Arianne Navarre-Marie, ministre de l’Égalité des genres et du Bien-être familial : « Trouver un juste équilibre entre protection individuelle et cohésion familiale »

Dans un entretien accordé à Le-Mauricien, la ministre de l’Égalité des genres et du Bien-être familial souligne l’importance de trouver un juste équilibre entre protection individuelle et cohésion sociale dans une société où les vulnérabilités sont multiples et interconnectées. Elle évoque également le cas de Soléa, la petite fille abandonnée à Stanley, et souligne que plusieurs couples se sont manifestés pour s’enregistrer comme famille d’accueil. Elle rassure que l’Adoption Bill, longtemps en souffrance, est bonne voie.

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Vous avez pris vos fonctions en décembre dernier à la tête d’un ministère sensible, dédié à l’égalité des genres et au bien-être familial. Quelles ont été vos priorités immédiates ?
Ma priorité absolue a été de remettre de l’ordre dans un système qui, depuis trop longtemps, ne fonctionnait plus comme il le devait. Protéger les personnes et les enfants victimes de violences et d’abus est une mission que nous ne pouvons prendre à la légère : il s’agit avant tout de vies humaines. Il nous fallait donc un plan d’action capable de répondre aux urgences tout en inscrivant notre engagement dans la durée.
J’ai mené une série de consultations avec nos partenaires locaux et internationaux, organisé les Assises de la Famille moins d’un mois après mon entrée en fonction, et échangé avec des personnalités telles que le DPP, Me Raschid Ahmine, le président de la Law Reform Commission, ainsi que mes collaborateurs au ministère. Ces échanges ont nourri le Plan d’action que j’ai présenté le 2 août dernier : un plan sur quatre ans qui servira de feuille de route à notre ministère.

Comment conciliez-vous la dimension « égalité des genres » avec la mission de protection des familles et des enfants ?
La mission de mon ministère repose sur deux piliers indissociables : la promotion de l’égalité des genres et la protection des familles et des enfants. Ces deux dimensions ne s’opposent pas; elles se renforcent mutuellement. L’égalité entre les femmes et les hommes favorise un environnement familial plus équilibré, où les responsabilités sont mieux partagées, tant dans le foyer que dans le monde du travail.
À l’inverse, protéger les familles et les enfants, c’est garantir que les générations futures grandissent dans des foyers sans violence, où les deux parents sont reconnus comme partenaires égaux. Promouvoir l’égalité des genres, c’est donc aussi protéger les familles… et réciproquement.

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Les violences domestiques restent un fléau à Maurice. Quelles mesures avez-vous mis en place pour protéger les victimes ?
Je suis pleinement consciente que la violence domestique demeure un problème majeur. C’est pourquoi nous avons restructuré nos services pour les rendre plus efficaces et accessibles. Depuis août, dix Family Support Services (FSS) ont été ouverts à travers l’île. Ces centres offrent un éventail de services aux familles, aux mères célibataires, aux femmes et enfants victimes de violence, ainsi qu’aux futures mères en détresse. L’objectif est clair : simplifier l’accès à l’aide et accompagner chaque victime avec bienveillance, professionnalisme et efficacité.

Comment renforcer la sensibilisation et encourager les victimes à dénoncer les abus ?
Des dispositifs existent déjà, comme le 119 (un numéro gratuit disponible 24/7) et l’application Lespwar, dotée d’un bouton d’urgence directement relié à la police. Mais au-delà de ces outils, il faut aller vers les gens.
Depuis mon arrivée, nous avons multiplié les campagnes de sensibilisation dans les centres sociaux, communautaires et féminins. J’ai lancé la campagne Men as Allies, qui vise à engager les hommes comme partenaires dans la lutte contre les violences. Nous collaborons également avec le Conseil des Religions et, avec le National Women Council, nous avons déjà organisé près de 50 campagnes de sensibilisation. Une nouvelle campagne, axée sur l’encadrement des familles, sera bientôt lancée pour agir à la racine. Tant que je serai ministre, je mettrai tout en œuvre pour combattre ce fléau.

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Quels dispositifs existent pour protéger les enfants victimes de maltraitance ou d’abus ?
La Children Act 2020 prévoit déjà des mécanismes importants, mais la loi doit être renforcée. À la lumière des recommandations récentes de l’Ombudsperson for Children, nous avons entamé des discussions avec la Law Reform Commission pour revoir la loi. Concrètement, nous travaillons avec la Children Court pour placer les enfants victimes dans des environnements sûrs – familles d’accueil ou Shelters – et leur offrir un accompagnement psychologique, ainsi qu’à leurs parents. Le National Children Council, à travers le Parental Empowerment Programme, joue également un rôle clé dans l’accompagnement et la sensibilisation des familles.

Qu’en est-il de l’adoption et des familles d’accueil ?
Le cas de Soléa, la petite fille abandonnée à Stanley, a profondément touché la nation et rappelé l’importance du système de familles d’accueil. Plusieurs couples se sont manifestés pour s’enregistrer comme famille d’accueil, ce que nous encourageons vivement. Parallèlement, nous avançons sur l’Adoption Bill, longtemps en souffrance. Cette future loi, actuellement finalisée avec la State Law Office, vise à moderniser le cadre juridique et à sécuriser davantage l’adoption dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

La conciliation entre vie professionnelle et vie familiale reste un enjeu majeur. Comment accompagnez-vous les familles ?
Nous agissons sur plusieurs fronts : le renforcement des services de garde agréés, la promotion de politiques favorables aux familles – comme les congés parentaux – et la sensibilisation des employeurs à adopter des pratiques flexibles. L’objectif est simple : permettre aux parents de contribuer pleinement à la société tout en assurant un environnement stable et attentionné à leurs enfants.

Un conflit avec la Junior Minister de votre ministère a fait les gros titres récemment. Quelle leçon en tirez-vous ?
Qu’il faut rester concentrée sur ses objectifs et travailler pour le bien-être des enfants et des familles sans se laisser détourner par les polémiques. Moi, je reste focus. Il y a un rythme que j’ai imposé. Les choses avancent bien dans l’intérêt du pays.

En matière de politique publique, quelles réformes ou lois préparez-vous ?
Plusieurs textes sont en cours de finalisation : l’Adoption Bill, les nouveaux règlements encadrant les crèches et la petite enfance, ainsi que des amendements à la loi sur les violences basées sur le genre, le Domestic Abuse Bill. Notre cadre légal doit évoluer pour mieux protéger, et nous y travaillons avec diligence. Toute la définition de la violence change. C’est le point fondamental de cet amendement. Nous avons également eu une rencontre avec la Law Reform Commission dans le but de renforcer la Children Act.

Quel est, selon vous, le plus grand défi lorsqu’il s’agit de protéger simultanément les femmes, les enfants et les familles ?
Le défi consiste à concilier la protection individuelle avec la cohésion familiale dans une société où les vulnérabilités sont multiples et interconnectées. Cela exige une réponse intégrée, mais aussi un profond changement de mentalités. La mobilisation de tous les acteurs (institutions, société civile, communautés, familles) est indispensable.

Si vous deviez résumer votre mission en une phrase, quel message adresseriez-vous aux Mauriciennes et aux Mauriciens ?
Trouver un juste équilibre entre protection individuelle et cohésion familiale pour construire ensemble une société plus juste, solidaire et respectueuse.

(Propos recueillis par Jean-Marc Poché)

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