À l’heure où le contrôle de la population canine à Maurice est une priorité, à l’heure où des actes de cruauté sont innombrables et se font en toute impunité, la Mauritius Society for Animal Welfare (MSAW) a désigné une autre priorité : imposer le micropuçage et l’enregistrement aux propriétaires d’animaux, et appliquer des sanctions en cas de non-respect de cette loi. Une décision qualifiée d' »irréfléchie » et « arbitraire » par les ONG et bénévoles habitués sur le terrain, d’autant que cette décision a été prise sans aucune consultation avec ceux concernés et ne prend pas en compte une fraction de la population à faibles revenus, obligée à se plier à cette nouvelle réglementation alors qu’ils sont déjà en situation précaire .
Depuis le 1er octobre, la micropuce (méthode d’identification) est obligatoire pour tous les chiens. Cette obligation vise à faciliter la traçabilité, prévenir les abandons et responsabiliser les propriétaires, avec des sanctions prévues en cas de non-conformité. Pour Usha Eliza Oodit de Pink Pony Charity Trust, comme pour Maria Padaruth de Black Cat Coffee, il s’agit d’une démarche positive, mais non structurée et planifiée. « Cette décision a été prise de manière unilatérale, sans aucune consultation avec les ONG. Pourtant, nous avions eu plusieurs réunions avec le ministère de l’Agro et le directeur de la MSAW », déplore Usha Eliza Oodit, ajoutant que si la micropuce et l’enregistrement ne sont pas accompagnés d’autres mesures, ils ne feront qu’aggraver le problème en poussant certains propriétaires à abandonner leur animal plutôt qu’à les faire enregistrer. « Je ne vois pas du tout comment cette mesure résoudra le problème de chiens errants. Au contraire, elle ne fera que l’aggraver. Car les abandons vont croître dans le pays. Pour que cette mesure soit efficace, il faut un système de contrôle crédible : la stérilisation en masse », s’insurge-t-elle.
« Le microchipping ne résoudra le problème de chiens errants »
Cette habitante de Moka se dit inquiète pour la centaine d’animaux qu’elle a recueillis chez elle ainsi que pour les chiens errants qu’elle nourrit. « J’ai chez moi 150 chiens que j’ai fait stériliser. Comment enregistrer tous ces animaux, là ? C’est impossible ! Le problème est épineux pour tous ces rescuers qui ont sauvé les animaux de la rue ou de la maltraitance », s’alarme-t-elle. Tout en ajoutant que rendre cette mesure obligatoire, alors que certaines personnes touchées par la précarité peinent à s’en sortir, est arbitraire. « Ont-ils pensé à offrir des facilités à toutes ces personnes en difficultés financières, âgées ou malades ? », s’interroge-t-elle.
Maria Padaruth, de Black Cat Coffee, partage le même point de vue. « Des personnes en situation de précarité – dont leurs ressources ne leur permettent que de couvrir leurs besoins essentiels de nourriture et ceux de leurs animaux – est une réalité à Maurice. De plus, tous les ménages ne possèdent pas une voiture pour se déplacer que ce soit pour la stérilisation ou le microchipping/enregistrement. Le transport d’animaux en taxi ou en bus n’est pas autorisé, ce qui rend les choses plus compliquées pour toutes ces personnes ayant un statut socio-économique faible. Il faudrait supprimer cette interdiction et donner le droit de voyager, même s’il faut exiger la muselière », avance-t-elle. Comme la rescuer Usha Eliza Oodit, elle est préoccupée par le sort des stray dogs. « Si un chien errant se fait capturer et ne porte pas de micropuce, que feront-ils de lui ? Le Catch & Kill est-il la voie possible ? Nos nombreuses interrogations restent sans réponses », dit Maria Padaruth.
Un retour vers le Catch & Kill ?
