Explosion de la consommation (+43MW) cette année, une hausse « sans précédent » selon le CEB
Le pays a déjà frôlé le General Breakdown en avril dernier, avec l’apport des hôtels à la rescousse pour éviter le pire…
La situation est critique : la production d’électricité est sous pression, et le Central Electricity Board (CEB) appelle à la collaboration du secteur privé et de la population pour traverser la période estivale sans recourir au délestage (Load Shedding) avec une pointe de 600 MW annoncée à cet effet. La réputation du pays est en jeu, alors même que le pays accuse un retard significatif dans le développement des énergies renouvelables…
Le CEB a expliqué la situation sans détour face aux principaux acteurs économiques, hier matin, lors d’un atelier de travail organisé par le Club des Entrepreneurs de la transition énergétique (Business Mauritius). « Si la demande excède notre Generation Capacity il y a un stress sur les moteurs et cela peut mener à un black-out. C’est ce que nous voulons prévenir et éviter à tout prix », prévient Damodur Doseeah, Senior Engineer au CEB. La menace d’un délestage plane comme une épée de Damoclès au-dessus des foyers, des bureaux, des usines, des commerces et des hôtels, de toutes les activités socio-économiques, conséquence directe de la flambée de la consommation d’électricité.
En cause notamment : l’utilisation croissante de la climatisation provoquée surtout par les effets du changement climatique. Le CEB enregistre une hausse sans précédent de 43MW de la demande cette année, soit de 567,9MW contre 525,3MW l’année dernière. Signe des temps, la demande ne se contente plus de flamber en journée : « C’est la première fois que nous enregistrons un pic de consommation à 21h, c’est une indication sur l’utilisation grandissante des climatiseurs », poursuit Damodur Doseeah.
Cette tendance inquiète, car la demande maximale s’étire désormais sur plus de trois heures, parfois même six heures – jusqu’à 23h, alors qu’il y a dix ans le pic de consommation durait seulement 30 minutes. Résultat : la Critical Period pour le CEB s’étale chaque soir de 18h à 21h30, avec des moteurs en fonctionnement permanent, sous un stress constant.
Avril 2025 : le pays a frôlé le black-out
L’épisode d’avril 2025 reste dans toutes les mémoires au CEB. Le 21 avril, la capacité installée semblait suffisante : 562 MW disponibles pour une demande de pointe de 491 MW. Mais un moteur était en maintenance et, dans la soirée, un autre gros moteur est tombé en panne. « Nous avons vu notre capacité réduite à 495 MW et le 22 avril, la demande était supérieure à 500 MW. De plus, il faisait très chaud ce jour-là et nous n’avions pas assez de Reserve Capacity pour répondre à la demande », souligne Damodur Doseeah. Le réseau était à bout de souffle et au bord du General Breakdown.
Le CEB a alors dû déclencher en urgence des contacts avec ses gros clients, notamment les établissements hôteliers – qui ont accepté de réduire leur consommation, injectant 11 MW dans le système le 22 avril, 20,8 MW le 23 avril, 21,9 MW le 24 avril et enfin 13,1 MW le 25 avril. Mais il manquait toujours de la capacité.
« À ce moment, nous n’avions plus le choix et avons dû faire du délestage », reprend Maheshwur Dayal du CEB. Donc, durant quatre jours, des coupures de 30 minutes par région ont donc été imposées, chaque soir, entre 18h et 21h30. « Pire, nous avons perdu un autre moteur de 20MW. La situation était Quite Hectic, et nous étions déjà en zone rouge… » Cet enchaînement d’événements a confirmé la fragilité d’un système qui repose sur un équilibre précaire entre demande croissante et moyens de production limités.
« Failure to plan »
Le constat est partagé par tous les intervenants réunis à l’atelier de travail organisé par Business Mauritius et le CEB. Pour Amandine de Rosnay (Business Mauritius), il est crucial de capitaliser sur les acquis. « 70% de la ligne de crédits de SUNREF concerne l’énergie renouvelable et l’efficacité énergétique », dit-elle, invitant à identifier de nouvelles opportunités.
Mais la tâche est immense. Khalil Elahee, président de l’Energy Efficiency Management Office (EEMO) et de MARENA, n’élude pas les faits : « Le défi c’est la maîtrise de la demande d’électricité aux heures de pointe. Il y a 50 ans, 70 MW suffisaient pour toute l’île, avec 50% provenant de la bagasse ou de l’énergie hydroélectrique. Aujourd’hui, je ne veux blâmer personne mais malgré les grandes ambitions, la part du renouvelable n’est que de 1%, c’est la réalité d’aujourd’hui… Il y a un retard très significatif dans le développement des énergies renouvelables. How fair and ambitious is our target ? » Le gouvernement a fixé un cap de 60% de renouvelables à l’horizon 2035, mais la route paraît semée d’embûches : contraintes financières et techniques, réseau vieillissant, manque de normes strictes pour le Built Environment, et effets du changement climatique.
Le parc de production du pays illustre ces contraintes. Selon Damodur Doseeah, la capacité actuelle se répartit ainsi : Charbon et bagasse : 193 MW, Heavy Fuel Oil (moteurs CEB) : 333 MW, Kérosène (Nicolay) : 70 MW, Hydro : 52 MW, solaire à grande échelle : 105 MW, Éolien : 9 MW et gaz de décharge : 3 MW.
Au total, la capacité effective atteint 765 MW le jour, mais tombe à 660 MW la nuit, faute de solaire. Le problème est aigu en cas de sécheresse : l’hydroélectricité (52 MW potentiels) dépend des pluies pour remplir les barrages. Or, avec des canicules plus fréquentes et un climat imprévisible, la sécurité d’approvisionnement hydro-électrique se fragilise davantage.
Le pays n’a pas de marge pour les imprévus. « Le plus gros moteur du CEB est de 37 MW. S’il tombe en panne c’est problématique, nous n’aurons pas suffisamment de Reserve Capacity », explique Damodur Doseeah. Cet été, la demande pourrait atteindre 600 MW. Avec une capacité de 660 MW et des programmes de maintenance inévitables, la marge de manœuvre est quasi nulle.
Entre urgence et transition énergétique
Pour l’EEMO (Energy Efficiency Management Office), l’efficacité énergétique reste la clé. Mais un responsable souligne que sur 125 projets soutenus à ce jour, 65 concernent le secteur hôtelier. Mais « là où le bât blesse, c’est que l’efficacité énergétique n’est pas dans les priorités, surtout qu’en termes d’investissement, nous parlons de millions de roupies », indique-t-on.
D’autre part, le pays ne peut pas se permettre d’attendre la construction d’une nouvelle centrale – un processus de quatre à cinq ans. Le CEB envisage des solutions transitoires comme des générateurs mobiles au gaz ou une Power Barge. Mais le vrai levier, insistent tous les acteurs, reste le changement de comportement de tout un chacun. « We want to keep the lights on in this country and we need your support », soutiennent les responsables du CEB. La gestion de la demande aux heures critiques est le seul moyen pour éviter un délestage, qui ternirait l’image du pays.
Les enjeux dépassent le seul cadre technique. Ils engagent la durabilité économique, sociale et environnementale du pays. L’épisode d’avril dernier a servi d’électrochoc. Mais l’été qui pointe son nez s’annonce déjà comme un test majeur.