Kavinien KARUPUDAYYAN
“Par les matins qui sentent l’étable entrouverte pour la traite des vaches, par les soirs qui sentent le masala, à l’heure des grands feux qui brûlent sous les marmites, un enfant fait des rêves d’avenir.”
Marcel Cabon, Ramgoolam, Editions Mauriciennes, 1963.
La première fois que j’entends parler de Seewoosagur Ramgoolam, je devais avoir sept ou huit ans. Nous étions dans la classe d’Environmental Studies (EVS) et je me souviens de notre enseignant, M.Jeehoo nous montrant une photo d’un charmant vieil homme. Eski zot kone kisannla sa? Limem Bolom Ramgoolam. Je l’avais évidemment vu sur les billets de banque ainsi que sur les pièces de monnaie.
Dès que je rentre dans l’après-midi, je demande à mon père Soondiren qui suit la politique depuis 1976 : “Kisannla SSR?” Et là, il me raconte des pans de l’histoire de cette grande personnalité de la scène politique du 20e siècle, son attachement à la terre mauricienne et au grand Sud d’où ses beaux-parents sont originaires. Il me parle d’autres grands politiciens de l’époque dont Walter, Jagatsingh et Rault pour ne mentionner qu’eux. Un véritable collectionneur de livres et d’objets anciens, mon père préserve toujours de la documentation et des revues des élections générales depuis 1976. « Seki inn mark mwa plis avek Bolom-la (SSR), seki li ti touletan kalm, trankil. Li ti reflesi bien avan koze. Mem antan ki Premie Minis li pa ti koz ninport. Zame li pa ti vilger. »
Né le 18 septembre 1900, la vie de Seewoosagur Ramgoolam peut se résumer dans cette chanson éponyme de Latanier: « Li finn ne Zanfan Labourer, kit Later kouma Gouverner ». Depuis son enfance, il respire cette terre mauricienne. À chaque fois que je rencontre mon père, la discussion s’oriente à un moment donné vers la politique du pays Maurice, territoire auquel on doit appartenir de toutes les fibres de notre personne. Je lui demande ce qui est en train d’alimenter les grands débats qui passionnent les badauds sous le grand badamier du village tel un arbre à palabre, un point de ralliement nécessaire et si cher à Pierre Renaud. Autrefois, cela se faisait sous la boutique chinoise Modern Store, un bâtiment qui n’existe que dans les souvenirs de ceux et celles qui l’ont connu. Je me revois gamin en train d’acheter des pistaches avec le propriétaire, Monsieur Lam Kam Yue. Il les mettait dans des cornets fabriqués à partir de vieilles feuilles de journaux avec une dextérité admirable. Je revois dans la malle de ma mémoire les titres des journaux d’une autre époque dont Advance, Le Populaire, Le Cernéen très souvent avec des titres avec le nom de SSR ou des photos de lui toujours bien vêtu avec l’air pensif, soucieux de l’avenir du pays.
SSR avait cette fibre motrice et pensait toujours comment on pouvait faire avancer le pays. En lisant les rédactions de mes élèves sur la contribution de Sir Seewoosagur Ramgoolam à bâtir l’île Maurice, je découvre ceci: « Il a aidé à positionner Maurice sur la carte du monde. » Ce qui n’est pas peu dire. Il a fallu le génie d’un SSR pour pouvoir donner le la à la diplomatie mauricienne. Je pense notamment à Armand Maudave qui a été d’un grand appui pour faire rayonner Maurice à l’internationale. Dans un entretien à Alain Gordon-Gentil dans la rubrique Apartés dans le journal L’express en avril 2001, il raconte comment son saut du professorat à la diplomatie s’est fait lors d’une réunion au Collège Royal en 1967 où SSR lui propose de faire partie du corps diplomatique qu’il commençait à mettre sur pied à quelques mois de l’indépendance dans un pays en plein ébullition.
