Tout est, semble-t-il, possible sous les cocotiers. Depuis quelque temps déjà, des annonces de vente de terrains de l’État, donc de Pas géométriques font le tour des réseaux sociaux. À seulement… Rs 100 millions, une agence immobilière met en vente des terrains en bord de mer, en affichant une préférence marquée pour une clientèle « étrangère ». L’Organisation non gouvernementale (ONG) Mru2025 et le collectif citoyen Aret Kokin Nou Laplaz (AKNL) ont alerté les autorités depuis mai dénonçant cette « braderie des terres de l’État » au vu et au su de tous. Face à l’inaction des autorités et à l’urgence de la situation, ils réitèrent leur appel.
« Monsieur le ministre du Logement et des Terres, agissez s’il vous plaît. Mettez fin à ces abus », a publié l’ONG Mru2025 sur sa page Facebook, durant la semaine. En effet, depuis quelques mois, plusieurs annonces circulent sur les réseaux. Des agences immobilières vendent du rêve aux potentiels acheteurs, sur des biens communs du pays. Ainsi, une annonce fait état d’un « beachfront plot » dans le Nord de l’île pour la somme de Rs 100 millions, avec le potentiel de construire une « high end luxury villa » allant jusqu’à Rs 400 millions ! Une autre parle de « maison à démolir »…
De plus, ces agences semblent avoir une appétence particulière pour les potentiels acheteurs étrangers. « Des agences ont même le culot d’indiquer que ces projets sont réservés à une clientèle étrangère, lorsqu’on les interroge sur ces prix surréalistes, alors qu’il s’agit de Pas Geometriques ! », s’indigne Mru2025. En effet, dans une des réponses que l’agence propose aux Mauriciens qui s’interrogent sur les prix et les terrains affichés, elle répond que « …les étrangers qui investissent à Maurice ont bien plus d’argent que le Mauricien riche. Si voulez achetez le terrain et faites des projets pour les Mauriciens, personne ne vous en empêche »…
Un abus qui ne peut perdurer
Si l’on ne sait pas si ces annonces sont sérieuses — du moins elles se présentent comme telles —, elles soulèvent un problème plus grave, soit l’absence de contrôle au niveau de la gestion des terres de l’Etat et de ce qui est publié en ligne. « Nous avons écrit en urgence au ministre du Logement et des Terres pour dénoncer une situation inacceptable : des terres de l’État (terrain à bail), notamment les Pas Géométriques, terrains situés en bord de mer, sont “vendues” et promues presque comme des propriétés privées, parfois à plus de Rs 100 millions », précise l’ONG Mru2025. Et ajoute que « pire encore, certaines portions se trouvent dans des zones à haut risque d’inondation et de submersion marine. »
Dans la correspondance envoyée en début du mois aux autorités concernées, Carina Gounden de MRU2025 a cité plusieurs autres exemples de mise en vente de terres de l’État, « un growing trend », regrette-t-elle. Un abus qui ne peut perdurer. « Ces cas révèlent un problème beaucoup plus vaste et systémique : les State Lands sont en train d’être marchandisées, et des particuliers tirent des millions de bénéfices de baux qui n’ont jamais été destinés à être traités comme des propriétés privées. La situation actuelle fausse l’ensemble du marché foncier, rendant les prix inaccessibles pour les Mauriciens ordinaires et réduisant leur accès aux zones côtières. Bon nombre de ces parcelles sont situées dans des zones à haut risque ou écologiquement sensibles, où le développement est inapproprié et dangereux. Ce qui rend ces transactions encore plus controversées », explique-t-elle.
Les derniers espaces côtiers encore libres à Maurice
Mru2025, AKNL et plusieurs autres collectifs citoyens parlent depuis des années de la nécessité de stopper la privatisation et la bétonisation des terres de l’État. « Bon nombre de ces parcelles pas Géométriques représentent les derniers espaces côtiers encore libres à Maurice. Sur une grande partie de l’île, le littoral a déjà été urbanisé avec des bungalows et des lotissements privés, laissant très peu d’endroits où les Mauriciens peuvent encore s’asseoir au bord de la mer et se sentir les bienvenus, sans avoir l’impression d’être des intrus ou des invités indésirables au milieu de propriétés privée », souligne-t-elle.
Et ajoute que « les paysages naturels restent ouverts et non développés, offrant un espace pour de futures zones tampons, des espaces de loisirs pour les habitants et des projets d’adaptation au changement climatique, notamment des solutions plus respectueuses de la nature. Notre littoral est déjà trop urbanisé, monsieur le ministre. Si nous construisons sur ces dernières étendues, en particulier avec le recul actuel de 30 mètres, nous ne ferons qu’accélérer l’érosion et augmenter les risques futurs. »
Afin de stopper de telles pratiques douteuses et somme toute malhonnêtes, Mru2025 et AKNL lancent un appel aux autorités. « Il serait également intéressant que le ministre prenne connaissance de l’étude réalisée par le Bureau de recherches géologiques et minières (France) pour Maurice et Rodrigues sur les risques et dangers côtiers, en particulier ceux liés aux risques d’immersion marine prévus pour 2050 et 2100, y compris les impacts des cyclones plus violents, afin de planifier l’avenir de manière responsable », souligne Carina Gounden.
De plus, l’ONG demande que les autorités de tutelles agissent urgemment afin de « stopper la spéculation et l’achat/transfert des baux de l’État comme s’il s’agissait de biens privés ; de lancer un audit national des transferts de baux, en particulier dans les zones côtières et à haut risque et d’assurer une gestion transparente et équitable des terres publiques, au bénéfice de tous et des générations futures. » En attendant, les annonces de « ventes » continuent de circuler en toute impunité. Si ce n’est qu’une plaisanterie, elle reste de très mauvais goût et pourrait, de surcroît, avoir des conséquences sérieuses.