À 72 ans, Jocelyn Chaillet a donné à la chambre qu’il occupe depuis un an à l’hospice Saint-Jean de Dieu, à Pamplemousses, un petit air de musée. Il vit entouré d’objets incroyables, empreints d’un autre temps, qui ont marqué sa vie. Cet ancien assistant-agronome, grand passionné d’histoire, et qui a crée des cadrans solaires à ses heures, a trouvé la recette qui a facilité sa transition vers sa nouvelle vie à la maison de retraite, sans jamais sombrer dans l’ennui.
Nous arrivons à l’heure exacte de notre rendez-vous avec Jocelyn Chaillet. Il est là, debout dans la cour de la résidence. Il nous attend. Certains signes ne trompent pas : Jocelyn Chaillet est un homme qui apprécie et pratique la ponctualité, une valeur d’un autre temps qu’il a connu. Le sien se déroule désormais à l’hospice Saint-Jean de Dieu, à Pamplemousses. Lorsque nous le rencontrons, quelques résidents vaquent à leurs occupations matinales : certains jouent aux échecs, d’autres sont assis, seuls, deux d’entre eux sont au jardin. À cette heure, personne n’est au gymnase, bien que l’hospice dispose d’une salle de mise en forme. C’est l’un des endroits où l’on peut croiser Jocelyn Chaillet, non pour y entretenir sa santé physique, mais parce qu’il y trouve un lieu paisible pour lire. La lecture est l’une de ses grandes passions.
« Mon message est simple »
Ce n’est pas le hasard qui nous a conduit vers Jocelyn Chaillet, mais un message qu’il avait publié il y a quelque temps sur un réseau social. À 72 ans, il s’y est mis pour rester en contact avec ses proches, dont sa fille qui vit en Australie. Dans ce message, il évoquait l’organisation de sa nouvelle vie depuis un an, au sein de cette résidence pour personnes âgées. Un peu mélancolique, très réaliste, il y décrivait en quelques lignes ce qui attend tous ceux et toutes celles qui, un jour, pourraient – en raison de circonstances de la vie – se retrouver dans une maison de retraite. Son message avait touché ses connaissances, dont nombreuses ont repris contact avec lui après des années de silence. « Mon message est simple », nous dit-il candidement, en nous expliquant sa démarche, « je voudrais dire à toutes les personnes qui vont en maison de retraite d’aménager leur chambre avec leurs meilleurs souvenirs, afin de reconstituer une ambiance qui leur a été familière et qui sera un peu le prolongement de leur vie d’avant. » C’est ce qu’il a fait il y a un an.
Le stalactite
Dans les neuf mètres carrés de sa chambre à l’hospice se condensent toutes, ou presque, les strates d’une vie : objets choisis, souvenirs précieusement gardés, fragments de mémoire qui tiennent désormais dans ce modeste espace. On y trouve des pièces rares, des pierres variées, des livres, des boussoles, une tête d’obus de la Première guerre mondiale trouvée en Allemagne, des pipes d’époque, des reproductions anciennes qui n’ont, sans doute, plus de valeur marchande mais qui valent tout l’or du monde aux yeux de Jocelyn Chaillet. Les couleurs, les matières et le style de certains meubles confèrent à sa chambre l’allure d’un petit musée. En y entrant, on a l’impression de remonter le temps. Notamment celui où, enfant, il s’était « offert » un stalactite dans une cave du Sud-Est. « Cette cave a été détruite », raconte-t-il, ajoutant qu’il avait eu raison de prendre ce souvenir d’un lieu qui n’existe plus.
Passionné de pierres
Jocelyn Chaillet n’avait pas imaginé passer le reste de ses années à l’hospice Saint-Jean de Dieu. Il y a un an, des soucis de santé l’avaient conduit en clinique. À sa sortie, il est directement transféré à Pamplemousses. « Mes deux enfants étaient inquiets pour moi. Ma fille Virginie vit en Australie, et mon fils Tristan habite dans le nord de l’île. Ils ne voulaient pas que je me retrouve seul à la maison. C’est d’un commun accord que j’ai accepté de vivre dans une maison de retraite, pour ma sécurité », confie-t-il. Il ajoute qu’il ne pouvait plus entretenir la maison d’Albion où il avait passé un quart de sa vie aux côtés de Josiane, son épouse, décédée il y a quelques années.
