Les amoureux de la coopération régionale et de l’indianocéanie ont suivi avec beaucoup de tristesse et d’inquiétude le déroulement de l’insurrection qui a débouché sur le remplacement du président et du gouvernement malgache par des forces militaires dirigées par le colonel Michael Randrianirina, chef de l’unité d’élite de l’armée malgache, CAPSAT. Il est connu pour avoir été un critique virulent du régime Rajoelina. C’est la raison pour laquelle il s’est retrouvé dans une prison de haute sécurité.
Ce qui se passe à Madagascar nous concerne tous pour de multiples raisons, en particulier parce qu’il y a beaucoup de Mauriciens qui se sont installés dans la Grande Île et que beaucoup de Malgaches vivent à Maurice. Il n’est pas étonnant que ce qui se passe là-bas ait pu affecter les Mauriciens.
Ainsi, alors que le monde a les yeux braqués sur ce qui se passe là-bas, ici nous avons les yeux tournés sur l’atterrissage sans autorisation d’un jet privé avec à son bord de hautes personnalités de l’ancien régime malgache et la décision d’Air Mauritius d’annuler un vol sur Madagascar. Dans ce débat, les uns et les autres se trompent de timing. Le plus grave a été l’atterrissage forcé et sans autorisation du jet privé qui est venu mettre en lumière les lacunes concernant la gestion des jets privés. Comme le disait le VPM Paul Bérenger cette semaine, il ne serait étonnant d’apprendre que beaucoup de « couillonnades » se seraient déroulées dans l’île jusqu’à l’arrivée du nouveau gouvernement. Alors que Bérenger déplore qu’il n’ait pas été informé au moment de l’atterrissage du jet privé, force est de constater qu’il aurait dû l’être bien avant, notamment dès que l’aviation civile mauricienne est entrée en contact avec les responsables du jet, soit six ou sept heures auparavant. Ce qui aurait permis de prendre une décision qui nous aurait évité les critiques des manifestants malgaches.
À la lumière de ce qui se passe dans la Grande Île, nous sommes tentés de croire que le Général de Gaulle avait raison de dire en 1958 que « Madagascar est un pays d’avenir et il le restera… ». Alors qu’à Maurice, on veut faire de ce pays le grenier de l’océan Indien, le chemin du retour à la normale est encore long.
Les raisons qui ont entraîné l’insurrection sont désormais connues. Malgré une croissance économique annoncée à 4,2 % en 2024 et une prévision optimiste de 4,6 % pour 2025, les fruits de cette croissance échappent à la majorité des Malgaches. Avec 30,3 millions d’habitants en 2023, Madagascar reste classé parmi les pays à faible développement humain : l’Indice du développement humain pour Madagascar stagne autour de 0,487, plaçant le pays parmi les dix derniers au monde. Ce chiffre masque des disparités internes alarmantes. Dans les régions rurales, les populations vivent dans une extrême précarité, sans infrastructures de base, ni accès régulier à l’eau, à la santé ou à l’éducation.
Plus de 75% de la population vivent sous le seuil de pauvreté. Il existe des lacunes inquiétantes en matière de logement, de soins et d’accès à l’éducation. De plus, l’inflation, estimée entre 7% et 9 % en 2024, continue de ronger le pouvoir d’achat des ménages. Mais au-delà des chiffres, ce sont les maux structurels de la gouvernance qui alimentent la colère populaire.
Madagascar est classé 140ᵉ sur 180 pays par Transparency International, avec un score de 26/100 en matière de lutte contre la corruption. Le système judiciaire est perçu comme inefficace, les services fonciers entachés de pratiques douteuses, et les grandes décisions politiques souvent captées par des intérêts privés ou économiques dont les richesses sont placées dans des pays étrangers dont Maurice. Tout cela a provoqué une montée de tensions. Les jeunes, sans emploi ni perspectives, les paysans victimes de l’insécurité foncière, les travailleurs précaires de la ville sont descendus dans les rues.
Ce que traverse Madagascar n’est pas une simple crise économique. C’est une crise de sens, de confiance et de légitimité. Une nation où la croissance ne profite qu’à quelques-uns, où la loi ne protège pas les plus vulnérables et où l’État semble absent crée fatalement les conditions d’une révolte.
Jean Marc Poché