Un bruit sourd, un claquement métallique, puis le silence.
Sur le quai de Port-Louis, la grande grue du Peros Banhos s’est immobilisée, figée en plein mouvement. En quelques secondes, c’est toute une opération d’approvisionnement de Rodrigues qui s’effondre.
Le Peros Banhos, fidèle gardien du ravitaillement de l’île, devait appareiller ce samedi pour livrer du gaz ménager, du carburant et des aliments pour animaux. Mais le bras mécanique, qui soulève habituellement des tonnes de conteneurs, s’est brisé, laissant suspendus espoirs et marchandises.
« Tout s’est arrêté d’un coup… comme si le cœur du bateau avait cessé de battre », confie un technicien du port. Cette panne électromécanique imprévue a plongé la Mauritius Shipping Corporation (MSCL) dans une course contre-la-montre. Les conteneurs prioritaires ont dû être déchargés à la hâte et transférés sur le Mauritius Trochetia, l’autre pilier de la ligne Maurice–Rodrigues.
Dans la nuit de lundi, à 23 heures, les moteurs du Trochetia ont grondé dans la rade. À bord, point de passagers cette fois, mais une cargaison de secours : bouteilles de gaz, carburants, vivres et produits de première nécessité. Une mission vitale, presque héroïque, pour éviter le chaos à Rodrigues.
Mercredi, en milieu de journée, le navire a accosté à Port-Mathurin. Sur le quai, un soupir de soulagement, des bras qui s’agitent, et le sentiment d’avoir évité de justesse la rupture.
Mais à Rodrigues, la nouvelle de la panne s’était déjà propagée plus vite que le vent. Dès mardi, les stations-service se sont remplies, les files d’attente se sont allongées devant les dépôts de gaz.
Les habitants, marqués par les crises passées, ont réagi instinctivement : Panic Buying, ruées, angoisse.
Pendant ce temps, à Port-Louis, les ingénieurs se pressent autour du Peros Banhos. Un expert étranger a été dépêché pour diagnostiquer la panne. Les regards se croisent, les outils s’entrechoquent. Chaque minute compte.
Car tant que cette grue ne respire pas à nouveau, Rodrigues vit au ralenti. Le Trochetia devra multiplier les rotations, comme un navire-pompier sur une mer d’incertitude.
Cette panne rappelle une vérité brute : Rodrigues vit au rythme de ses bateaux.
Un seul retard, un seul incident, et tout un système s’enraye — du plein d’essence au pain du matin.
Les autorités maritimes le savent : il faut désormais penser plus grand, stocker plus, anticiper plus. Car l’île ne peut plus vivre “sur un fil”.
Et sur les quais, entre les chaînes, le sel et la fatigue, un marin glisse en rangeant ses gants :« Tant que la mer nous sépare, chaque traversée restera une victoire. »

