Franco Quirin : « Le gouvernement doit regagner la confiance de la population »

          « Le peuple n’a pas envie que l’on revienne systématiquement sur ce que le gouvernement précédent a mal fait, ou n’a pas fait, il veut au contraire savoir ce que le gouvernement actuel est en train de faire et ce qu’il compte faire » ·             « Nous ne pouvons pas laisser notre jeunesse dans les mains des marchands de drogues synthétiques ! » ·             « Je ne vois pas beaucoup de parlementaires disposés à suivre Bérenger dans la voie qu’il semble vouloir choisir. Est-ce qu’il aura plus de suivi du côté des régionales, du CC et de l’assemblée des délégués ? L’avenir nous le dira » Précision : réalisée mercredi dernier, l’interview que vous allez lire a été organisée bien avant que la crise politique entre le MMM et le PTr — qui n’en est pas une et aurait été inventé par la presse, selon Ajay Gunness le leader adjoint du MMM — éclate. Dans cette interview, Franco Quirin explique son travail de député indépendant au sein de la minorité et partage son analyse sur l’actualité sociopolitique.

·   O Vous occupez une place à part dans la politique mauricienne : élu sous la bannière de l’Alliance du Changement, vous avez été par la suite… comment le dire, révoqué, expulsé de votre parti le MMM…


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–Je dirai que le terme exact est « mis à l’écart »…
O Et depuis vous siégez au Parlement en indépendant dans l’opposition…
– Non, je préfère dire que je siège dans la minorité parlementaire.


O Maintenant que les corrections sont faites, est-ce qu’aujourd’hui vous vous sentez plus proche du gouvernement que de l’opposition ?

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–En politique on a des adversaires, pas des ennemis. Ce qui fait que j’ai des relations cordiales avec les deux membres de l’opposition officielle et d’autres également avec plus de 99% des membres de la majorité, sauf un, dont je n’ai pas besoin de dire le nom.
O Au départ il avait été question que vous alliez rejoindre les rangs du Part Travailliste…
–C’était une rumeur due sans doute à une mauvaise interprétation de ce qui s’est passé à ce moment-là, mais cela n’a jamais été d’actualité. J’ai suffisamment d’expérience politique pour savoir qu’on ne peut pas faire ce genre de choses.

O Mais n’oubliez pas qu’on dit souvent que dans la politique mauricienne tout est possible, est permis…


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–Pas en ce qui me concerne. Il a fallu donner au colistier du DPM un ministère avec le calcul communaliste qui va avec. N’oubliez pas que j’ai passé de longues années au MMM et que je sais comment il fonctionne. Mais fallait-il le faire aux dépens de ceux qui sont toujours ceux qui subissent. À l’époque des faits, de ce j’ai considéré comme étant une action pas justifiée ou une traîtrise du leadership de mon parti vis-à-vis de ma personne, je voulais siéger en indépendant au sein de l’Alliance du changement. Mais au MMM on a préféré me mettre à l’écart pour me faire disparaître de la scène politique, mais ils n’ont pas réussi, parce qu’on ne peut pas effacer 35 ans de militantisme d’un simple trait de plume.

O Comment fonctionnez-vous en tant que député indépendant au sein de la minorité parlementaire ?


–De la même manière que quand j’étais député de l’opposition. Je n’ai jamais eu une attitude démagogique et j’ai posé des questions sur l’actualité pour défendre les intérêts de la population, et je continue de le faire au mieux de mes compétences.


O Par rapport à votre expérience, est-il plus difficile de faire votre travail de député de l’opposition — ou de la minorité si vous préférez — aujourd’hui qu’hier ?


–Je le redis : je continue de faire mon travail de la même manière. Quand j’ai besoin de poser une question au Premier ministre, aux autres ministres, ou à celui des Sports, je le fais sans problème.
O Est-ce que vous avez déjà questionné le Premier ministre adjoint ?
–Je sais qu’il a quatre super advisers mais pas de ministère. Comment voulez-vous que je pose une question à un Premier ministre adjoint qui n’a pas de ministère ?

O Vous avez été partie prenante de l’Alliance du Changement. Un an après, quel est votre bilan de son action gouvernementale ?

