Le petit poisson bleu
Ce dimanche matin-là, le père Arnaud, qui officie dans la paroisse de Grand-Baie, amena les fidèles sur le chemin d’une réflexion, avec pour thème : l’émerveillement. Son point de départ était un petit poisson bleu qu’il avait vu dans la mer quelques jours plus tôt.
Un peu plus tard, ma réflexion restait en lien avec ce petit animal sous l’eau et elle me mena sur une route pleine d’émerveillement. La voici !
Il était une fois, dans les profondeurs d’une mer couleur d’azur, un tout petit poisson bleu turquoise, aux reflets argentés. Pas plus long qu’un doigt, il se faufilait entre les rochers, les coraux et les algues, curieux de tout ce que la mer pouvait lui offrir. Il n’était ni le plus rapide ni le plus brillant, mais il avait une chose rare : un cœur toujours émerveillé et libre, comme l’air… sous l’eau.
Chaque matin, le petit poisson bleu saluait le lever du soleil, dont les rayons dansaient sous la surface comme de l’or liquide. Il suivait les bulles d’air comme on suit des lucioles dans la nuit, goûtait l’eau salée comme si c’était du bon lait, et écoutait les chants graves des baleines comme des berceuses oubliées. Tout était source d’étonnement et de joie simple. Jamais ne s’était-il demandé comment tout cela était possible. Pour lui, c’était normal, banal, un dû même…
Un jour, le courant le mena près d’une étrange ouverture dans la roche. Il la traversa et, à sa grande surprise, se retrouva dans un lagon paisible et transparent, entouré de cocotiers, de bougainvilliers et d’autres fleurs qu’il n’avait jamais vues. À la surface, un papillon au style étonnant effleurait l’eau.
— Qui es-tu ? demanda le petit poisson bleu.
— Je suis un papillon, né d’une petite chenille. J’ai grandi lentement, patiemment, cachée dans un cocon. Puis un jour, j’ai déployé mes ailes. Et me voilà. Tu vois à quel point mes ailes sont belles, tachetées de couleurs et de formes les unes plus surprenantes que les autres ?
Le petit poisson ouvrit grand les yeux et dit :
— Comme c’est beau !
Le papillon rit doucement et ajouta :
— Tu n’as encore rien vu, mon petit gars.
Alors, le poisson bleu, curieux et bien décidé, entreprit un voyage plus vaste. Il flaira l’eau plus douce des rivières — au goût de miel — et nagea pour atteindre leur source. Il découvrit des graines minuscules qui devenaient arbres, des petits œufs qui donnaient naissance à des oiseaux chanteurs et des gouttes de pluie qui nourrissaient les racines. Surpris, il vit des êtres — des enfants — courir pieds nus dans l’herbe, des mains cueillir des fruits et des visages lever les yeux vers le ciel.
Il voulut rejoindre ces nouveaux êtres vivants et s’extirpa hors de l’eau. Mais, malheur ! Ses branchies commencèrent à crier à l’aide, et le poisson se mit à se débattre, à se tortiller, de droite à gauche, cherchant désespérément à retrouver son souffle.
C’est alors qu’un enfant se pencha, le prit délicatement dans ses mains et le remit dans l’eau. Le poisson comprit alors que chacun évoluait dans son propre monde. Il commença à se poser des questions sur la complexité de l’environnement dans lequel chaque être vit.
Amusé, l’enfant le regarda dans l’eau et dit :
— Tu es sot ou quoi ? Tu ne peux pas respirer sur la terre. Tu es fait pour vivre dans l’eau, et moi sur la terre. Mais je te comprends. Ça m’arrive de rêver d’ailleurs. Je regarde les étoiles et je voudrais m’envoler vivre auprès d’elles. Mais… impossible ! Je gèlerais dans l’espace, et je ne pourrais même pas respirer. À chacun sa place, et les vies seront préservées ! Ciao.
Bien mystérieux, ce monde ! C’est ce qui fait sa beauté. À bien y réfléchir, on ne doit rien prendre pour acquis. Ce n’est pas parce que tout fonctionne normalement que c’est normal. Ne dit-on pas que l’extraordinaire se trouve dans l’ordinaire ?
Le petit poisson réalisa que, même si tous étaient reliés par un souffle invisible, exister relevait quand même du miracle. L’eau, l’air, la lumière, le vent… tout cela nous entoure, mais chacun a sa fonction. En fait, ces petites choses qui font que tout marche est un exploit. C’est un don venu d’ailleurs. C’est nous obliger à nous poser une question essentielle : qu’en est-il de l’existence d’une intelligence créatrice ?
Il comprit alors que tout — la plus petite feuille, le plus discret battement d’ailes, la graine cachée sous la terre — était un cadeau. Pas seulement pour survivre, mais pour s’émerveiller, pour apprendre à regarder, à écouter, à remercier.
Il retourna à l’océan, toujours aussi petit, mais le cœur plus grand, rempli de toutes ces beautés. Il fut ravi de croiser une tortue, et réalisa qu’elle aussi était faite pour vivre dans l’eau, comme lui. Il observa sa carapace marron, robuste, qui ne ressemblait nullement à ses petites écailles bleues argentées.
Et chaque soir, en s’endormant sous la lueur des étoiles qui se reflétaient dans la mer, il murmurait :
— Merci… pour la vie, pour l’eau, pour l’air, pour la lumière. Merci pour tout ce qui pousse, pour tout ce qui chante, pour tout ce qui aime. Merci pour les humains, les poissons, les plantes et les oiseaux. Merci pour la beauté.
Et dans le silence de cette partie de l’océan Indien, un petit poisson bleu rappelait au monde que la création est un trésor, que l’émerveillement est une prière, et que vivre… est un miracle