Pour sauver les baleines, cachalots et tortues marines : Eco-Sud engage une bataille judiciaire

Une demande d’injonction vise 23 parties accusées de harcèlement des espèces marines protégées – Les autorités également mises en cause pour leur inaction

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L’ONG Eco-Sud a décidé de porter le combat pour la protection de la faune marine mauricienne sur le terrain judiciaire. Le 27 août 2025, l’organisation a déposé devant le Juge en Chambre de la Cour suprême une demande d’injonction contre 23 parties locales et étrangères impliquées dans ce qu’elle qualifie de « commerce illégal » de la nage avec les cachalots, les baleines et les tortues marines.

Une industrie florissante et incontrôlée

Depuis plusieurs années, Maurice est devenue une destination prisée pour les expériences de nage avec les cétacés et tortues. Sur Internet et les réseaux sociaux, des campagnes promotionnelles agressives vantent cette activité, présentée comme « durable » et « respectueuse ». Mais derrière l’image idyllique, Eco-Sud dénonce une réalité bien différente : une véritable industrie, extrêmement lucrative, qui repose sur le harcèlement quotidien d’espèces fragiles.

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« Sous couvert de respect de la nature, ce sont en réalité des dizaines de bateaux et des centaines de nageurs qui traquent chaque jour les cachalots, baleines et tortues », souligne le communiqué. Ces pratiques, considérées comme des offenses criminelles, sont décrites par l’ONG comme une « mise en danger délibérée » de ces espèces, perturbant leur repos, leur reproduction, leur allaitement et même leur espérance de vie.

Des populations en déclin alarmant

Les chiffres avancés par Eco-Sud, sur la base des recherches de la Marine Megafauna Conservation Organisation (MMCO), sont préoccupants. La population résidente de cachalots, estimée à une trentaine d’individus avant 2022, avait chuté à 25 fin 2024. Plusieurs carcasses ont été découvertes ces dernières années dans les eaux mauriciennes, et de nombreux cas de collisions avec des bateaux ont été recensés, provoquant des blessures graves, souvent à la tête.

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Les tortues marines, elles aussi, subissent les conséquences de cette surexploitation : dérangées lors de leurs déplacements et de leur alimentation, elles voient leur habitat perturbé et leur survie compromise. Des images diffusées sur les réseaux sociaux, montrant des bébés cachalots gravement blessés par des hélices, ont choqué l’opinion publique et illustrent l’ampleur des dégâts.

Des autorités accusées d’inaction

Si Eco-Sud s’en prend directement aux opérateurs, influenceurs et moniteurs impliqués, l’ONG n’épargne pas non plus les institutions mauriciennes. Dans l’action principale qu’elle prépare, elle compte poursuivre la Tourism Authority et le ministère de la Pêche.

La première est accusée d’avoir, « par son inaction durant de nombreuses années, laissé la voie libre à ceux qui ont souhaité s’enrichir sur le dos des baleines, cachalots et tortues de mer ». Le second aurait failli à sa responsabilité légale, définie par la Fisheries Act 2023, qui impose de veiller à ce que ces espèces ne soient pas harcelées.

Eco-Sud reconnaît cependant « un changement de politique » ces derniers mois à la Tourism Authority et salue les récentes opérations menées en mer avec le soutien de la National Coast Guard. Mais elle avertit : « La lutte se joue autant, sinon plus, sur les réseaux sociaux qu’en mer. Les autorités n’ont pas encore les ressources nécessaires pour surveiller efficacement le web, où se poursuit sans relâche la promotion de cette activité. »

Une procédure judiciaire à long terme

Le Juge en Chambre a refusé, pour l’instant, d’accorder l’injonction en procédure ex parte, préférant entendre les parties défenderesses. Ce processus s’annonce long et complexe, compte tenu du nombre d’acteurs visés. Mais Eco-Sud insiste sur l’urgence de la situation.

« Il est urgent d’agir, et ce, avant qu’il ne soit trop tard. Il est de la responsabilité de chacun de protéger notre environnement et nos ressources marines », martèle l’ONG. Elle prépare en parallèle une action en responsabilité civile pour demander réparation et faire en sorte que les contrevenants, mais aussi les autorités fautives, rendent des comptes devant la justice.

Une bataille pour l’avenir

Cette action judiciaire marque un tournant dans la lutte contre l’exploitation illégale de la faune marine à Maurice. Au-delà de la défense des cétacés et des tortues, Eco-Sud veut rappeler que la préservation des océans est intimement liée à la survie de l’humanité. « Les lois existent, mais encore faut-il qu’elles soient appliquées », insiste l’ONG, qui appelle à un sursaut collectif.

L’issue de cette affaire sera scrutée de près, tant par les défenseurs de l’environnement que par l’industrie touristique, sommée de repenser ses pratiques. Une certitude demeure : la bataille judiciaire qui s’ouvre ne sera pas seulement celle des tribunaux, mais aussi celle de l’opinion publique, des réseaux sociaux et du modèle de développement touristique que Maurice souhaite incarner.

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Encadré

Comment font les autres pays ?

La question de la nage avec les cétacés et tortues ne se limite pas à Maurice. Dans plusieurs destinations touristiques du monde, cette activité a dû être encadrée, voire interdite, face aux risques de harcèlement et de déclin des populations marines.

  • La Réunion : Depuis 2019, les sorties d’observation des baleines à bosse sont strictement encadrées par la charte « Approche et observation responsable des cétacés ». Le nombre de bateaux est limité, les distances d’approche fixées (100 m minimum), et la nage avec les cétacés est interdite. Les contrevenants s’exposent à des amendes.

  • Les Maldives : La baignade avec les requins-baleines et les raies manta est autorisée mais très encadrée. Les autorités maldiviennes imposent des quotas de nageurs, des distances de sécurité et des zones dédiées, afin de réduire le stress infligé aux animaux.

  • Les Açores (Portugal) : Destination réputée pour l’observation des cachalots, l’archipel a mis en place un cadre légal rigoureux. Les opérateurs doivent obtenir une licence spéciale et respecter des règles strictes : un nombre limité de bateaux par groupe de cétacés, interdiction de les encercler, et interdiction de nager avec eux.

  • Hawaï (États-Unis) : La loi fédérale protège les cétacés et tortues marines. Nager ou interagir avec les dauphins à long bec (spinner dolphins), qui se reposent près des côtes, est interdit depuis 2021. Les contrevenants risquent de lourdes amendes.

  • Australie : Certaines régions autorisent la nage avec les baleines à bosse, mais dans un cadre très strict : un nombre maximum de nageurs, toujours accompagnés par un guide certifié, et à une distance minimale de 30 mètres de l’animal.

Ces exemples montrent une tendance internationale : même lorsqu’elle est tolérée, la nage avec les cétacés et tortues est encadrée par des réglementations strictes et par une surveillance active. L’objectif est double : protéger les animaux et assurer la pérennité du tourisme écologique.

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