Souveraineté et décolonisation : Chagos : chronique d’une désillusion annoncée à la House of Lords

  Après l’abandon de la Committal Motion, mardi dernier, le Diego Garcia Military Base and British Indian Ocean Territory Bill
retourne sur l’Order Paper des Law Lords le mardi 18

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Port-Louis revoit son calendrier avec le report à 2026 du voyage aux Chagos, mais accentue les démarches autour du Chagos Archipelago Marine Protected Area

La question du jour : qui des Chagossiens sont éligibles pour le Resettlement Programme dans des îles désignées de l’archipel

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L’Attorney General, Gavin Glover, à Londres le 14 pour des consultations avec les autorités britanniques

L’étape des débats sur le Diego Garcia Military Base and British Indian Ocean Territory Bill devant la House of Lords s’annonçait délicate pour le gouvernement de sir Keir Starmer, et par extension pour la partie mauricienne. Le rendez-vous du 4 novembre devant cette instance parlementaire est venu donner raison à ceux qui avaient adopté cette posture. Anticipant une défaite arithmétique sur un amendement piloté par les conservateurs britanniques, en la personne de Lord Callanan, Shadow Foreign Minister à la House of Lords, la Baroness Chapman of Darlington, Minister of State for Development, a préféré ne pas compléter les procédures de débats en deuxième lecture en évitant d’enclencher la Committal Motion avec des votes sanctionnant la line-by-line scrutiny du projet de loi. En effet, l’amendement des conservateurs, qui risquait de mettre le feu aux poudres, porte sur la demande pour des consultations, voire la tenue d’un référendum, au sein de la communauté des Chagossiens, non seulement au Royaume-Uni, à Maurice, aux Seychelles et ailleurs dans le monde, sur le Chagos Deal, agréé le 22 mai dernier entre Port-Louis et Londres.

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Avec la Parliamentary Pause dans les procédures sur le front de la House of Lords et une nouvelle date arrêtée, soit le mardi 18 novembre, pour la reprise des débats, à Maurice, des consultations de haut niveau se poursuivent sur deux points fondamentaux. D’abord, les dispositions à être mises en place pour assurer la concrétisation du Chagos Archipelago Marine Protected Area, décrété officiellement par Port-Louis, lundi dernier, soit à la veille des débats. Ensuite, un autre volet du dossier des Chagos, susceptible de faire grincer les dents de plus d’un parmi les Chagossiens. Qui des Chagossiens seront-ils éligibles pour le Resettlement Programme dans des îles désignées des Chagos, dont Salomon et Peros Banhos ?

En parallèle aux pierres d’achoppement au niveau de House of Commons et de la House of Lords sur la route menant au Royal Assent pour le traité anglo-mauricien, les autorités mauriciennes ont dû accommoder des changements au calendrier arrêté initialement. De ce fait, le voyage aux Chagos, qui avait été annoncé pour la fin de cette année, avec une ligne budgétaire de Rs 50 millions, a été reporté à l’année prochaine. Cette annonce a été faite lors de la cérémonie du dépôt de gerbes au Quai C, lundi dernier, en commémoration de l’arrivée des exilés de l’archipel à Maurice.

Le rapport des forces au sein de la House of Lords, soit 208 pour le Labour, 285 pour les Conservateurs, 75 pour les Libéraux-Démocrates parmi les 128 autres de l’opposition, en sus des 180 crossbenchers sur les 205 autres, fait que le gouvernement Starmer n’avait aucune chance de barrer la route à l’amendement Callanan à la Committal Motion pour favoriser la tenue d’un référendum. De ce fait, tactiquement, le Labour a cru plus judicieux de laisser ouverts les débats en deuxième lecture, tout en reportant la Committal Motion. Cette dernière étape a été reprogrammée au 18 à la House of Lords, avec le gouvernement disposant des moyens législatifs susceptibles de forcer le passage parlementaire au Chagos Deal.

Intervenant lors des débats, qui ont duré plus de quatre heures avec presque une trentaine d’intervenants, dont seulement trois Lords des rangs du Labour, la Baroness Darlington of Chapman, Mover des débats en deuxième lecture, a pris le soin de s’étendre sur le report de la Committal Motion.

