Quand deux enfants se disputent dans une cour d’école, on sourit, on sépare, et on passe à autre chose. Quand deux hauts responsables de la Banque centrale se chamaillent devant micros et caméras, on ne rit plus : on a honte. Car ce qui s’est joué ces derniers jours entre Gérard Sanspeur et Rama Sithanen n’a rien d’une confrontation digne d’institutions respectables. C’était une foire d’empoigne, un règlement de comptes public, indigne de leurs fonctions, indigne de la Banque de Maurice, et surtout indigne du pays.
D’un côté, Gérard Sanspeur, fraîchement démissionné à la demande du Premier ministre, se lance dans un grand déballage : accusations de potentat, interférences, arsenal de harcèlement, conflits d’intérêts, enregistrement compromettant qui ferait tomber le gouverneur dans l’heure si jamais il sortait. Tout y passe, jusqu’à la révélation théâtrale de relations troubles avec la Mauritius Investment Corporation Limited.
De l’autre, Rama Sithanen, drapé dans sa dignité institutionnelle, qui rend la monnaie de la pièce : Sanspeur serait un menteur, coupable de « serious misconduct », de perte de confiance et même d’ingérences dans des appels d’offres. Il remercie le Premier ministre d’avoir tranché en sa faveur, au nom de « l’intégrité et de la réputation internationale » de la Banque. Traduction : mon adversaire est un danger, moi je suis le sauveur.
Résultat : un spectacle grotesque, digne d’un vaudeville, où chaque camp sort ses dossiers, brandit ses vérités et accuse l’autre de tous les maux.
À écouter les deux protagonistes, on pourrait croire qu’ils se battent pour défendre l’intégrité de la Banque. En réalité, ils en sont les premiers fossoyeurs. Car à force de transformer la Banque centrale en ring, ils ont réduit son image à celle d’un champ de bataille personnel.
Le message envoyé au public est limpide : si même au sommet on se crie dessus, on s’accuse de corruption, de mensonge et d’abus de pouvoir, pourquoi les citoyens devraient-ils encore faire confiance à ceux qui tiennent les cordons de la monnaie nationale ? Pourquoi les investisseurs étrangers croiraient-ils au sérieux d’une institution qui ressemble plus à un champ de foire qu’à un bastion de stabilité ?
Ce n’est pas une querelle privée. C’est un scandale public. Et il laissera des traces.
Le plus ironique dans cette histoire, c’est que les deux hommes prétendent agir au nom de la transparence, de l’intégrité et de l’intérêt supérieur de l’institution. Pourtant, chacun a choisi la scène publique pour régler ses comptes, non par devoir, mais par ego. Au lieu de se taire pour protéger l’image de la Banque, ils ont préféré étaler leurs rancunes, multiplier les insinuations, et mettre en scène leur duel.
Le résultat est pitoyable : deux carrières abîmées, mais surtout une institution ridiculisée. Car peu importe qui dit vrai ou qui ment. Peu importe que Sanspeur ait eu des raisons ou que Sithanen ait des arguments. Ce qui restera, ce n’est pas la vérité — ce sera le souvenir de deux dirigeants incapables de se comporter comme des hommes d’État.
Dans un pays déjà secoué par des scandales à répétition, cet épisode ajoute une couche supplémentaire de cynisme. On pensait que la Banque centrale, sanctuaire supposé de la rigueur et de la neutralité, tenait encore debout. Elle vacille désormais sous les coups de ses propres dirigeants. Et pour longtemps, chaque fois qu’on parlera de la BoM, on se souviendra moins de ses taux directeurs que de ses règlements de compte.
La stabilité monétaire n’a pas seulement besoin de bons chiffres, elle a besoin de confiance. Et la confiance, elle, ne se décrète pas : elle se mérite. À l’heure où nos devises sont fragiles et où l’économie est sous tension, voir les gardiens de la monnaie nationale se lancer des noms d’oiseaux en public relève de la trahison morale.
Au final, on peut résumer cette séquence en une phrase: deux hommes qui prétendaient défendre l’institution l’ont souillée. Ils voulaient apparaître en sauveurs, ils sortiront en fossoyeurs.
L’un a quitté sous contrainte, l’autre persiste à croire qu’il est indispensable.
Mais l’heure a sonné, M. Sithanen : quand on se croit plus grand que la Banque centrale, on finit toujours par en sortir plus petit. Faites de la place !
BD