Le président de la National Human Right Commission (NHRC), Me Satyajit Boolell, Senior Counsel, a lancé un appel aux employeurs des secteurs public et privé pour donner une deuxième chance aux ex-détenus lorsqu’ils retournent dans la société après avoir purgé leur peine de prison. C’était jeudi soir lors du vernissage de l’exposition d’art Donn nou enn deziem sans à l’hôtel Henessy Park, à Ébène. Une initiative soutenue par le Mauritius Prisons Service, l’association Kinouété, la galerie Imaaya, l’hôtel Henessy Park et d’autres partenaires, dont Sofap pour la peinture.
L’exposition réunit les œuvres des détenus des prisons de Beau-Bassin et de Melrose, et met en lumière « le talent, la dignité et la résilience à travers le pouvoir réparateur de l’art ». Dans sa note d’intention à l’occasion de cette manifestation, la NHRC souligne : « persuadée du pouvoir rénovateur et libérateur de l’art, la commission a souhaité donner vie à cette initiative – une première du genre –, illustrant son engagement pour le respect des droits humains et la dignité de chacun, ainsi que sa foi dans la capacité de l’être humain à se reconstruire et à retrouver le droit chemin. »
Dans une déclaration, le président de cette instance explique ce pouvoir de l’art. « D’abord, c’est thérapeutique. Cela leur redonne confiance, les recadre pour une réinsertion constructive dans la société. » Satyajit Boolell ajoute: « il est important qu’ils regagnent la confiance en soi, car à l’intérieur de la prison, ils sont parfois démoralisés et appréhendent l’avenir. La question qu’on se pose, c’est : que se passe-t-il après la prison ? Une fois sortis, ils font face à trop d’obstacles. »
Ainsi, poursuit Satyajit Boolell : « nous demandons à tous les employeurs du public et du privé, à tous les entrepreneurs, de donner une seconde chance à ces personnes, de dire : We support a second chance. » Et si parfois, ajoute-t-il, « vous ne voulez pas éduquer et former ces ex-détenus, alors essayez de sous-contracter ! ». Il prend l’exemple du groupe CIEL, qui fait appel à eux pour la fabrication de marbres ou la confection d’uniformes, ou encore les hôpitaux à qui ils fournissent le pain.
« Ces projets peuvent continuer lorsqu’ils sont à l’extérieur. À la prison, nous avons de bons boulangers, pâtissiers, électriciens, etc. Qu’attendons-nous ? Ces gens-là ont payé leur sentence, et ce fardeau d’anciens prisonniers ne doit pas être une condamnation à vie. Il faut leur donner une nouvelle chance. Au niveau de la commission, nous essayons de sensibiliser à cela ! » Le président de la NHRC est d’avis que « leur donner une seconde chance les rendra plus productifs, loyaux et reconnaissants ».
« Ils ont un cœur. Ils diront merci. » Il prend l’exemple de Richard Branson et de sa compagnie, Virgin, qui en emploient, ou encore la fabuleuse histoire de Lee Wakeham, un ex-détenu britannique ayant ouvert une compagnie fournissant des tartes à Liverpool FC. « Il y a des histoires d’espoir qui nous encouragent. Nous ne pouvons pas les laisser livrés à eux-mêmes lorsqu’ils sortent. Déjà que nous avons de jeunes drogués qui sont perdus. Il faut pourvoir les traiter et faire en sorte qu’ils puissent réinsérer la société. » Il suggère que les entreprises publiques ou privées qui soutiendraient cette démarche pourraient afficher publiquement un badge avec l’inscription « We support second chance program », à l’instar de Virgin, dont la politique officielle affiche le message « We employ ex-convict ».
Satyajit Boolell déplore aussi l’existence du certificat de moralité tel qu’il se présente aujourd’hui, soit « complètement disproportionné ». Dans un langage direct et cru, il affirme qu’il faut l’éradiquer. « Ce document n’est pas rationnel et demeure un obstacle à chaque fois qu’un ex-détenu se présente pour un emploi. Il faut le revoir, parce qu’une personne ne peut pas charrier toute sa vie un délit commis 20 ou 30 ans plus tôt, et pour lequel il a déjà payé sous forme de peine de prison. Il y a aussi des gens malades, des malades sexuels par exemple, mais ce sont des exceptions. Dans l’ensemble, il ne faut pas que le certificat de moralité devienne un obstacle à chaque étape de la vie. » Le vernissage a eu lieu en présence des ministres délégués Rajen Narsinghen et Véronique Leu Govind, de représentants de diverses organisations – dont PILS, Kinouété et la NHRC –, ainsi que les familles des participants. L’exposition, dont les œuvres sont en vente, est visible jusqu’au 6 décembre. Les recettes seront reversées aux participants. L’entrée est libre.
Véronique Leu-Govind :
« On ne choisit pas sa famille; on peut lui donner une 2e chance »
La ministre déléguée aux Arts et à la Culture, Véronique Leu-Govind, a livré un poignant témoignage jeudi à l’occasion du vernissage de l’exposition Donn nou enn deziem sans à l’hôtel Henessy Park. « On ne choisit pas sa famille; on peut choisir de lui donner une deuxième chance. La famille doit être là ! » dit-elle.
« Je tiens à dire bravo aux membres des familles des prisonniers présents aujourd’hui et qui assument le fait qu’un membre de la famille est en prison. Dans le pays, beaucoup de familles ont un de leur proche en prison. Il se peut que ce soit une mère, un père, un enfant. Ils sont exposés aux remarques publiques : “Sa so mari ti enn prizonie ! So papa dan prizon ! So frer an prizon !”. On regarde ces familles avec un autre regard », poursuit-elle.
« Ce n’est pas une remarque en l’air; je parle de ce que j’ai vécu. Dans un passé pas trop lointain, mon frère a été arrêté. À l’époque, je n’étais pas au Parlement, mais j’étais très active en politique, et les élections approchaient à grands pas. Je suis allée voir un politicien pour lui demander conseil, et la première chose qu’il m’a dite, c’est qu’il ne faut pas lui parler. J’ai refusé, car on ne peut pas dénigrer une famille à cause de la politique. Mon frère a fait une erreur, il a purgé sa peine. Mais la famille doit être là. On ne choisit pas sa famille; on peut choisir de lui donner une deuxième chance ! »
Véronique Leu-Govind a également parlé de son appréciation de ceux qui forment les prisonniers. Elle souhaite aussi que les entreprises donnent leur chance aux ex-détenus une fois ceux-ci sortis de prison. « Sur 100 employeurs, peut-être seulement deux accepteront de leur offrir un emploi. Je suis pour l’autonomie des prisonniers. Quand vous regardez ces tableaux, vous les trouvez beaux, mais vous ne voyez pas la personne qui l’a fait. C’est pourquoi il faut leur donner une seconde chance ! » Véronique Leu-Govind a de ce fait invité « les uns et les autres à travailler main dans la main pour aider à la réinsertion des anciens détenus dans la société. »