« Let me share the truth of this matter. The amendment to the Committal Motion favoured by the noble Lord, Lord Callanan, is, in effect, a fatal motion. I will explain why : it makes committal conditional on consultation », fait ressortir la porte-parole de sir Keir Starmer à la Chambre des Lords. Elle maintient aussi que « it is not credible to undertake meaningful consultation in the 30-day period set out in the Motion. It would therefore risk progress towards ratification becoming bogged down in litigation. The Front Bench opposite should know that ; I would be surprised if they do not. »

Dénonçant la tactique politique des Conservareurs, la Baroness Chapman of Darlington ajoute que « the motion would wreck the Bill and mean a delay not of 30 days but of months, maybe years. In these circumstances, the Bill and the treaty that it is intended to implement could not move ahead. » Elle poursuit en avançant que cette démarche des Conservateurs est « both reckless and deeply cynical. »

« It is reckless because it threatens the continued operation of the base on Diego Garcia and, with that, the national security of the British people. It is cynical because the opposition now seek to use, for their own ends, a community they systematically disregarded when in government », affirme-t-elle en revenant à l’année 2016 avec la question de resettlement des Chagossiens à l’agenda. « We all know their record : the decision not to consult Chagossians when meaningful consultation was possible at the start of negotiations ; the decision in 2016 not to permit any resettlement by Chagossians across the archipelago ; and the dramatic failure to spend 96% of the £40 million commitment to support Chagossians », s’insurge-t-elle.

Baroness Chapman of Darlington devait conclure à ce chapitre en énumérant les différentes initiatives envisagées avec l’adoption du traité sur les Chagos. « We are working with Mauritius to start a new programme of visits for Chagossians to the Chagos Archipelago, including Diego Garcia. The treaty we have entered allows Mauritius to develop a programme of resettlement on the islands other than Diego Garcia. This Government are also increasing our support to Chagossians living in the UK through new and existing projects. These are initiatives that actually deliver for Chagossians ; they are not empty promises or hollow words », ajoute-t-elle dans une tentative de convaincre les conservateurs à donner une chance à ce projet de loi.

De son côté, Lord Callanan, Lead Orator dans le camp des conservateurs, est revenu avec la thèse de Capitulation Strategy du gouvernement britannique sur les Chagos, et surtout « £ 35 billion-worth of taxpayers’ money in the hands of politicians thousands of miles away from the UK. » Il souligne que « to call the Bill a surrender Bill is an understatement. This is a strategic capitulation that will see us give away sovereign territory that has been British for two centuries. »

Se présentant en tant que défenseur de la dernière heure des Chagossiens, il trouve que « crucially, the views of the Chagossian people have not been heard. We feel it is only right that the Government should be required to consult the Chagossian community on the implementation of this treaty, including on the establishment of the Chagossian trust fund, which the Minister discussed.  »

Lord Callanan devait tenter récuser les accusations de vouloir mettre en péril le traité sur les Chagos. « It was not a wrecking amendment. That is why I tabled the amendment to the original committal Motion that would have required the government to consult the Chagossian community over a period of 30 days. If the Minister is concerned that 30 days is not long enough, I note that we talked about making it longer, but we did not do so because we wanted the government to have the opportunity to get their Bill through this session », s’est-il évertué d’expliquer.

Lord Bealish, qui a prêté main-forte à sa collègue du Labour, n’a pas manqué de tirer à boulets rouges sur les Conservateurs « using this as a political football on such a vital interest, not just to us but to our allies. » Plus loin lors d son intervention, il a été d’une rare virulence contre la nouvelle position, teintée d’hypocrisie, des Conservateurs sur le dossier des Chagos.

« On the Chagossian people, I think everyone agrees that the way they have been treated over decades has been completely shameful. This agreement makes a movement forward — as my noble friend said, the funding coming forward allows some limited resettlement — but I urge those Chagossians listening not to be fooled by the Conservative Front Bench », prévient Lord Beamisi. Il ajoute que pendant ces derniers 23 ans, « the only person who consistently raised this issue was the member for Islington North, Jeremy Corbyn. I never heard a single member on the Conservative Benches, so it is clearly political opportunism to say now that, somehow, they care about the Chagossian people ; they do not at all. I would be very wary about that being put forward. »

Vers 00h50, mercredi matin, les débats sur le Diego Garcia Military Base and British Indian Ocean Territory Bill ont été ajournés avec un nouveau rendez-vous fixé au 18 pour un épisode de « Ping Pong of a Bill ». Les procédures établies prévoient que « if a Commons Bill is amended in the Lords, it is ‘pinged’ back to the Commons for those changes to be considered. In the Commons MPs can either agree to the changes or reject them and ‘pong’ the bill back to the Lords. » Néanmoins, ces échanges peuvent être limités, car « in practice the Parliamentary timetable may limit this if a Bill is in danger of running out of time and failing. »

À Maurice, suivant avec une attention redoublée cette chronique des désillusions annoncées, les autorités se penchent sur la gestion de dossiers d’importance capitale en marge de la restitution de la souveraineté de Maurice sur les Chagos. Ainsi, la décision de décréter le Zoning Framework du Chagos Archipelago Marine Protected Area (CAMPA) et d’élaborer la roadmap pour le stewardship et le Resettlement Programme a été entérinée.

