Zom ki faim

Ce vendredi 22 août 2025, l’ONU a officiellement déclaré l’état de famine à Gaza.
«Alors qu’il semble qu’il n’y ait plus de mots pour décrire l’enfer que vivent les habitants de Gaza, un nouveau terme vient s’ajouter : famine», a déclaré ce vendredi 22 août le secrétaire général de l’ONU, António Guterres. Ce constat s’appuie sur le rapport du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), organisme de référence indépendant basé à Rome, et qui fut utilisé pour la première fois en 2004 en Somalie.
Ce constat de famine intervient 22 mois après le déclenchement d’une guerre sans merci lancée par Israël après l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 ayant fait 1,218 morts et 19 otages du côté israélien. Depuis, Israël n’a cessé de pilonner la bande de Gaza, faisant quelque 53,000 morts dont plus de 83% sont des civils. Parmi, un grand nombre d’enfants. Mais aux bombes, est venue s’ajouter une autre stratégie, moins « bruyante » : celle de bloquer l’acheminement de ravitaillement vers les populations de la bande de Gaza. Donc, de tuer en affamant.
Le 13 mai 2025 déjà, un rapport de Médecins du Monde alertait sur le fait que la faim était utilisée par Israël comme arme de guerre. Ce rapport notait qu’en seulement un an et demi, la malnutrition aiguë à Gaza avait atteint des niveaux comparables à ceux observés dans les pays confrontés à des crises humanitaires prolongées s’étalant sur plusieurs décennies. « Les enfants souffrant de malnutrition aiguë gonflent et perdent leurs cheveux et leur tissu musculaire, et ont des diarrhées persistantes », déclarait Nadja Pollaert, directrice générale de Médecins du Monde Canada. Les adultes, eux, plus seulement dénutris mais affamés et déshydratés, s’effondrent en pleine rue. Depuis des mois, les agences humanitaires réclament à cor et à cri un accès humanitaire au territoire palestinien, où des centaines de milliers de Gazaouis sont privés de nourriture.
Depuis la dernière analyse IPC en mai, le nombre d’enfants susceptibles de mourir de malnutrition à Gaza d’ici la fin juin 2026 a triplé, passant de 14,100 à 43,400. Le nombre de cas estimés a également triplé chez les femmes enceintes et allaitantes, avec pour impact direct qu’un bébé sur 5 naît prématurément ou avec un poids insuffisant.
Oui, tous les signes étaient là depuis un moment déjà. Et le constat officiel de l’ONU semble tardif. D’autant que l’ONU estime que cette famine « aurait pu être évitée sans l’obstruction systématique d’Israël ».
Pour l’heure, dit le rapport de l’IPC, les conditions de famine prévalent dans les environs de la ville de Gaza, dans le nord du territoire. Mais il est dit qu’elles vont s’étendre à Deir Al-Balah, dans le centre du territoire, puis à Khan Younès, dans le Sud. D’ici fin septembre, plus de 640,000 personnes devraient atteindre des niveaux « catastrophiques » d’insécurité alimentaire dans l’ensemble de la bande de Gaza. Plus d’un million d’autres se trouveront en situation d’urgence et 396,000 en situation de crise. Il est, donc, encore prévu que les choses s’aggravent.
Et cela interpelle d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’une occurrence « naturelle ».
Si dans certains pays, des situations de famine résultent de sècheresses et autres occurrences climatiques, ici c’est directement de la main de l’homme que découle cette famine. C’est notamment ce que dit cette semaine le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, lorsqu’il déclare : « Il s’agit d’une catastrophe d’origine humaine, d’une condamnation morale et d’un échec pour l’humanité ». Selon les critères de l’ONU, la famine est déclarée lorsque trois seuils critiques sont franchis : privation alimentaire extrême, malnutrition aiguë et décès liés à la faim. Outre Gaza, le Soudan est le seul autre territoire au monde à être officiellement touché par la famine à l’heure actuelle.
De son côté, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits humains, Volker Türk, a déclaré : « Recourir à la famine comme méthode de guerre constitue un crime de guerre, et les décès qui en résultent pourraient également constituer un crime de guerre d’homicide volontaire ».
