Techno : L’IA, une opportunité de développement pour l’Afrique ?

Bien que de nombreux défis de l’Intelligence artificielle (IA) restent à relever, les investissements réalisés par les gouvernements africains, le secteur privé et les géants mondiaux s’accélèrent. Selon le rapport AI Talent Readiness Index for Africa 2025, publié en mai par le cabinet Qhala et la plateforme Qubit Hub, l’Afrique du Sud, la Tunisie et l’Égypte sont les trois pays africains les mieux positionnés pour développer les compétences humaines dans le domaine de l’IA. Derrière le trio de tête, le Kenya (4e), Maurice (5e), le Rwanda, le Ghana, l’Algérie, le Maroc et les Seychelles complètent le Top 10.

L’IA (Intelligence artificielle) présente un potentiel de développement important pour l’Afrique. Cette technologie offre aux organisations publiques et privées des outils de productivité ou permettant l’amélioration de la qualité des services et, par conséquent, des moyens de conquérir de nouveaux marchés, sur le continent et en dehors. L’accès aux données générées par les citoyens ou par les processus opérationnels dans les entreprises permet aux ingénieurs en IA de fournir des outils qui offrent une vue globale et précise d’un secteur d’activité ; des outils capables d’émettre des prédictions ou d’effectuer des recommandations.

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Bien sûr, cette technologie n’est pas sans risques. Le plus sensible tient dans la perte de contrôle sur les données personnelles et stratégiques des organisations. L’essentiel des applications (et donc celles d’IA) utilisées en Afrique, sont déployées dans des centres de données situés hors du continent. En 2021, seulement 1 % des capacités mondiales des Data centers sont hébergées en Afrique, taux qui est passé à 2 % en 2023. Malgré la réglementation, les fournisseurs de Data centers ont la capacité d’exploiter ces données.

 

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Les ressources humaines : un danger prégnant

Cette tendance s’observe d’autant plus avec la croissance des IA génératives. C’est pourquoi rendre ces dernières transparentes et disposer d’instruments juridiques relatifs à la protection des données personnelles (comme le règlement général sur la protection des données en Europe) permettraient de limiter la perte de souveraineté des données par les pays africains. Toutefois, 25 pays africains disposent déjà de lois dédiées à la protection des données et d’autorités chargées de veiller à leur application.

Un autre danger pour l’Afrique est lié aux ressources humaines. Par exemple, dans le milieu académique, la confrontation, la vérification et l’analyse des sources documentaires sont des compétences indispensables que l’IA peut faire perdre. En outre, dans les pays africains, où la reconversion professionnelle est difficile, l’IA est en transforme certains métiers, ce qui pourrait entraîner une vague de perte d’emplois, notamment ceux qui sont automatisables. Au moins 14 % de la main-d’œuvre mondiale est susceptible de changer d’emploi en raison de la numérisation, de l’automatisation et d’autres technologies émergentes.

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Des questions éthiques

En rapportant ce chiffre à l’Afrique, où le taux de chômage dépasse 6,0 % et où 70 % de la population a moins de trente ans, cela pourrait avoir des conséquences économiques importantes. Dès lors, apprendre à travailler avec l’IA, se former en permanence, développer des compétences en analyse critique (critical thinking) sont des moyens de faire face à ce risque. Un autre danger réside dans l’absence de compétences techniques pour accompagner le développement ; l’usage de l’IA risque de maintenir l’Afrique dans un rôle de simple utilisatrice, subissant les biais et l’assimilation culturelle induite par les IA génératives existantes.

 

En effet, par manque de données, ces dernières ont du mal à produire des résultats reflétant la réalité complète de l’Afrique. Face à ces risques et dangers potentiels, la formation des ingénieurs, la recherche scientifique, l’encadrement juridique, l’éducation des populations à l’utilisation et aux dangers de l’IA, le déploiement d’infrastructures en Afrique pour le stockage et le traitement des données, le contrôle de l’utilisation éthique de l’IA par les entreprises sont autant d’enjeux primordiaux afin d’éviter que l’IA ne devienne un frein au développement.

Nous le voyons, les réflexions sur l’IA ne relèvent plus seulement des domaines technique ou technologique ; elles soulèvent aussi des questions d’ordre juridique, éthique et politique. En effet, l’IA est devenue un instrument géostratégique et politique important. Les rapports de force entre les États et les regroupements d’États qui possèdent ou contrôlent la donnée, la puissance de calcul informatique et les ressources de formation et de recherche sont de plus en plus visibles dans l’espace public.

