Désastrocène

Que l’on soit d’accord ou non avec la terminologie, l’anthropocène reste une réalité physique, d’autant plus tangible et mesurable d’ailleurs que nous pouvons en quantifier chaque jour davantage l’impact sur nos vies. Pour autant, et aussi curieux qu’il n’y paraisse, le néologisme crée débat, divise même, au sein de la communauté scientifique. Cette même communauté scientifique qui ne cesse pourtant de monter au créneau pour nous alerter de l’urgence climatique et des conséquences de la surexploitation de notre Terre nourricière. Aussi, pour mettre tout le monde d’accord, pourquoi ne pas lancer l’idée d’un nouveau terme, plus approprié en la circonstance et dont personne ne pourrait en nier le bien-fondé : le désastrocène. Car c’est bien dans cette sombre période de l’histoire humaine que nous sommes aujourd’hui plongés, quoi que l’on en pense.

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L’homme aura, c’est vrai, de tout temps pesé de tout son poids sur son proche environnement, et ce, avec des moyens propres à son époque. Mais ce qui ne pesait pas bien lourd il y a plusieurs dizaines de milliers d’années est de nos jours devenu insoutenable. Comme le rappellent d’ailleurs les statisticiens derrière ce que l’on a désormais coutume d’appeler « le jour du dépassement de la Terre » (tombé cette année le 24 juillet, soit huit jours plus tôt qu’en 2024). Et pour ceux qui l’ignoreraient encore, rappelons qu’il s’agit d’une date, symbolique bien entendu, marquant le jour où l’humanité a consommé l’ensemble des ressources que la planète peut renouveler en une année. Et c’est là justement le propre de l’anthropo(désastro)cène, à savoir de marquer, par un simple mot, cette minuscule ère de la vie sur Terre où une espèce (la nôtre) aura exercé une pression sans précédent sur l’écosystème terrestre, altérant ainsi à la fois la trajectoire de la nature et celle des sociétés humaines.
Réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, pollution des écosystèmes, pression démographique, anthropisation des espaces terrestres… Notre manière de « faire société » ainsi que de régir et d’habiter le monde sont aujourd’hui si immenses que certains nous promettent une sixième extinction de masse, autrement dit la perte de plus de 75% du vivant sur Terre. Et ne riez pas, nous serons plus que probablement du nombre ! L’un de nos plus gros travers, et que l’on peut assimiler au fameux pêché d’orgueil, est de croire que notre « génie » aura finalement raison de tous nos soucis. Il est vrai qu’en la matière, les progrès auront été immenses; de l’intelligence artificielle aux satellites dédiés à la surveillance du climat, en passant par les innovations permettant de réduire – ou même d’absorber – nos émissions de gaz à effet de serre, nos avancées techniques se multiplient à vitesse grand V. Mais sont-ils vraiment une solution au problème ?

Pour peu que l’on comprenne le fondement des dérèglements actuels, climatiques et autres – autrement dit l’origine même de tous nos déboires –, l’on peut sincèrement douter que ces progrès seront suffisants. Du moins tant que la politique environnementale mondiale ne suivra pas le mouvement. Compter sur l’intelligence humaine et capitaliser sur le fait que l’homme aura, tout au long de son histoire et de son évolution, réussi à surmonter les crises et les plus gros obstacles qui se mettaient sur sa route, est une aberration totale, laquelle puise sa source dans notre ego démesuré. Car la réalité est tout autre : tous ces « progrès » accomplis, ces promesses d’un monde meilleur – débarrassé des menaces qui pèsent aujourd’hui sur nous –, ne sont que de simples placebos. Pire encore, ils agissent comme des obstacles vers une véritable transformation sociétale.

Ce faisant, nous nous voilons constamment la face, refusant de remettre en cause ce que l’on a toujours injustement présupposé comme étant le pilier fondateur de nos sociétés modernes, et que l’on appelle « croissance ». Notre frénésie de matérialité nous aura empêchés jusqu’ici d’imaginer un monde débarrassé d’un développement exponentiel. En d’autres termes, en misant sur les gestes pratiques et les actions immédiates à l’échelle locale, et donc sans vision globale, nous écartons volontairement les véritables rénovations structurelles. Mais à force de se contenter de repeindre les murs de notre maison sans nous soucier de l’état de sa charpente, nul doute que celle-ci finira par s’écrouler. Et d’espérer une fois encore que nous rangions nos pinceaux et que nous sortions les pelles à temps !

Michel Jourdan

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