« Vive le livre ! Comme je l’ai dit à un enfant qui feuilletait un livre la dernière fois, n’oublie pas ce geste. Le livre restera toujours ton ami. Quand tu as un chagrin, ou pas, le livre sera toujours là. Fidèle. Fidèle comme un chien ! » Ces mots de Barlen Pyamootoo, écrivain, éditeur et fondateur du Festival du Livre de Trou-d’Eau-Douce, sonnent comme une attestation de foi, bien ancrée dans la réalité. Il ne déroge pas à son postulat, et ses propos illustrent l’esprit qui l’anime et qu’il partage généreusement avec le public sous le ciel de Trou-d’Eau-Douce. Au Mauricien, il observe que le festival a vu le passage d’environ 4 000 visiteurs durant le week-end du 3 au 5 octobre sur la plage de Trou-d’Eau-Douce.
Ateliers, conférences, discussions, mises en voix et vente de livres ont jalonné le week-end des festivaliers de Trou-d’Eau-Douce, qui a démarré vendredi avec, en apogée en début de soirée, le dévoilement du nom du lauréat de la 4e édition du Prix de l’Indianocéanie : Didier Lentrein, pour son roman Le Puits arabe, édité à L’Atelier des Nomades. Celui-ci était présent durant la matinée de samedi et de dimanche pour des séances de dédicaces et une rencontre avec le public. Le Prix de l’Indianocéanie est porté par la COI en collaboration avec le Département de La Réunion et l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Le week-end s’est déroulé tranquillement, avec des moments intenses lors des rencontres de qualité entre passionnés de livres et de société, tous âges confondus. « Je suis vraiment très content. Il faisait beau. Les gens étaient heureux », observe Barlen Pyamootoo, qui était sur place pendant tout le festival. « Je suis très content surtout pour une chose : des enfants ont participé aux ateliers jeunesse proposés par l’IFM. Nous voulions rendre l’accès aux livres plus faciles pour les jeunes. On va dans cette direction. Beaucoup de jeunes de Trou-d’Eau-Douce ont participé à la Nuit de la lecture. Nous voulons ouvrir le festival encore plus aux jeunes », affirme notre interlocuteur.
Si, pendant la journée de samedi, après le déjeuner, tout semblait calme sur la plage de Trou-d’Eau-Douce, d’aucuns qui s’y sont rendus ont doublement apprécié les lectures musicales d’ici et d’ailleurs de Sandrine Raghoonauth, sous la marquise de l’Institut français de Maurice (IFM), un des partenaires majeurs du festival. Installés sur des tapis ou des coussins posés sur le sable, les enfants, les yeux avides, écoutaient attentivement les histoires qui leur étaient racontées. D’autres, encore, ont savouré les échanges avec les auteurs, dessinateurs et libraires. « On a pris notre temps pour échanger. Les lieux s’y prêtaient », témoigne un visiteur au Mauricien.
Les conversations, les conférences et la Nuit de la lecture ont été les points forts du week-end. Les thèmes abordés durant les conférences étaient divers, allant de La conception à la naissance du livre : la chaîne humaine derrière chaque titre, à la lutte des Chagossiens, avec la participation d’Olivier Bancoult, leader du Groupe Réfugiés Chagos, et d’Ibrahim Alladin, auteur du livre récemment paru chez BM Publications Ltd, Olivier Bancoult, A Cry for Freedom – The Story of Chagos, ainsi que le témoignage « poignant » de Cassam Uteem.
Une autre rencontre marquante aura été celle entre le linguiste Issa Asgarally et le journaliste et écrivain Jean-Claude de l’Estrac sur le thème Du journalisme à la littérature. Ce dernier est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont un roman, tous abordés avec une approche journalistique fondée sur la recherche documentaire, la vérification d’informations et la concision, avec l’objectif de vulgariser le sujet abordé.
« Même si, parfois, les personnages sont fictifs, le décor, lui, est réel », affirme celui qui a écrit La Chanson inachevée, sorti il y a un an. Il s’agit d’un récit documenté qui relate « la lente descente en solitude » de l’auteur face à la maladie neurodégénérative de sa femme, Solange. Un récit poignant et intime, mais qui, de l’aveu de l’auteur, « est dépassé » aujourd’hui, parce que « Solange ne chante plus », précise celui qui se considérait comme « un veuf » déjà au moment où il l’écrivait. « Je l’ai écrit un peu comme un veuf qui se rappelait sa femme de manière à la faire revivre », affirme-t-il.