Les États-Unis, la Chine et l’Europe mobilisent des ressources et emploient des stratégies différentes pour réguler, assurer la transparence, préserver l’accès aux données privées, favoriser l’émergence de géants de l’IA et améliorer leur souveraineté numérique. Dans ce contexte de « nouvelle guerre froide », pour reprendre une expression de Cédric Villani, les États africains ne sont pas en marge de la réflexion et de l’organisation du secteur de l’IA.

 

Classement Oxford Insights : Maurice en tête en Afrique subsaharienne

Ainsi, la Déclaration de Sharm el-Sheikh du 26 octobre 2019 met-elle un accent particulier sur la stratégie africaine de transformation numérique et recommande notamment la constitution d’un groupe de travail chargé de définir une position africaine commune sur l’IA, d’élaborer un cadre de renforcement des capacités à l’échelle de l’Afrique et de créer un groupe de réflexion sur l’IA pour évaluer et recommander des projets de collaboration conformes aux agendas de l’Afrique.

De son côté, le classement Oxford Insights mesure le niveau de préparation des gouvernements à la mise en œuvre de l’IA dans la fourniture de services publics à ses citoyens. Le score utilisé prend en compte les investissements réalisés pour l’amélioration de l’infrastructure de communication, la structuration de l’écosystème du numérique et le fonctionnement de groupes de recherche sur l’IA. En Afrique subsaharienne, Maurice est en tête du classement, suivie par l’Afrique du Sud, le Rwanda, le Sénégal et le Bénin. En matière d’infrastructures, les supercalculateurs et les centres de données sont nécessaires pour mettre en œuvre les IA. À ce jour, le Maroc, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et l’Afrique du Sud sont les seuls pays africains qui en soient dotés.

Sans doute, les actions en faveur de l’IA impliquent un renforcement des capacités des jeunes ingénieurs et chercheurs. Depuis le début des années 2000, l’offre de formation en IA augmente. De nombreux pays intègrent des formations en IA ; le master africain en IA lancé en 2018 par l’Institut africain des sciences mathématiques a déjà formé près de 700 étudiants (dont 47 % de femmes) venus de 23 pays africains. Pour créer de nouveaux concepts, faire émerger des idées complètement nouvelles et adaptées aux besoins de l’Afrique, la recherche fondamentale est un enjeu majeur. C’est pourquoi l’Afrique organise la recherche scientifique dans le domaine de l’IA. Le nombre de conférences et de publications scientifiques tend à augmenter au fil des années sur l’ensemble du continent avec, néanmoins, une prévalence de l’Afrique du Nord.

Enfin, se pose la question des langues africaines. Les IA génératives les plus populaires comportent de nombreux biais liés à la sous-représentation d’une certaine réalité dans les jeux de données utilisés pour les entraîner ou encore à la surreprésentation d’observations ne reflétant qu’une partie de la réalité ; c’est le cas des images sur le genre féminin.

Un cadre juridique propre à l’Afrique

Ces IA, créées par les géants mondiaux de l’informatique, collectent leurs données d’apprentissage sur Internet. Aussi, la réduction des biais en IA est un enjeu éthique majeur, qui mobilise activement la communauté des chercheurs et ingénieurs africains. Par exemple, la start-up togolaise Makifaa a lancé un service pour produire des images artificielles qui représentent mieux les réalités africaines.

Nous le voyons, les pays africains s’organisent pour structurer et favoriser, tout en encadrant, le développement d’applications en IA, afin d’améliorer la qualité de vie et l’accroissement de la productivité de leur économie. Bien que de nombreux défis restent encore à relever, les investissements réalisés par les gouvernements, le secteur privé et les géants mondiaux de l’IA s’accélèrent. Ils alimentent la dynamique des ingénieurs et chercheurs dans ce domaine qui travaillent à la création de connaissances et d’applications abordant les problèmes sociétaux de l’Afrique.

Ces dernières années, cette créativité s’exprime tout particulièrement dans l’agri Tech et dans le traitement de la parole en langues africaines. Tant sur le plan de la formation que sur les plans scientifique, technologique et institutionnel, des avancées sont en cours pour que l’IA participe à la croissance économique de l’Afrique.

Cependant, son adoption ne doit pas se faire sans précautions et doit tenir compte de ses risques et dangers. C’est pourquoi il est nécessaire de mettre en place un cadre juridique pour favoriser une IA plus transparente et plus responsable. Les enjeux, économiques, politiques et sociaux de l’IA, nécessitent que les États africains s’y intéressent pour construire et implémenter leur propre approche de l’IA.

 

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