Notre invité de ce dimanche est Me Kushal Lobine, premier député de la circonscription no. 15 et leader du parti les Nouveaux Démocrates (ND).
O Pourquoi êtes-vous entré au PMSD, alors que vous venez d’une famille travailliste ?
– J’ai été très proche du PTr, dont j’ai été à un moment un nominé politique comme président de corps paraétatiques, mais je suis entré dans la politique active en 2017, à la demande de Xavier-Luc Duval qui avait sollicité mon avis sur le Public Prosecution Bill que le MSM voulait faire adopter et qui était une atteinte à la démocratie. J’ai participé au combat contre ce projet de loi et, de fil en aiguille, je suis entré au PMSD, dont je suis devenu un des députés élus aux élections de 2019.
O De ce même PMSD dont vous alliez, avec d’autres, faire scission en 2024 ?
– Ce n’était pas une scission, mais une décision politique mûrement réfléchie. Le PMSD était en alliance avec le PTr depuis 2019, nous sommes allés ensemble aux élections que nous avons perdues. Ensemble dans l’opposition parlementaire, nous avons fait une alliance avec le MMM pour nous opposer au MSM et ses alliés pour les élections de 2024. Au nom de cette alliance, nous avons sillonné le pays et mobilisé les électeurs, mais au début de 2024 nous avons remarqué une tendance au sein du PMSD qui voulait casser cette alliance pour en contracter une autre avec le MSM ! Une partie de la direction du PMSD, dont Richard Duval, Véronique Leu Govind et moi-même, pas d’accord avec cette option, avons démissionné du PMSD et créé un nouveau parti politique, les Nouveaux Démocrates. Nous avons continué dans l’Alliance du Changement avec le PTr, le MMM et, plus tard, avec Rezistans ek Alternativ.
O Dans quelques semaines, le gouvernement de l’Alliance du Changement fêtera son anniversaire. Quel est votre bilan de cette première année : tout korek ?
– Non. Je regarde l’action gouvernementale de deux manières. Premièrement, il y a encore beaucoup à faire, mais deuxièmement – et c’est important – nous avons réussi à remettre la démocratie sur les rails. Avec un Parlement qui fonctionne, avec une Speaker qui traite les élus du peuple dans l’opposition avec respect, au lieu de multiplier leurs expulsions et suspensions. Nous avons rétabli la liberté d’expression : les Mauriciens n’ont plus peur de s’exprimer, que ce soit sur les radios privées, la presse écrite ou les réseaux sociaux. Nous avons rendu publics des rapports qui dormaient dans des tiroirs, comme ceux sur les dialysés et le Wakashio. Mais il y a des attentes…
O … et des déceptions…
– …aussi, il faut le reconnaître. Nous voulons tous obtenir des résultats et des changements rapides, mais certains prennent, comme dans la vie, du temps pour être mis en place.
O Faisons une petite liste des déceptions : le report de l’âge de la pension ; certaines nominations politiques ; le Law and Order et surtout le fait que contrairement aux promesses et engagements, au lieu de baisser, les prix ne font qu’augmenter. Est-ce que comme Eshan Jummun, vos électeurs vous traitent de « voleur pension » et de « menteur ».
– Je n’ai pas entendu ce genre de choses parce que je suis très direct et très objectif dans mon approche de mes mandants. Quand on utilise le langage de vérité, vos mandants ne vous blâment pas directement, mais ils vous font des reproches sur ce qui a été promis et ce qui n’a pas été fait. Nous sommes dans la situation d’une personne qui, après avoir acheté une maison, découvre que l’intérieur est en plus mauvais état qu’elle ne le pensait et que les travaux de restauration et de réparation dureront beaucoup plus de temps que prévu. C’est après que nous avons découvert dans quel état étaient les institutions, après dix ans de pouvoir du MSM. Exemple : l’affaire du reward money n’est que le résultat du laisser-aller qui a caractérisé la police au cours des dix dernières années.
O Maintenant que vous avez découvert que l’intérieur de la maison est en plus mauvais état que prévu, combien de temps faudra-t-il pour faire les réparations nécessaires ?
– Le temps fait défaut, mais il y a beaucoup de bonnes volontés qui travaillent très dur pour faire activer les choses. En tête, le PM et son adjoint, Paul Bérenger, qui veulent entrer dans l’Histoire comme des patriotes qui ont sauvé le pays. N’oubliez pas que Navin Ramgoolam a dit que 2025 allait être l’année de tous les espoirs…
O …pour le moment, elle est surtout celle de pas mal de déceptions…
– …il y a certainement des déceptions, des choses qui prennent du temps, mais je dois dire que nous avons de bonnes intentions et la volonté nécessaire pour apporter le changement promis et nécessaire à l’avancement du pays.
