Gouvernance en turbulence chez Air Mauritius

C’est sans surprise qu’on a appris la démission de Kishore Beegoo comme président du conseil d’administration d’Air Mauritius jeudi. Cette démission met en lumière les zones d’ombre qui entourent la gouvernance de la compagnie nationale.

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Depuis sa nomination, ses fonctions exactes et l’étendue de ses pouvoirs n’ont jamais été clairement définies. Une situation confuse qui a fini par le placer au cœur d’une tempête politique et médiatique.

Quand Kishore Beegoo est nommé président du conseil d’administration, en janvier 2025, la compagnie aérienne nationale tente encore de retrouver son équilibre après plusieurs années de difficultés financières et de changements de direction. En l’absence de CEO, un comité de gestion est alors institué sous sa présidence, avec pour mission d’assurer la continuité des opérations. Ce comité devait être provisoire, en attendant l’arrivée du nouveau directeur général, André Viljoen.

Mais cette solution de transition devait prendre une forme inattendue. Le président, censé occuper un rôle avant tout stratégique et non exécutif, s’est retrouvé à intervenir dans la gestion quotidienne de la compagnie. Une double fonction rare et délicate, surtout dans une entreprise publique où les frontières entre supervision et exécution doivent rester nettes

Pendant ce temps, Air Mauritius faisait face à des défis bien concrets : retards de vols, pannes techniques, appareils immobilisés et plaintes croissantes des passagers. Certes, la compagnie renouait avec les bénéfices – un résultat positif de plus de Rs 250 millions sur le premier trimestre 2025-2026 –, mais ces chiffres encourageants n’ont pas suffi à apaiser les critiques sur le terrain.

Le redressement économique d’Air Mauritius demandait stabilité, clarté et unité de commandement. Or, la confusion des rôles au sommet et les tensions entre dirigeants ont donné l’image d’une direction en pleine turbulence. Ce qui devait donner lieu à des critiques publiques de la part du Deputy Prime ministre Paul Bérenger, avec pour conséquence que les relations entre les deux hommes ont fini par se détériorer, ajoutant du combustible à la crise.

Le Deputy Prime Minister, soucieux de la gestion de la compagnie nationale, avait exprimé publiquement des réserves sur certaines décisions. D’aucuns pensent que Kishore Beegoo a dépassé les limites dans sa réplique au VPM. Il n’avait pas hésité à s’en prendre à ce dernier lors d’une réunion de hauts fonctionnaires. Ce qui était considéré comme un manque de respect.

Pour des raisons évidentes, Kishore Beegoo donne l’impression d’avoir été en confrontation avec Paul Bérenger. Il adopte même une posture politique dans le but de monter les ministres et députés travaillistes contre Paul Bérenger. Il omet de dire que le Premier ministre, Navin Ramgoolam, n’était pas heureux de sa performance. À l’occasion d’un événement organisé par La Sentinelle pour marquer le 125e anniversaire de SSR, Navin Ramgoolam s’en était en effet pris à lui publiquement pour lui dire sa déception de n’avoir pas réussi à se rendre en visite officielle en Inde à bord d’un appareil d’Air Mauritius. C’est d’ailleurs le Premier ministre qui a donné une indication qu’il partirait avant la fin de la semaine.

L’arrivée de Megh Pillay à la tête de l’AHL avec des pouvoirs exécutifs a aggravé la situation. Ce qui fait qu’on craignait le pire en haut lieu de la compagnie aérienne. En fin de compte, au lieu d’inspirer confiance, il a semé le doute sur la cohésion de l’équipe dirigeante. Dans un secteur aussi sensible que le transport aérien, ces divisions internes sont toujours mal perçues, surtout par les partenaires internationaux et les passagers.
Désormais, avec l’arrivée d’André Viljoen aux commandes en tant que CEO, la compagnie a l’occasion de repartir sur des bases plus solides. Ce retour à une direction claire est essentiel pour restaurer la confiance, tant au sein de l’entreprise que dans la communauté des voyageurs. Air Mauritius doit désormais se concentrer sur l’essentiel : améliorer l’expérience de ses passagers, consolider ses routes et préserver sa réputation régionale. Les Mauriciens, fiers de leur compagnie nationale, attendent d’elle un cap clair et une gouvernance apaisée.

Kishore Beegoo aura eu le mérite d’accompagner une période de transition. Mais sa démission rappelle une vérité simple : dans le ciel comme dans la gestion, il faut savoir qui pilote. SAJ, pour régler un problème interne au gouvernement, avait dit à l’époque : « Pa kapav ena 2 kapinenn a bor ! »

Jean Marc Poché

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