectacle a démarré avec le traditionnel allumage des lampes suivi de l’arrivée du personnage Parbatteea joué par Varsha Boulle qui incarne la femme Girmitya foulant Coolie-Ghat, (ndlr : aujourd’hui Aapravasi Ghat) sur la chanson Nabbe saal pahile et Caltutta se. Au fond de la scène, des images de bateaux traversant l’océan sont projetées sur un grand écran. Elles rappellent cette période de l’histoire. Des images accompagneront chaque séquence du spectacle. En outre, le décor est constitué d’une hutte en paille et d’un puits à droite de la scène. À gauche, les musiciens y sont installés. 
De ce point d’entrée, le spectateur vit des moments forts de cette période, notamment le mariage avec la chanson Dada dada pukari la et une danse interprétée par le duo Simran Ramlowat et Ridhi Yekata Joyram. Un hommage à la terre mère est rendu avec Pehle mein sumiron. Le spectateur suit des rituels sur le grand écran et apprécie la prestation des danseuses. Il est aussi plongé dans l’univers des poètes bhojpuriphones, notamment le défunt Rishi Dev Rambally et Suryaeev Seeburuth.
Le point d’orgue de cet après-midi musical est sans nul doute l’interprétation de la chanson culte inscrite dans la mémoire collective des Mauriciens Pani nai ba. Une chanson de protestation qui traduit littéralement la situation qui prévalait, à travers le pays, en 1982 : « Pena dilo/Il n’y a pas d’eau ». Une réalité qui fait écho à ce qui se passe encore aujourd’hui dans certains endroits. Pour les quadragénaires, ces paroles les ramènent à une enfance encore gorgée d’innocence caractérisée par la reprise de la chanson sans se rendre compte du drame que vivaient les femmes et à qui revenait la responsabilité d’assurer les tâches basiques pour une vie saine, voire se maintenir en vie – accès à l’eau potable pour boire, faire à manger, se laver et laver. Pour les plus âgés, c’est un retour en arrière et un regard jeté sur le chemin parcouru.
Sarita Boodhoo souligne la vivacité de cette mélodie qui a transcendé les barrières. Même si tous les mots ne sont pas compris de tous. « “Cheingan Meingan” est une ancienne expression pour dire les enfants. “Pani bhare” veut dire aller chercher de l’eau. Ce sont des enfants qui vont chercher de l’eau mais il n’y a pas d’eau », dit-elle. Autres mots qui pourraient être difficiles à saisir : Digri dale. « C’est un compteur qui était installé pour contrôler l’eau utilisée  », ajoute-t-elle. Pani nai ba était interprété par une dizaine d’enfants et d’adolescents. Toujours dans ce registre d’enfance, le jeu d’antan Oka Boka/tati tati puriya a fait sourire plus d’un, en déclenchant un ver d’oreille.
D’autres sonorités réveillent la mémoire de certains adolescents des années 50/60, à une période où la radio n’avait pas encore fait son entrée dans toutes les maisons mauriciennes ; les gens pouvaient en profitaient lorsque les voisins en avaient. « Là où nous habitions, à Rivière-des-Anguilles, les voisins avaient la radio. Une haie de bambous séparait nos deux cours et nous nous asseyions, avec mes frères et sœurs, sous un jacquier dans notre cours, pour écouter des chansons, selon leur bon vouloir », témoigne Naisha, octogénaire dans quelques jours.
Certaines chansons sont remises au goût du jour. La version 2025 de Mazakia- Sawal jawab évoquant l’amour naissant, la taquinerie et l’adolescence incorporent l’utilisation des réseaux sociaux par les jeunes : Tik Tok, Facebook…
D’autres problèmes sont aussi relevés dans cette comédie musicale : « L’alcoolisme et la violence conjugale sont liés, à cette époque, à un manque d’accès aux loisirs, souvent faute de temps ou au repos. Le travail, même pendant le week-end (ndlr : chanson Samedi-dimans), ne leur offrait aucun temps de repos », souligne Mme Boodhoo.
L’importance de raconter des histoires, qui fait partie de notre patrimoine et à travers lesquelles des valeurs sont transmises et des moments précieux partagés entre membres de la famille, a été symbolisée par Rita Sanchit dans le rôle d’une grand-mère qui raconte la légende du Pieter Both, le Muriya pahar, aux enfants assis autour d’elle.
Le spectacle a aussi mis à l’honneur le gamat avec Phulwa sobhela de Rishi Dev Rambally et des chansons en provenance des communautés bhojpuriphone du Suriname, de la Guyane hollandaise et la Hollande, une manière de démontrer l’universalité de cette langue.
Si certaines des chansons ont été écrites par Sarita Boodhoo ou avec le soutien d’un groupe d’amies engagées pour la cause, l’instigatrice du projet dira avoir également recueilli bon nombre dans les petites communautés et les familles en parcourant les villages du pays.
Pani nai ba a mis en avant une vingtaine de chansons bhojpuri et des valeurs universelles transmises de génération en génération.
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Le Bhojpuri au School Certificate
Shri Anurag Srivastava (haut commissaire indien) :
« L’Inde assure son soutien à Maurice »

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Le haut-commissaire indien (HCI) à Maurice, Shri Anurag Srivastava, a indiqué que l’Inde assure son soutien à Maurice dans le cadre de l’introduction prochaine du bhojpuri dans leprogramme du Cambridge School Certificate. C’était samedi, lors de son intervention au spectacle Pani nai ba, à l’auditorium Octave Wiehe, à Réduit, en présence entre autres du président de la République, Dharamdeer Gokhool.
M. Srivastava a observé que Maurice a aussi pris des mesures significatives pour l’introduction du bhojpuri dans le système éducatif. Il a ainsi déclaré : « India stands shoulder to shoulder with Mauritius in this noble mission. I welcome in this context recent efforts to introduce Bhojpuri into the Cambridge school syllabus here. I have assured the Minister of Education of our full support in development of school. » Et d’ajouter : « We stand ready to provide learning material for school students as required. We are supporting these efforts because it is important that language continues to thrive. It continues to live in classrooms, in communities, and most importantly, in the hearts of our future generations. »
Auparavant, le haut-commissaire indien à Maurice a souligné que l’inscription du geet gawaï sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité en 2016 a été une étape décisive dans la préservation de ce patrimoine et le succès important pour l’Inde « because we needed to dignify, we needed to institutionalize a heritage that has long been sustained only by oral traditions ».
Pour sa part, le président de la République, Dharam Gokhool, a fait ressortir sur de nombreuses initiatives sont mises en place pour inverser la tendance en faveur du bhojpuri qui connaît un « marked decline among our youth ». Ainsi, il a cité l’introduction d’un Certificate en bhojpuri par le Mahatma Gandhi Institute.
Selon lui, le spectacle Pani nai ba est un rappel que le bhojpuri n’est pas statique mais qu’il évolue. De plus, il estime qu’il y a une aspiration légitime à utiliser le bhojpuri. « The use of Bhojpuri expression as mentioned recently and now we can see more often in Parliament, besides speeches which are mostly in official languages – English and French – is a clear sign that there is a legitimate aspiration for Bhojpuri language to be given its due recognition. So a project that can help languages to survive and thrive is an institute of languages », a affirmé le président de la République.
La manifestation de samedi a aussi vu le lancement d’un livre pour enfant en bhojpuri intitulé Tittli.

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