O Vous avez mentionné le Parlement. Est-ce que le fait de faire partie d’une majorité écrasante ne transforme pas les élus en « députés tap la tab » qui ne font qu’applaudir les mesures et décisions gouvernementales ?
O Comparé aux dix dernières années, il n’y a pas que des « députés tap la tab », la pertinence des questions parlementaires étant là pour le démontrer. Les ministres interrogés, en commençant par le Premier, répondent directement et précisément aux questions, au lieu de se défiler dans des déclarations interminables, comme avant. En ce qui me concerne, je suis très à l’aise dans mon rôle de parlementaire, personne ne m’empêche de m’exprimer sur des sujets d’actualité, comme sur le report de l’âge de la pension, sur les incidents à la prison de Melrose, sur l’arrestation du journaliste Narain Jasoodanand par la police.
O Vous avez cette même liberté d’expression en tant que leader d’un des partis de l’Alliance ?
– Je fais la distinction entre le travail de député de l’Alliance gouvernementale et celui de leader d’un parti politique qui n’a qu’un an d’existence et qui a pour programme Démocratie et Écologie 2030. Nous sommes un jeune parti qui se construit, qui met en place des structures pour fonctionner de manière différente, et voulons nous projeter comme une alternance politique.
O Vous avez déclaré que le modèle économique néo libéral et capitaliste a montré ses limites. Est-ce que la politique économique du gouvernement de l’Alliance en est une de rupture avec ce système ou ne fait que le consolider ?
– Je vais utiliser le terme de politique de transition parce qu’il y a une balance à faire. Le modèle capitaliste est complètement essoufflé, mais nous ne pouvons pas changer de modèle économique du jour au lendemain. Nous devons aller vers la sauvegarde de l’humanité et l’économie doit tourner autour de l’écologie, comme c’est le cas dans les pays scandinaves. Nous avons beaucoup de travail à faire, beaucoup de réflexions à mener dans la société pour construire un nouveau système économique avec l’écologie en avant-plan pour Maurice, île vulnérable et un des plus grands États-océan du monde. L’affaire Wakashio nous a donné une idée des menaces qui pèsent sur nous et nous devons nous protéger. Je le répète : l’économie doit tourner autour de l’écologie et de l’humain.
O On reproche au gouvernement son incapacité manifeste à bien communiquer ses décisions. Ce reproche est justifié ?
– Au niveau de la communication gouvernementale, beaucoup reste à faire. Nous sommes à l’ère de l’information instantanée et nous continuons à communiquer à l’ancienne, avec des conférences de presse, des communiqués des conseillers et des attachés de presse.
O Passons aux nominations politiques. Vous avez déclaré que les postes publics ne doivent pas être des récompenses politiques, mais confiés à ceux qui en sont dignes. Est-ce que vous avez l’impression que c’est le cas de toutes le nominations politiques du gouvernement de l’Alliance du Changement ?
– Nous avons un système de nominations qui n’a pas encore changé parce que l’Appointment committee promis n’a pas encore été constitué. Pour ce faire, il faut procéder à des amendements constitutionnels et créer une Constitutionnal review commission et inviter la société civile à faire des recommandations. Il faut consolider le pouvoir des législateurs, les parlementaires, en diminuant ceux de l’exécutif qui en a trop et fait ce dont il a envie dans le système actuel. En plus des séances de questions aux ministres, il faut constituer des comités de parlementaires qui peuvent demander des explications et des justifications aux ministres dans le cadre d’un exercice démocratique transparent, auquel le public aura accès.
O Vous pensez que les ministres actuels sont en faveur d’un tel exercice démocratique ?
– Nous allons vers cela parce qu’un comité a été mis sur pied pour revoir les Standing Orders du Parlement. Est-ce que, par exemple, le Parlement doit continuer à siéger une fois par semaine ou deux, avec la séance de mardi consacrée aux questions et celle de vendredi aux débats sur les projets de loi ?
O Est-ce que ce genre de sujets fait l’objet de discussions au sein de la majorité et des leaders de l’Alliance ?
– Le comité des parlementaires passe en revue les questions, mais je dois dire que ni le PM ni le DPM ne questionnent les questions posées ou ne demandent qu’une d’entre elles soient retirée.
O … je suppose qu’il y a d’autres instances où l’on demande que les questions gênantes ne soient pas posées !