Le public a aussi eu l’occasion de découvrir le coffret collector comprenant toute l’œuvre bouleversante du défunt Vinod Rughoonundun, qui vient de paraître chez son éditrice historique, La Maison des Mécènes, de Brigitte Masson. Un temps a également été dédié à l’art de la parole avec l’intervention du slameur Casimir Stewelderson, et à la poésie, avec celle d’Issa Asgarally, au nom du poète réunionnais Gilbert Aubry, qui n’a pu faire le déplacement, sur le thème Poésie en Créolie… et poétique mascarine.
Le festival a aussi accueilli Anjani Murdan, qui a publié une thèse de doctorat à l’Open University of Mauritius sur le bhojpuri. Elle est intervenue sur le thème Comprendre le bhojpuri. Comme le festival était dédié aux Mascareignes, avec une extension aux autres îles de l’océan Indien, dont les Comores, le public a aussi pu rencontrer le conteur comorien Patrice Ahmed Abdallah et l’écrivain malgache Jean-Luc Raharimana.
Parmi les partenaires présents, le Groupement pour le soutien (GPS) de Trou-d’Eau-Douce, dont la mission est de « travailler ensemble, bénévolement, pour améliorer l’environnement et le bien-être des habitants et impacter positivement le village de Trou-d’Eau-Douce ». Il tenait un stand pour la vente de livres neufs et d’occasion à Rs 25 l’unité. C’était aussi l’occasion pour lui de recruter de nouveaux membres avec « pour objectif de soutenir ses actions et proposer de belles choses pour le village », souligne Barlen Pyamootoo. Il a également remercié Arnaud Dalais, ancien président du CIEL, pour son soutien indéfectible.
Le festival a pris fin en apothéose avec le lancement du livre-album de Patyatann. « Un moment exceptionnel », selon Barlen Pyamootoo. Il annonce déjà la couleur de la prochaine édition : elle sera consacrée à l’image et au visuel.
L’édition 2026 consacrée à l’image
En 2026, le Festival de Trou-d’Eau-Douce fêtera ses cinq ans et sera consacré à l’image, annonce Barlen Pyamootoo. Ainsi, la bande dessinée, les romans graphiques, les livres d’art, les albums photo et les livres illustrés seront à l’honneur.
Sans avancer de noms, Barlen Pyamootoo souligne que des bédéistes, illustrateurs et écrivains réunionnais seront de la partie, « car nous savons que les publications sont de très bonne qualité ». Il ajoute qu’il y aura aussi un invité de France et de Belgique, mais aussi peut-être d’ailleurs.
« Je crois qu’il faut absolument s’ouvrir à d’autres langues : l’anglais, le créole, et pourquoi pas le bhojpuri, s’il y a des BD dans cette langue. Nous avons quelques pistes et nous travaillerons avec les Mauriciens, des écrivains, des artistes, mais aussi des collectionneurs et des personnalités qui parleront des images de leur enfance et de leur adolescence. On pourra aussi proposer une exposition de ces albums », affirme-t-il, en citant entre autres Zembla. « Il y a un gros travail de recherche et de programmation à faire avec toute l’équipe », dit-il.
Barlen Pyamootoo indique qu’elle s’occupera aussi de la communication, avec pour objectif d’attirer encore plus de monde. Mais il précise : « Nous voudrions atteindre les 5 000 spectateurs, mais nous irons doucement d’année en année, avec une centaine de plus à chaque fois. Il y a aussi un travail de fond à faire avec les enfants de Trou-d’Eau-Douce et de toute l’île. »
Invité à commenter l’impact sur l’économie locale, le fondateur du festival affirme : « On connaît le succès du festival quand les gens ne trouvent plus de chambres à louer à Trou-d’Eau-Douce dès début septembre », que ce soit dans les maisons d’hôtes ou les hôtels. Selon lui, le problème qui demeure, et qui demande à être résolu pour la prochaine édition, c’est l’accès à une aire de stationnement.
Les parkings de l’église de la localité ainsi que de l’école primaire ne suffisent plus, note-t-il. Des espaces néanmoins ont été identifiés. « Nous allons travailler dessus », dit-il, en ayant un mot spécial pour la police de Trou-d’Eau-Douce.