ENTREPRISES — Le paradoxe de l’IA : des milliards investis, des rendements décevants

Le MIT AI Risk Repository identifie 1 600 risques potentiels liés à l’IA

- Publicité -

La ministre Jyoti Jeetun annonce un code de gouvernance pour la fonction publique

Le développement fulgurant de l’intelligence artificielle fascine autant qu’il inquiète. Derrière les annonces spectaculaires des grandes entreprises technologiques et les milliards investis à l’échelle mondiale, une réalité plus nuancée se dessine : les promesses de rentabilité ne sont pas encore au rendez-vous… C’est ce qu’a expliqué Ernie Fernandez, ancien vice-président de Microsoft, à la quatrième édition de l’Annual Corporate Governance Conference, organisée par le Mauritius Institute of Directors. Pour lui, le paradoxe de l’IA tient en une équation troublante : des financements massifs pour des rendements bien en dessous des attentes.

- Publicité -

« There is an AI paradox that’s happening right now. On the one hand, global AI spending is in the hundreds of billions of dollars. (…) Yet here is the paradox. Despite these massive investments, most companies that have implemented AI projects are seeing returns on investment that are way below what they expected », a déclaré Ernie Fernandez devant un parterre de dirigeants issus du public et du privé. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : alors que les entreprises s’attendaient à un retour sur investissement de l’ordre de 20% ou plus, celui-ci plafonne aujourd’hui autour de 10%, a poursuivi l’ancien responsable de Microsoft.
Organisée avec le soutien de la MCB et de Mauritius Telecom, et en partenariat avec l’ambassade des États-Unis, la conférence avait pour thème “The Mauritian Advantage – AI, Talent, and Ethical Leadership”. Elle a réuni décideurs publics, chefs d’entreprise et experts autour de trois leviers jugés essentiels pour l’avenir : l’intelligence artificielle, le capital humain et le leadership éthique. La présence d’Ernie Fernandez s’inscrit dans le cadre de l’US Speaker Program, une initiative du département d’État américain qui vise à favoriser le partage d’expertise dans les domaines stratégiques. Avec plus de 30 ans d’expérience dans la transformation numérique, dont un passage marquant chez Microsoft et IBM, Fernandez a livré une analyse sur les promesses, mais aussi sur les menaces associées à l’IA.

Entre opportunité et danger

- Advertisement -

Pour l’expert, l’IA est à la fois un outil de transformation et un facteur de risque inédit. « AI can unlock insights, accelerate innovation, and create value at scales we have never imagined before. On the other side, the risks too are anything that we have had to govern before, where a single algorithmic decision can affect millions instantly. » Autrement dit, l’IA peut bouleverser positivement la productivité et l’innovation, mais ses dérives peuvent aussi détruire des décennies de confiance en quelques secondes.

Le Massachusetts Institute of Technology – MIT AI Risk Repository – identifie déjà plus de 1 600 risques liés à l’IA, répartis en sept grands domaines, ainsi que 56 cadres de gestion des risques. Ernie Fernandez a rappelé que ces menaces sont d’une nature différente : « AI risks are different. They are emergent, appearing suddenly as systems interact in unexpected ways. They are scalable. A single algorithmic decision can affect millions. And they are opaque. » Même les développeurs ne comprennent pas toujours comment une IA parvient à une conclusion donnée.

D’où l’importance de repenser la gouvernance. « The answer is not to choose between innovation and governance, it is to reimagine governance as an enabler of responsible innovation. » Selon lui, les conseils d’administration doivent devenir « AI literate », c’est-à-dire suffisamment compétents pour poser les bonnes questions, challenger les dirigeants et s’assurer de la transparence des systèmes.

Pour illustrer ses propos, Ernie Fernandez a cité l’exemple de Microsoft, qui a mis en place un Responsible AI Council rendant compte régulièrement au conseil d’administration, ainsi qu’un rapport annuel de transparence sur l’IA. « Boards and executives must go beyond deploying technology. They need to live out responsible leadership and transparency. » Le message est clair : il ne suffit pas d’adopter l’IA, encore faut-il garantir qu’elle serve des objectifs clairs, éthiques et mesurables.

