La police a relancé son sens macabre du mauvais spectacle comme s’il ne s’était rien passé le 11 novembre 2024 ! Ce qui s’est produit vendredi dans le cas de notre confrère Narain Jasodanand n’a rien à envier à ce qui se pratiquait sous la police d’Anil Kumar Dip, de Heman Jangi et d’Ashik Jagai. Et le plus aberrant, ce sont les explications farfelues qui ont été fournies après que l’affaire ait commencé à provoquer l’ire de l’opinion.
Le porte-parole de la police, Shiva Coothen – le même qui officiait sous Dip et qui avait toujours une justification toute prête pour n’importe quel dérapage policier –, s’est fendu d’une déclaration, alors là, des plus ridicules sur l’interpellation de Narain Jasodanand. Il a confirmé l’ordre de perquisition du domicile de notre confrère, a expliqué que la police voulait, en fait, vérifier que son compte Facebook n’avait pas été piraté, pour conclure sur une note encore plus abracadabrantesque : il a dit ne pas savoir qui avait logé une plainte contre Narain Jasodanand.
Il nous revient que le Premier ministre par intérim Paul Bérenger, qui n’a pas été informé de cette expédition policière, a réclamé un rapport complet sur cet incident au commissaire de police. Il serait effectivement très intéressant, par exemple, de savoir si cette diligence inhabituelle de la police est la conséquence d’une plainte logée par le fils du gouverneur de la banque de Maurice, Tevin Sithanen.
Mais pas que, même si cela nous ramène à ce qui se passait sous l’ancien régime lorsqu’il suffisait qu’un bien connecté ministre, PPS ou autre individu, évoluant dans le giron de lakwizinn, se sentait « annoyed » pour que la police investisse la résidence du présumé « dérangeur » aux petites heures du matin. Pour traumatiser, intimider et menacer. Non à ce sinistre retour en arrière !
Il serait aussi judicieux de savoir qui a enclenché la grave initiative d’aller solliciter un mandat d’un magistrat pour la perquisition du domicile du journaliste, et qui est ce ou cette magistrate qui a jugé opportun d’émettre le document, et sur quelle base. Question d’établir que la réquisition policière reposait sur des faits probants et indiscutables.
L’incident survenu vendredi et la rapidité d’action de la police ont suscité de légitimes interrogations. Pourquoi lorsque le fils du gouverneur de la banque de Maurice se retrouve être le plaignant, la police se croit autorisée à faire du zèle, et pourquoi lorsque d’autres consignent des dépositions, aucune suite n’y est donnée ?
Et imaginons que l’on découvre, par ailleurs, que le commissaire de police lui-même n’était pas au courant, ce serait là, vraiment, le comble. Cela voudrait dire qu’il y a des cinquièmes colonnes, probablement des nostalgiques de l’ordre ancien, incarné par ceux que l’on voit défiler quotidiennement à la Financial Crimes Commission (FCC), qui sévissent encore aux Casernes Centrales.
Même la FCC, qui n’a pas encore été remplacée par le Serious Fraud Office promis, commence à montrer des signes qui ne sont ni encourageants ni rassurants. Le communiqué émis hier n’est pas pour arranger les choses, ni dissiper les doutes quant au maintien d’une politique de deux poids et deux mesures, selon le statut de ceux qu’elle interpelle.
La FCC met en garde contre des informations erronées, mais communique-t-elle celles qui sont censées être exactes ? Il est grandement permis d’en douter. Ici même, nous posions la question de la pertinence de la démarche qui consiste à annoncer à grands renforts de publicité qu’il y avait des « notices on departure » visant certaines personnes. Pour quoi faire ? Leur donner le temps de se préparer et faire disparaître les preuves ?
Six mois se sont écoulés depuis que de telles initiatives ont été prises à l’encontre de Vinash Gopee et de Bassoo Seetaram, deux proches collaborateurs de Pravind Jugnauth. Qu’est-ce qu’il y a eu depuis ? Rien. Il va falloir peut-être que la presse et la population attendent un prochain communiqué de la FCC pour pouvoir en parler. On s’achemine vers les « gagging orders », maintenant? Il ne faut pas que cette farce devienne grotesque !
Si la FCC est l’organe officiel chargé des enquêtes, la presse a, elle, le devoir sacré d’exposer les failles du système. Dans toutes les démocraties, ce sont souvent les investigations journalistiques qui débouchent sur les enquêtes des autorités compétentes.
Parfois, pour ne pas assister passifs à des opérations de « devir lenket » ou « etouf lenket », la presse exerce sa mission de clarification, qui est utile et nécessaire, parce que les lanceurs d’alerte les sollicitent, déçus qu’ils sont du peu d’actions ou de réactions des autorités, et pour que le dossier n’aille pas dormir dans un tiroir.
Police et FCC encore sous l’emprise de l’ordre ancien ? Certains diront que ces cellules existent, en réalité, un peu partout, parce que le système a été tellement gangréné par la pieuvre orange qu’il est impossible de les neutraliser.
Mais lorsqu’on a obtenu un plébiscite de l’ampleur d’un 60/0, on a le devoir de se doter des outils de correction pour être à la hauteur des attentes de ceux qui ont choisi de sanctionner de manière exemplaire l’ancien régime.
En attendant les textes sur le Police and Criminel Evidence Bill qui devrait encadrer le fonctionnement de la police et lui indiquer clairement ses limites et le Serious Fraud Office, qui viendrait donner un coup d’accélérateur à la lutte contre la corruption, la fraude et autres délits, l’autre réforme cruciale pour la démocratie et son approfondissement a été remise sur le tapis par le PM adjoint.
Rien de bien surprenant puisque le communiqué du Conseil des ministres, en date du 5 septembre, était déjà explicite sur les intentions du gouvernement : « Cabinet has agreed to government engaging in discussions on electoral reforms. A document will be considered by cabinet shortly and thereafter wide consultations will be held with relevant stakeholders ».
Le débat ne fait que démarrer. Certains diront que c’est tôt et qu’il n’y a rien qui presse. Or, il n’est jamais trop tôt pour débattre de questions essentielles comme l’expression du vœu populaire. Alors, discutons…
Josie Lebrasse