À son arrivée dans sa chambre à Saint-Jean de Dieu, il a eu la surprise de retrouver son petit univers, ses trésors familiers. Son fils s’en était chargé avec soin. Il a retrouvé sa collection de cannes en bois, achetées à Maurice, en provenance de la Tanzanie et de l’Inde, de toutes les formes. Ses pierres et minéraux ramenés d’Australie, de Namibie, de Madagascar et qui proviennent d’ailleurs. Il y a même cette pierre basaltique qu’il avait trouvée dans les terres d’un champ de cannes. Ce qu’elle a de spécial ? « Regardez bien au fond, dans cette alvéole », nous dit-il. Et là, en nous approchant de plus près, nous comprenons pourquoi il tient à ce morceau de roche… mais nous en garderons le secret. Posé à côté, un quartz. Si Jocelyn Chaillet n’a pu être le géologue qu’il souhaitait depuis l’enfance, son métier d’agronome l’a rapproché de la terre et des pierres. « Au collège, je voulais prendre la géologie en advance level aux examens de la GCE. Mais le ministère de l’Éducation m’avait fait comprendre que ce ne serait pas possible de mobiliser un examinateur rien que pour ma demande », se désole-t-il.
Tout commence en 1756
« Le premier Chaillet, Jean-François, est arrivé à Maurice en 1756. Il était originaire des Yvelines », raconte Jocelyn Chaillet, promenant son regard vers un dossier, puis vers une maquette de bateau. Féru d’histoire, il avait sollicité l’aide d’un connaisseur qui a réalisé son arbre généalogique, ayant pu remonter jusqu’en 1668. Cet ancêtre des Yvelines est venu à bord du vaisseau Le Penthièvre. Grâce à l’une de ses connaissances, Jocelyn Chaillet a pu retrouver le plan de ce navire au musée de la Compagnie des Indes à Lorient, en France, et faire réaliser une maquette à Maurice. Ainsi, sous ses yeux, protégée dans une vitrine en verre, la réplique du Penthièvre lui rappelle chaque jour une partie de son histoire. Grâce à ses recherches, il a aussi appris qu’un de ses aïeux est enterré au cimetière de Pamplemousses. Ce dernier avait succombé en 1833 à un empoisonnement. 197 ans après l’arrivée de Jean-François Chaillet dans l’Isle de France, Jocelyn Chaillet naît et grandit à Quatre-Bornes aux côtés de ses parents Charles Auguste Joseph et Mona Chaillet. Il fréquente le collège Saint-Mary’s, à Rose-Hill.
Vignes et souvenirs
Après ses études secondaires, Jocelyn Chaillet se retrouve dans une pharmacie où il apprend le métier de pharmacien. « J’ai appris à peser les composants pour la préparation des médicaments. À l’époque, on utilisait encore les anciennes mesures anglaises », se souvient-il. Puis, un jour une opportunité se présente. « Quelqu’un a informé mes parents qu’il y avait un poste vacant d’assistant agronome à l’usine de Médine », dit-il. Il est recruté et y passera 35 ans. Dans son nouvel environnement, rien de ce qui l’intéresse ne lui échappe. Lorsqu’un projet viticole est lancé à Bel-Ombre il y a quelques semaines, l’ancien assistant agronome esquisse un sourire. « Ce n’est pas une première », dit-il, avant de rappeler : « Maurice avait récolté ses premières grappes en 1780 et produit quatre barils de mauvais vin. Les vignes se trouvaient à Port-Louis dans la région appelée Champ de l’Or. On parlait à l’époque des raisins du Dr Laurent. » Mais plus récemment, une autre expérience – cette fois, avec des raisins de table et dont il est à l’origine – s’est révélée concluante. Aujourd’hui, seuls ses dossiers et quelques photos, qui laisseraient plus d’un sans voix, en gardent la trace…
Il s’invente un autre temps
Dans chaque recoin inattendu de sa chambre, il y a des réminiscences de l’histoire, comme ce vieux thermomètre à minimum et maximum fixé à la porte donnant sur une terrasse. À côté de cet objet en forme de U, qui fonctionne encore et dont la particularité est d’enregistrer les températures extrêmes sur une période donnée, une note manuscrite en donne l’explication. Ce thermomètre avait été inventé par James Six entre 1780 (ndlr : entre 1780 et 1782). « Ce n’est pas l’original », s’empresse de dire notre hôte. Et quand on croit qu’il a fait le tour de ses pièces de collection, Jocelyn Chaillet nous surprend encore. Il parle de ses cadrans solaires. « J’en ai construit des horizontaux, dont un que j’ai offert au Jardin d’Éveil d’Albion, ainsi que des verticaux et des armillaires », confie-t-il.
Lorsque nous avons pris congé de lui, Jocelyn Chaillet nous confiait que s’il pouvait remonter le temps, il se projetterait à l’époque de ses grands-parents, au siècle d’avant, quand il n’y avait pas d’électricité à Maurice. Les nombreux ouvrages d’histoire, notamment sur les Mascareignes, du temps des explorateurs, ont nourri son imaginaire. La lecture enrichit ses journées, qui commencent toujours à 4h du matin devant une tasse de café, avant de se poursuivre avec une marche, ainsi que les repas en communauté. À l’hospice de Saint-Jean de Dieu, il ne s’ennuie jamais. Il s’est inventé un autre temps…