L’intervenant a également souligné que Maurice a des atouts pour se distinguer. Sa taille, sa souplesse réglementaire et sa vision stratégique – à travers Digital Mauritius 2030 – en font un terrain fertile pour expérimenter une gouvernance innovante. « Your government’s commitment (…) combined with private sector readiness, creates an ideal condition for AI leadership to emerge in Mauritius. »

Incertitudes et responsabilité

Pour sa part, la ministre des Services financiers, Jyoti Jeetun, a placé le débat dans un cadre plus large. Elle a évoqué les incertitudes géopolitiques, les tensions commerciales, les bouleversements liés au climat et les mutations rapides du marché du travail : « It is probably the most difficult time to be in the boardrooms, to take decisions today on a future which is so uncertain and so unpredictable », dit-elle. Pour elle, les structures de gouvernance jouent un rôle essentiel face à ces défis. « Having corporate governance structures in place does provide a bedrock for decision making. » Elle est revenue sur l’importance de l’éthique et de la responsabilité, rappelant que la gouvernance ne se résume pas à respecter des lois : « It is not just about being legally in order (…) it’s really about what is fair, what is aligned with the values of society, our own values. »

Jyoti Jeetun a annoncé l’élaboration prochaine d’un code de gouvernance pour le secteur public, en collaboration avec la Banque mondiale. « A code for public sector governance to make sure that corporate governance is not just about private sector. It should also apply to government companies, departments, and ministries. » Cette initiative vise à renforcer la transparence et la responsabilité au sein des entités étatiques, afin de garantir une cohérence avec les meilleures pratiques du privé.

La ministre a également insisté sur la nécessité de renforcer la diversité dans les conseils d’administration. Trop souvent, selon elle, les nominations relèvent du simple « tokenism » : « We need one woman director, so we will approach just one. » Elle a appelé à une approche « plus ambitieuse, intégrant diversité de genre, d’âge, de culture et de compétences, aussi bien dans le privé que dans le public ».

Leadership éthique

Sheila Ujoodha, Chief Executive Officer (CEO) du MIoD, a indiqué que l’IA transforme profondément la gestion des risques et des opportunités. « AI is reshaping the very nature of risk, opportunity, and strategy. (…) But the real challenge is not just in adoption, but in governance. » Elle a insisté sur l’importance des talents, soulignant que la technologie seule ne suffit pas : « No matter how advanced technology can be, it is the people who make the difference. » Or, Maurice fait face à une fuite des cerveaux et à des lacunes en compétences, ce qui fragilise son développement numérique.

Pour Sheila Ujoodha, les entreprises doivent construire une culture tournée vers l’avenir, investir dans la formation et retenir les talents. Enfin, elle a rappelé que le leadership éthique restait le ciment de l’ensemble : « When markets are uncertain, trust remains our most valuable currency. Boards and leaders today must lead with purpose and with trust. »
Cette conférence a confirmé que le pays se trouve à un moment charnière. L’intelligence artificielle offre des perspectives inédites, mais pose aussi des risques systémiques. La gouvernance apparaît comme un facteur déterminant pour transformer les promesses technologiques en valeur durable. Le consensus qui se dégage est que notre réussite passera par une combinaison d’innovation, de responsabilité et de transparence. Plus encore que la technologie elle-même, c’est la qualité des structures de gouvernance et la capacité à inspirer confiance qui détermineront la compétitivité du pays dans la décennie à venir.

Les “Distinguished Fellows”

Ce qui a également marqué la quatrième édition de la conférence annuelle sur la gouvernance d’entreprise, c’est le lancement de la catégorie des Distinguished Fellows du MIoD. Ce titre honore les membres qui ont accompagné l’institut depuis ses débuts et ont significativement contribué au paysage de la gouvernance d’entreprise à Maurice depuis la création du MIoD.

Les neuf membres distingués sont : Ravin Dajee, Managing Director, Absa Maurice, Jean Pierre Dalais, Chairman, Ciel Group, Cédric de Spéville, CEO, Eclosia Group, George Dumbell, Chairman, Constance Group, Arnaud Lagesse, CEO, IBL Group, Georges Leung Shing, Independent Director, Jean Michel Ng Tseung, CEO, MCB Group, Aruna Radhakeesoon, avocate, Prakriti One Ltd et Tim Taylor, Chairman, Scott & Co Ltd.

Renforcer notre compétitivité avec l’IA
Le ministre des Tic, Avinash Ramtohul, qui participait à cette conférence, a mis l’accent sur l’importance de préparer le pays à l’ère de l’intelligence artificielle. « La compétitivité de Maurice repose sur notre capacité à former les talents, sécuriser nos infrastructures critiques et instaurer un cadre de confiance autour des technologies émergentes », a-t-il déclaré.

Il avance que le gouvernement déploie actuellement le Digital Transformation Blueprint et la stratégie nationale sur l’IA, visant à bâtir une économie numérique inclusive, résiliente et responsable. Selon lui, la réussite de cette transformation dépendra de la collaboration étroite entre politiques publiques, entreprises et instances de gouvernance, une mission à laquelle contribue pleinement le MIoD en favorisant un dialogue basé sur l’éthique, l’impact et la vision à long terme.

- Publicité -
EN CONTINU
éditions numériques