Le Chagos Archpelago Marine Protected Area couvre une superficie de 645 835 kilomètres carrés, divisée en quatre zones en conformité aux critères de l’International Union for Conservation of Nature (IUCN) « to ensure effective conservation and management. » Toutefois, l’interdiction de toute pêche à grande échelle dans la zone constitue un des points forts.

Aux termes du Chagos Archipelago Marine Protected Proteced Area, les îles de Peros Banhos et de Salomon ont été confirmées pour la mise à exécution du Resettlement Programme en faveur des Chagossiens, avec des activités de pêche artisanale autorisée et sous contrôle.

À ce stade, la préoccupation majeure avec le Chagos Archipelago Marine Protected Area concerne la surveillance effective de cette zone dans cette partie de l’océan Indien, l’objet de toutes les convoitises politiques, diplomatiques et stratégiques. Le fait inéluctable est que Maurice ne pourra jamais à elle seule assurer cette mission de grande envergure dans l’océan Indien.

En marge de cette roadmap s’échelonnant sur cinq ans, avec la mise en place d’un « effective institutional and legal framework for CAMPA as a statutory body under the Prime Minister’s Office, en collaboration avec le Department for Continental Shelf, Maritime Zones Administration and Exploration », l’Hôtel du Gouvernement a initié des discussions à haut niveau avec l’Inde et le Royaume-Uni pour le Maritime and Aerial Policing de ces 645 835 kilomètres carrés de l’océan Indien, avec très probablement les nouvelles infrastructures à Agalega mises à contribution.

En tout cas, avec l’annonce officielle, lundi dernier, des paramètres du Chagos Archipelago Marine Protected Area, les Law Lords ont été privés d’un argument de poids dans leur objection contre le traité anglo-mauricien lors des débats sur Diego Garcia Military Base and British Indian Ocean Territory Bill.

Pourtant l’un des intervenants, Lord Thurlow, n’a pu s’empêcher de travel along this road lors de son intervention. « The present arrangement enables the UK to police the Chagos MPA against illegal fishing activity, but what of future protection ? The Chagos agreement that we are discussing today refers to a separate written instrument that will outline how the management of the MPA and its policing will be managed. Why the simple matter of managing the Chagos MPA cannot be dealt with in the Bill, I fail to understand ? » s’est-il demandé.

Par ailleurs, les consultations se poursuivent au sein du gouvernement à Maurice et également avec les autorités britanniques. Ainsi, l’Attorney General, Gavin Glover, le Mister Chagos de Maurice, se rendra à Londres à la fin de la semaine pour renouer les contacts avec ses interlocuteurs britanniques.

Une réunion du Chagos Special Cell sous le Prime Minster’s Office a été convoquée pour cette semaine avec à l’agenda un item des plus épineux. Port-Louis devra déblayer le terrain pour décider des critères d’éligibilité et de qualification des Chagossiens pour le compte du Resettlement Programme et autres bénéficiaires des £ 40 millions du Trust Fund, montant identifié dans le cadre du Chagos Deal.

À ce stade, très peu de détails ont transpiré des murs du Treasury Building sur le choix des Chagossiens, même si le leader du Groupe des Réfugiés des Chagos, Olivier Bancoult, précise avec légitimité que « le Groupe des Réfugiés des Chagos a mené un combat juridique et politique, de même que sur le terrain, depuis plusieurs années pour le retour de nos îles et pour la compensation. Aujourd’hui, avec la prochaine adoption du Diego Garcia Military Base and British Indian Ocean Territory Bill, cette démarche devient une réalité. »

Dans la conjoncture, Olivier Bancoult ne manquera pas d’associer à cette liste des membres du Chagos Islanders Movement, du UK Native Chagossian Council et du Chagos Refugee Group au Royaume-Uni de même que ceux de la Seychelles Chagossian Community.

Par contre, des Chagossiens faisaient état de leur opposition au retour des Chagos sous la souveraineté de Maurice, dont Mislain Mandarin, enhardis par les développements de la semaine écoulée à la House of Lords, annoncent qu’ils comptent redoubler d’efforts pour faire échec à cet accord mettant fin à un différend territorial entre Port-Louis et Londres remontant à l’Order in Council du 8 novembre 1965 dans le bargain pour l’indépendance de Maurice en conclusion à la conférence constitutionnelle de septembre 1965 à Lancaster House…

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