Le 25e rapport du Département d’Etat américain note que Maurice est loin des standards minimaux
Malgré des efforts notables, Maurice reste à la traîne dans la lutte contre la traite humaine. Le dernier rapport sur la traite des êtres humains du Département d’Etat amériain révèle des lacunes structurelles alarmantes : manque de protection des victimes, lenteurs du système judiciaire, formation insuffisante des acteurs de la justice et ressources limitées. Ces failles expliquent le maintien du pays en Tier 2.
« The Government of Mauritius does not fully meet the minimum standards for the elimination of trafficking but is making significant efforts to do so » : les premières lignes de la 25ᵉ édition du rapport sur la traite des êtres humains donnent le ton sur la gestion peu louable de cette problématique humanitaire à Maurice. Toutefois, selon le Département d’État américain, le gouvernement mauricien « has demonstrated overall increasing efforts compared with the previous reporting period […] The government maintained efforts to prevent trafficking. The National Steering Committee on Trafficking in Persons (NSCTIP) continued to lead the government’s anti-trafficking efforts. » Malgré ces avancées, le pays reste classé Tier 2. Ces efforts restent freinés par des lacunes structurelles : manque de services spécialisés pour les victimes, lenteurs judiciaires, recours excessif au témoignage des victimes, absence de formation suffisante des magistrats et insuffisance des ressources financières et humaines.
« The government restricted victims’ freedom of movement »
Des avancées importantes ont été constatées au cours de la période sous revue, notamment la première condamnation d’un trafiquant depuis trois ans, l’identification d’un plus grand nombre de victimes de traite par le travail, ainsi que la mise en service d’une unité spécialisée de lutte contre la traite (TIP Unit) au sein de la police mauricienne. De plus, le ministère du Travail, via son unité spéciale pour les travailleurs migrants (SMWU), a poursuivi ses efforts de prévention par le contrôle systématique des contrats, des séances d’accueil auprès des travailleurs étrangers et des inspections intégrant des indicateurs de traite.
Toutefois, ces progrès demeurent insuffisants face à de graves lacunes. « However, the government did not meet the minimum standards in several key areas. Protection services for adult trafficking victims remained woefully inadequate, and the government continued to lack victim-centered, trauma-informed approaches in the provision of assistance. The government restricted victims’ freedom of movement and did not issue any work permits to victims required to stay at the shelter while criminal proceedings were ongoing », relève le rapport. Dans certains cas, des victimes étrangères ont été contraintes de coopérer sous la menace d’arrestation ou de déportation. Par ailleurs, les autorités tendent encore à poursuivre certaines affaires de traite sous d’autres qualifications pénales, telles que l’agression ou le proxénétisme, qui entraînent des sanctions moins lourdes et amoindrissent la portée dissuasive de la loi anti-traite.
Police peu spécialisée
Le rapport souligne que le gouvernement mauricien a renforcé l’application des lois ; notamment la Combating of Trafficking in Persons Act et la Children’s Act de 2020, contre la traite. Et que : « For the first time in three years, the Office of the Director of Public Prosecutions (ODPP) initiated prosecutions against seven defendants in two sex trafficking cases. The court convicted a trafficker and sentenced him to three years’imprisonment ; this was the first trafficking conviction in three years. » Si les lois ont été renforcées, la formation et les ressources ne suivent pas toujours. Notant que le gouvernement a rendu opérationnelle son unité spécialisée contre la traite (TIP Unit) au sein de la Central Criminal Investigation Division, les Américains soulignent, cependant que par manque de ressources, cette unité doit souvent s’appuyer sur la police, moins spécialisée, pour mener les enquêtes sur la traite humaine ! Et de faire ressortir : « Unlike the previous year, the government did not report providing specialized anti-trafficking training to prosecutors or magistrates » tout en soulignant que les autorités mauriciennes ont coopéré avec INTERPOL dans le cadre d’activités d’application de la loi.
Magistrats insuffisamment formés
Malgré quelques progrès notés le bureau du Directeur des Poursuites Publiques, selon le rapport, poursuivait rarement les affaires de traite, souvent faute de preuves suffisantes. Les forces de l’ordre, surtout en dehors de Port-Louis « continued to lack a complete understanding of human trafficking and proper investigative techniques and often relied on victim testimony without gathering corroborating evidence ». Ainsi, les affaires étaient parfois requalifiées en délits moins graves, avec des peines plus légères, tandis que les magistrats insuffisamment formés rendaient parfois des jugements indulgents. Le processus judiciaire à Maurice reste très lent, décourageant parfois les victimes de poursuivre leurs démarches. « magistrates did not always prioritize the cases. Courts continued to experience a pre-existing backlog of cases », indique le rapport.
Le rapport indique qu’en 2024, la protection des victimes à Maurice a diminué : seulement 16 victimes identifiées et 9 orientées vers des services. Les refuges sont limités, surtout pour les hommes, et la liberté de mouvement des victimes est restreinte. Les victimes étrangères n’ont reçu aucun permis de travail, certaines ont été déportées. Malgré la loi autorisant l’assistance juridique et la protection des témoins, les politiques de soutien aux victimes restent insuffisantes, et des méthodes coercitives ont été utilisées pour les faire coopérer, et aucune réparation financière ni action civile n’a été accordée en raison de procédures trop longues et coûteuses.
Des femmes, premières victimes étrangères
Quant au profil des victimes de traite humaine, le Département d’État américain parle de filles issues de milieux défavorisés, exploitées sexuellement parfois via internet, des mineurs et des migrants parfois contraints de transporter de la drogue des personnes de la communauté lesbiennes, gays et bisexuelles. Et de noter : « Children on Rodrigues Island […] are vulnerable to sex trafficking. » Les victimes étrangères sont principalement des femmes malgaches trompées par de fausses promesses d’emploi, mais aussi des ressortissantes de Russie, du Kazakhstan, de Biélorussie ou d’Ukraine, exploitées à travers de fausses agences matrimoniales. Les travailleurs migrants à Maurice – principalement du Bangladesh, d’Inde, de Madagascar, du Sri Lanka et du Népal – sont exposés à la confiscation de passeports et à l’exploitation dans les secteurs du textile, du bâtiment et de la pêche. Certains travailleurs nord-coréens seraient également exploités sur des navires de pêche dans les eaux mauriciennes.
Recommandations prioritaires préconisées
Le rapport insiste sur plusieurs recommandations prioritaires. Il s’agit notamment de renforcer l’identification proactive des victimes dans les populations vulnérables, de mettre en place un programme de protection des témoins et de garantir une assistance adaptée, indépendamment du statut migratoire ou de la participation aux poursuites judiciaires. Les autorités sont également appelées à mener des enquêtes et des poursuites rigoureuses en vertu de la loi anti-traite, avec des sanctions proportionnées à la gravité du crime, à éviter toute pénalisation des victimes pour des délits commis sous la contrainte, à élargir l’offre de refuges (y compris pour les hommes), à renforcer la formation des policiers, inspecteurs, magistrats et procureurs, et à améliorer la régulation des agences de recrutement. Enfin, le rapport souligne l’importance d’allouer davantage de ressources au plan d’action national 2022-2026 et de mettre en place un meilleur système de collecte et de partage des données.