Lorsque j’ai demandé à mon père de me parler de SSR récemment, il a pris une petite pause et m’a confié cette anecdote qui relève la grandeur d’âme de SSR. “Ena enn epizod mo bizin rakont twa. Enn fwa mo mama ti al sers lapay pou donn vas manze. Zot ti enn lekip. Ti ena Indranee, Saeeda, Bama ek lezot ankor. Linn pran so lekip ek linn rant dan enn karo pou koup lapay. Kan zot inn fini koup lapay, Sirdar debarke koumans sap lor kal ek dir personn napa sarye lapay parski li pa finn donn permision. Tousala ti pe arive kan enn sel kou Bolom Ramgoolam rant dan so karo. Mem si li ti Premie Minis sa letan-la, li ti pe fini rant dan so karo 5 er 6 er. Bann-la deleg mo mama pou koz ek Bolom-la. Mama dir li nou inn fini koupe fer pake; kann-la pou koupe mem taler ou bien dime. Aster Sirdar pe dir napa sarye. Okontrer kann-la pou koupe taler li fasilit travay. Bolom Ramgoolam dir Sirdar ou rann mwa enn servis donn sakenn so pake lapay ek les zot ale trankil. Dominer mo pa aksepte.”
En pensant à SSR, je pense aussi aux textes d’Yvan Martial dans le journal L’express sous le titre ‘Il y a 25 ans’ qui a permis aux jeunes de ma génération d’apprendre l’histoire de mon pays non pas seulement par le biais des chiffres mais à travers l’humain. Voilà ce que Yvan a à dire dans sa relecture des journaux le 31 janvier 1994 sur Seewoosagur Ramgoolam : « Sa manière de diriger démontre un souci constant de protéger les faibles, les victimes, sans abuser de la violence du formidable pouvoir qu’est le sien. Ce fin psychologue veut, en, toutes circonstances, comprendre le pourquoi d’attitudes qui ne sont pas les siennes. »
Ce grand effort à chercher à comprendre autrui, lui qui a connu « Tagore, Eliot, Gide et Valéry », c’est cela qui le fait un grand fils du sol. Il était à l’aise avec les grands de ce monde aussi bien qu’un villageois au fin fond de l’île Maurice. Ce qui me fait penser à Malcolm de Chazal, qui dans une chronique intitulée En marge d’une biographie-Ramgoolam et nous (II) parue dans le journal Advance, le 3 octobre 1963, écrit: « Un pays n’a une politique forte que si l’homme qui le dirige a la senteur du pays dans ses narines et s’il aime son pays de son sang. Et si intégré au sol de son pays, il pense la terre, il vit la terre dans chacune de ses pensées, c’est pour cela que le Dr Ramgoolam est un grand Mauricien. »
Je pense également à Vel Kadaresen, photographe attitré de Sir Seewoosagur avec qui il s’était lié d’amitié au fil des années. Ses photos inégalables m’ont permis de retracer la vie et l’œuvre de SSR. Son livre intitulé Sir Seewoosagur Ramgoolam-The Vel Kadaresen Collection sorti en 2009 nous offre un voyage photographique retraçant les grands moments de la vie politique et intime du plus grand Mauricien du 20e siècle. En revoyant cette photo où Sir Seewoosagur est en train de visiter ses champs de canne dans le sud de l’île sous les yeux de lynx de Vel, j’ai repensé à ma Apaye et ses amies, à leurs tribulations.
Jeudi 18 septembre, mon enseignant, M.Jeehoo, aujourd’hui à la retraite après une carrière bien remplie, est venu à l’école primaire où je travaille pour parler de SSR aux élèves. Cela m’a ramené à mes souvenirs sur les bancs de l’école, où pour la première fois, j’entendis le nom de Seewoosagur Ramgoolam. Avec les années qui passent, j’apprends mieux à cerner l’homme et sa grande contribution à l’île Maurice. “Know the country you want to serve”, dixit SSR.