Pour Tom Fletcher, chef de l’humanitaire de l’ONU : « C’est une famine du XXIe siècle, surveillée par des drones et la technologie militaire la plus avancée de l’histoire ». Une situation qui aurait pu être évitée si l’aide humanitaire n’avait pas été délibérément bloquée par Israël aux portes de Gaza au cours des cinq derniers mois. « La nourriture s’accumule aux frontières en raison de l’obstruction systématique d’Israël. C’est une famine à quelques centaines de mètres des vivres, dans une terre fertile. C’est une famine que nous n’avons cessé de signaler – mais que les médias internationaux n’ont pas été autorisés à couvrir », a-t-il affirmé.
Or Israël, en tant que puissance occupante, a des obligations claires au regard du droit international, une de ces obligations étant d’assurer l’approvisionnement en nourriture et en médicaments de la population de Gaza. Mais Israël ne cesse de nier ces responsabilités. « Cela ne saurait continuer. Il n’y a plus d’excuses. Ce n’est pas demain qu’il faut agir, c’est maintenant », déclare Guttierez.
Mais comment ? En faisant quoi ?
Si les agences de l’ONU présentes à Gaza ont réclamé cette semaine un cessez-le-feu immédiat pour permettre enfin une réponse humanitaire à grande échelle, ainsi que la libération immédiate de tous les otages enlevés par le Hamas et d’autres groupes armés lors des attaques du 7 octobre 2023 contre Israël, Benjamin Netanyahu a fait savoir qu’il rejetait en bloc le rapport de l’IPC, le qualifiant de biaisé et estimant qu’Israël est victime d’une campagne orchestrée alliant le Hamas, des ONG, les Nations unies (ONU) et des grands médias internationaux. «Il n’y a pas de famine à Gaza», a de nouveau rétorqué vendredi dernier le ministère israélien.
Ceci intervient alors qu’Israël a annoncé, cette même semaine, avoir approuvé un plan de conquête totale et définitive de Gaza, ce qui a immédiatement entraîné l’intensification de l’offensive militaire israélienne sur Gaza. En réaction, des agences onusiennes ont exprimé leur inquiétude dans un communiqué conjoint : « Beaucoup, en particulier les enfants malades et malnutris, les personnes âgées et les personnes handicapées, ne seront pas en mesure d’évacuer» préviennent-elles.
« C’est la famine du monde entier. Une famine qui demande : “Mais qu’avez-vous fait ?” Une famine qui nous hantera tous – et doit nous hanter », insiste Tom Fletcher de l’ONU.
Reste que pendant ce temps-là, le monde voit s’étaler un discours totalement décomplexé qui parle de faire de la bande de Gaza une « Riviera » clinquante et économiquement effervescente, alors même que se déploie sur place une terrible réalité génocidaire…
Au-delà, l’actualité nous interroge durement sur la réalité de la faim dans un monde qui n’en finit pourtant pas de produire des richesses de plus en plus insolentes. Et mal réparties. Publié le 29 juillet 2025, le rapport annuel des Nations Unies sur l’état de la sécurité alimentaire mondiale souligne que malgré une légère baisse de la faim dans le monde, celle-ci frappe plus de 673 millions d’individus.
Et nous sommes aussi concernés à Maurice par une situation préoccupante. Pas de famine, certes. Mais 12% de la population en situation d’insécurité alimentaire modérée en 2024, contre 5% en 2014. C’est énorme, 12% dans un pays qui s’affiche comme une économie « performante », qui attire des richesses pour ne pas dire des riches venus de diverses régions du monde.
Ce rapport montre aussi que 15% des Mauriciens (soit environ 180,000 personnes) ne peuvent accéder à une alimentation saine, faute de moyens. Il ressort ainsi que le coût d’un repas équilibré a fortement augmenté, atteignant Rs 235 par jour et par personne en 2024, contre Rs 140 en 2004.
Comment une population qui n’a pas les moyens de se nourrir correctement va-t-elle arriver à construire un pays ? Comment faire face, à notre petit niveau, au défi qui se pose plus largement au monde de nourrir 10 milliards d’habitants en 2050 sans détruire la planète ?
Zom ki faim, chantait feu Berger Agathe, tombé sous les balles de la police mauricienne en février 1999. Jusqu’où des êtres humains pourront-ils, aujourd’hui, continuer à accepter d’être tués de faim sans se révolter ?
SHENAZ PATEL

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