Réagissant à cette nouvelle mesure imposée par la MSAW, le Dr Swaley Abdoola, Chairperson du Vet Council, a déclaré que : « Je suis d’accord pour les frais du microchip, mais je trouve déraisonnable d’assigner les registration fees aux personnes en situation de précarité sociale. Cette catégorie de personnes ne devrait pas payer. Mais plutôt l’imposer aux gros dog breeders. La MSAW devrait insister sur les frais d’inscription pour les éleveurs de chiens ainsi qu’un permis d’élevage renouvelable annuellement contre paiement de Rs 100,000 ». Par ailleurs, celui qui se démène continuellement contre les pratiques vétérinaires illégales ajoute : « L’installation de la micropuce est une procédure vétérinaire et seuls les vétérinaires enregistrés sont habilités à procéder à l’implantation de la micropuce. Lorsque le chien a été micropucé, il est de la responsabilité du vétérinaire d’envoyer toutes les données à la MSAW sur une base mensuelle, soit par e-mail, soit par courrier ou WhatsApp. Les propriétaires de chiens n’ont pas besoin de prendre un jour de congé et de s’absenter du travail. De plus, le propriétaire de l’animal doit s’assurer que le vétérinaire appose sa signature, le tampon personnel – et pas celui de l’entreprise pour laquelle il travaille –, ainsi que son nom au complet. »
Pour ce vétérinaire qui compte une quarantaine d’années de service, cette mesure n’aura aucun impact sur la gestion de la population canine. « Quelles actions prendra la MSAW pour les chiens trouvés en état de divagation ? Ces chiens seront-ils capturés ? Si oui, pour en faire quoi ? Quelle structure pour les accueillir, sachant que l’espace à la MSAW est saturé ? Seront-ils tués ? Avant de mettre cette loi en application, il aurait fallu communiquer d’abord. Pour revenir à la gestion de la population canine, ils se plaignent d’un manque de vétérinaires, mais ils refusent l’aide internationale. C’est une situation paradoxale. Pour quelles raisons la MSAW a-t-elle refusé l’aide internationale ? On aimerait savoir », questionne le Dr Abdoola. Pour lui, faire stériliser seulement les owned dogs est un gaspillage de fonds public. « Comment cette mesure résoudra-t-elle le problème des chiens errants ? Pour moi, il existe deux solutions : soit capturer, stériliser, relâcher, et le problème reste entier. Ou alors, opter pour l’euthanasie. Imaginez avec le nombre croissant de chiens errants, les risques de rabbies, un virus dont Maurice n’est pas à l’abri. Si cela se produit, toute la responsabilité reviendra au département vétérinaire et au ministère de l’Agro », déclare-t-il.
À plusieurs reprises, nous avons essayé de contacter Tinagaren Govindasami, le directeur de la MSAW, mais il était injoignable et constamment en réunion à chaque tentative de contact.
Légendes :
1. Pour le Dr Swaley Abdoola, Chairperson du Vet Council, cette mesure n’aura aucun impact sur la gestion de la population canine
2&2a. Selon Maria Padaruth et Usha Oodit, l’absence de stérilisation en masse et d’application de la loi contre les cas de cruauté pourrait limiter l’efficacité de la mesure imposée aux propriétaires d’animaux
3. L’offre gratuite soumise par le WVS (photo : Luke Gamble, CEO du WVS) avait été rejetée par la MSAW
La MSAW n’avait pas accepté les services gratuits du World Veterinary Service (WVS)
Si Maurice n’a pas d’expertise et la capacité qu’exige un programme de stérilisation en masse pour s’attaquer à la situation de prolifération des chiens errants – qui doit être entrepris dans le cadre d’une période de temps aussi courte que possible, afin que la stérilisation soit efficace pour provoquer un changement significatif et durable –, l’offre du World Veterinary Service (WVS) d’entreprendre gratuitement un programme de stérilisation en masse dans le pays avait été ignorée. L’International Animal Welfare Project Consortium (IAWPC) et le WVS avaient proposé à plusieurs reprises, en 2023-2024, de réaliser des campagnes de stérilisation en masse. Le WVS visait à stériliser, vacciner et micropucer 80,000 chiens au cours des 12 premiers mois.
Stériliser 80,000 chiens en un an
La coalition internationale IAWPC avait recommandé au gouvernement que le programme soit entamé par le WVS, qui a fait ses preuves dans les programmes de gestion de populations canines à haut volume pour des gouvernements et des ONG à l’échelle internationale. Parmi ses actions, le WVS avait mené un programme de gestion de populations canines pour le gouvernement de Goa, en Inde, où il a stérilisé 10,000 chiens en six mois et vacciné plus de 90,000 chiens contre la rage, en collaboration avec l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et les programmes de vaccination de l’ex-Office International des Epizooties (OIE), connu maintenant sous le nom de World Organisation for Animal Health (WOAH).