– En tout cas, cela ne se passe pas comme ça dans les comités auxquels je participe. Au contraire, j’ai vu un PM qui répond à toutes les questions. En l’absence d’une Freedom of Information Act, la seule instance où l’on peut obtenir des informations sur l’exécutif est le Parlement. Donc, répondre aux questions parlementaires est important parce qu’il arrive que quand on n’obtient pas une information, on en crée des fausses. Nous venons d’avoir le jugement Cheney contre le Commissaire de police. Il faut, donc, passer une loi constitutionnelle pour consolider le 4ème pouvoir, celui de la presse…
O …même quand ce 4ème pouvoir critique le gouvernement ?
– Oui. Parce que, comme c’est le cas actuellement, le 4ème pouvoir doit endosser le rôle que ne peut jouer la très faible minorité parlementaire. Je pense que la critique de l’action gouvernementale est non seulement souhaitable, mais indispensable dans une société démocratique où l’éducation apprend à réfléchir et à réagir, où la presse critique et pose des questions et agit comme chien de garde, comme dans les pays scandinaves. Des mesures sont prises dans ce sens et j’espère qu’avec l’argent que le pays obtiendra du Chagos deal, nous pourrons les financer.
O Justement, qu’en est-il de ce fameux deal qui prend du temps à se concrétiser ?
– Il est en bonne voie. Le texte de l’accord a déjà été approuvé par le Parlement britannique et la Chambre des Lords, et va vers l’assentiment du roi. Je suggère que l’argent obtenu soit placé dans un fonds souverain pour des projets spécifiques.
O Parce que l’argent de la location de Diego ne sera pas suffisant pour renflouer l’économie mauricienne, comme on l’a fait croire aux Mauriciens pendant la campagne électorale !
– Vous avez raison. Il faut faire les Mauriciens comprendre que l’argent de la location de Diego ne suffira pas à refaire l’économie du pays. On est en train de parler de Rs 10 milliards, alors que les budgets de l’Éducation, de la Santé ou la Sécurité Sociale dépassent chacun, et de très loin, ce montant.
O Vous avez qualifié le Law Practionners Act de pratique héritée du colonialisme. Que répondez-vous à ceux qui disent que les amendements à cette loi placent le judiciaire sous le contrôle de l’exécutif – donc, du gouvernement – et attaquent son indépendance ?
– Je ne suis pas d’accord avec cette affirmation. Au Parlement, lors de débats, le ministre de la Justice a été très clair : le judiciaire n’avait pas de base légale pour les nominations au sein de la profession, mais une base administrative dérivée du colonialisme. Quand Maurice est devenue République en 1992, on est sorti du Queen’s Counsel pour adopter le Senior Counsel : ce n’était qu’un changement de titres. Dans un régime républicain, il n’est pas possible que les nominations dans la profession légale soient faites par une seule personne. Il faut, donc, un système transparent avec un panel pour proposer des noms après avoir étudié chaque cas. Il faut aussi tenir compte de l’évolution du métier à Maurice car aujourd’hui, tous les avocats ne plaident pas en Cour. Beaucoup travaillent sur d’autres aspects de la profession : secteur financier, arbitrage privé, médiation. Avec cette diversité, tous ceux qui pratiquent le droit doivent se sentir à l’aise et, pour ce faire, il faut sortir de ce vestige du colonialisme qu’était la nomination des Senior Counsels et des Senior Attorneys par une seule personne. Tout comme, pour moi, le fait d’afficher dans tous les bureaux du service civil la photographie du Président de la République est un vestige du colonialisme, qui remplace l’image du souverain. Pour moi, il serait plus républicain de la remplacer par une image de notre quadricolore et notre devise.
O …je ne suis pas sûr que l’actuel Président de la République apprécie cette proposition…
– J’assume mes propos. Je pense que dans une République souveraine et démocratique, il faut honorer notre quadricolore et notre devise nationale. L’affiliation des Mauriciens qui viennent des quatre coins du monde, en particulier les jeunes, est plus pour le mauricianisme et la patrie qu’autre chose.
O Et quid du communalisme encore pratiquée dans le système électoral, ce qui vous a d’ailleurs permis de vous faire élire comme député ?
– Malheureusement, beaucoup de considérations ethniques sont pratiquées dans la désignation des candidats aux élections et celle des ministres, après la victoire. C’est une des raisons qui éloignent les jeunes de la politique. Il faut évoluer, et je suis certain qu’avec une bonne réforme électorale – qui ne soit pas qu’un exercice rhétorique – et avec la majorité absolue dont dispose l’Alliance du Changement au Parlement, il n’y a aucune raison pour que nous n’allions pas aux prochaines élections avec un nouveau système électoral, dans lequel tous les Mauriciens se retrouveront.
O Et quid du best loser system ? Vous êtes pour ou contre ?
– Peut-être que ce système qui a été mis en place dans le temps, pour rassurer toutes les couches de la population, a fait son temps. Dans une île Maurice moderne, nous avons besoin d’un système électoral moderne, qui soit réfléchi, pas fait à la va-vite. Il faut que les Mauriciens soient partie prenante de la révision de la loi électorale, que leur voix soit entendue.
O Abordons maintenant la partie politique de cette interview. Vous avez nié qu’il existait des tensions entre des membres des ND et Richard Duval. Est-il vrai qu’un canal de communication a été ouvert entre le même Richard Duval et le leader du PMSD, Xavier-Luc Duval, ce qui pourrait mener – Maurice étant Maurice où rien n’est impossible en politique – à la grande réconciliation / réunification du PMSD ?
– Je ne suis pas au courant de l’existence d’une ligne de communication entre Xavier-Luc et Richard Duval, mais si elle existait, cela ne me dérangerait pas dans la mesure où, pour moi, la famille reste la famille, malgré des divergences d’opinion. Par ailleurs, les ND est un nouveau parti politique qui n’a rien à faire avec le PMSD. Nous sommes en train de construire un nouveau parti politique national, composé en majorité de jeunes à 90% et de femmes à 40% pour proposer une alternance. Nous ne faisons pas de grands congrès, mais beaucoup de petites réunions car nous visons plus le qualitatif que le quantitatif…
O …au contraire du PMSD…
– … et de beaucoup de partis politiques traditionnels. Nous ne sommes ni une branche ni un descendant du PMSD. Les ND n’ont rien à faire avec le PMSD.
O Comment est-ce que les Nouveaux Démocrates ont pris la nomination comme ambassadeur à Paris de l’ancien campaign manager du leader du PMSD ?
– Pour moi, Joël Rault a de bonnes assisses en France et je crois qu’il fera honneur au pays. Il ne faut pas analyser les nominations d’ambassadeurs sur une base politique, mais sur les compétences des individus. Je suis contre la politique du noubannisme.
O Et pourtant, la politique mauricienne repose essentiellement sur ce « critère » !
– C’est pour cette raison qu’il faut mettre fin à ce système car une majorité de jeunes de ce pays veulent sortir des clivages du noubannisme. Si vous êtes compétent, quel que soit votre bord politique, vous devez pouvoir aider à changer le pays et à le transformer, afin que la jeune génération se sente partie prenante de sa construction, pour qu’elle ne quitte pas le pays pour émigrer. Il faut que les termes compétence et méritocratie deviennent les maîtres-mots de l’ile Maurice moderne.
O Est-ce que cette méritocratie que vous prônez est en augmentation ou en régression depuis que l’Alliance du Changement est arrivée au pouvoir ?
– Je pense que nous sommes en train de bouger dans la bonne direction avec, par exemple, une femme à la tête de la Banque de Maurice grâce à son impressionnant parcours professionnel…
O …ce qui était également le cas de Rama Sithanen…
– …avec cette grosse différence que Rama Sithanen est un politicien. Pour moi, on ne peut pas mettre des politiciens à la tête d’une telle institution, mais des technocrates comme c’est le cas actuellement avec Désiré Vencatachellum à la FSC et Megh Pillay à l’Airport Holdings Limited. Après des protestations sur les premières nominations, celles qui ont suivi sont plus basées sur la méritocratie et la compétence.
O Selon une tradition bien établie de la politique mauricienne, tous les leaders de partis de l’Alliance ont un poste de ministre. Ce n’est pas le cas pour vous, pourquoi ?
– Parce que je suis devenu leader des ND après les élections. Avant, le parti n’avait pas de leader et avait choisi un porte-parole. Richard Duval avait été désigné en raison de sa séniorité parmi nous et assurait la communication au sein de l’Alliance. Richard Duval a été nommé ministre, et moi j’ai refusé un poste de Junior Minister pour céder la place à Véronique Leu Govind, pour me consacrer au développement et à la consolidation des ND.
O Est-ce que le fait que le leader des ND n’est pas ministre n’est pas une illustration d’un autre « critère » de la politique mauricienne selon laquelle certains noms ont beaucoup plus d’importance que d’autres ?
– Je ne vais pas vous dire que cela n’existe pas encore à Maurice. Mais je n’en souffre pas parce que je fais partie, avec fierté, du commun des mortels, et j’ai eu la chance de faire ma carrière professionnelle sur mes mérites, pas sur mon patronyme.
Me Kushal Lobine : « Les Nouveaux Démocrates n’ont rien à faire avec le PMSD »
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