–Il y a eu beaucoup de promesses faites qui ont créé une attente extraordinaire dans la population. Des promesses qui donnaient l’impression qu’on allait diminuer les difficultés. Il y avait sans doute des difficultés économiques, mais malheureusement, la décision de repousser à 65 ans l’âge de l’accès à la pension a braqué la population. Où que vous allez, les gens qui avaient voté l’alliance vous disent que les promesses faites n’ont pas été tenues et ce qui n’était pas au programme a été fait. Et pas uniquement ceux qui vont avoir 60 ans bientôt, mais l’ensemble de la population. Je ne dis pas que le gouvernement n’a rien fait de bien, mais cette histoire de pension l’a rendu terriblement impopulaire.

O Quelles ont été, de votre point de vue, les bonnes décisions prises par le gouvernement au cours de cette première année de son mandat ?

–Premièrement un Attorney General qui est venu avec plusieurs projets de loi, dont le retour de ses pouvoirs au DPP. Et puis ce gouvernement a redonné au pays la liberté et la démocratie qu’avait confisquées le MSM en lui faisant avoir peur de s’exprimer. Et puis il n’y a plus de Loud Speaker au Parlement, remplacée par une dame avec qui je ne suis pas forcément toujours d’accord.


O Pour quelles raisons ?

–Dans certaines circonstances, elle a tendance à protéger certains ministres, dont celui des Sports, quand il doit répondre à des questions. J’ai suffisamment d’expérience de parlementaire pour savoir ce que je peux et ce que je ne dois pas dire au Parlement. Je n’aime pas être interrompu pour rien quand je pose une question, juste pour protéger le ministre interrogé. Mais dans l’ensemble, il y a une bonne ambiance si l’on excepte les dérapages de qui vous savez qui semble s’être calmé. Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi la majorité ressent le besoin de dénigrer systématiquement les deux députés de l’opposition. L’ancien gouvernement a été sanctionné. Le peuple n’a pas envie que l’on revienne systématiquement sur ce que le gouvernement précédent à mal fait, ou n’a pas fait, il veut au contraire savoir ce que le gouvernement actuel est en train de faire et ce qu’il compte faire.

O Et on dirait que c’est ça qui pose problème au gouvernement : faire savoir ce qu’il fait, expliquer son action. Pourquoi est-ce qu’il n’arrive pas à bien communiquer ?


–C’est vrai que, souvent, en tout cas dans l’affaire du report de l’âge de la pension, que l’explication vient bien après la prise de décision. Si ce dossier avait été bien géré, le gouvernement n’aurait pas été aussi impopulaire qu’il l’est actuellement.


O Est-ce que le gouvernement devra, pour retrouver sa popularité, revenir sur le report de l’âge de la pension ?

–Ce serait souhaitable, mais je ne crois pas que le gouvernement va le faire. Beaucoup de personnes qui comptaient sur cette pension à 60 ans pour arrondir leurs fins de mois, bien vivre leur retraite ou aider leurs enfants ont été terriblement déçus. Les grands experts affirment qu’on ne pouvait pas faire autrement, compte tenu des conditions économiques, mais les Mauriciens, surtout ceux qui vont arriver à 60 ans, l’ont ressenti comme une injustice sociale. D’autant que le gouvernement qui avait dit que les caisses étaient vides a payé le quatorzième mois avec certaines restrictions.

O Vous êtes à l’aise dans votre fonction de député indépendant au sein de la minorité ?


–Totalement. Je suis bien dans ma peau, ceux qui voulaient m’éliminer de la scène politique n’ont pas réussi à le faire, je continue à faire mon travail avec sincérité, comme je l’a toujours fait.


O Est-ce que vous pensez que vous auriez été beaucoup plus efficace dans votre rôle d’élu si vous étiez encore dans l’alliance – donc au MMM – et à la tête d’un ministère ?

–Évidemment. Un ministre ne pose pas de questions, il répond à celles que lui posent les députés. Il met en pratique son programme, ses projets, il les fait réaliser. J’avais travaillé le programme jeunesse et sport de l’Alliance, tout avait été préparé. Et comme j’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, l’actuel ministre des Sports n’a qu’à prendre ce programme et le mettre en application.

O Vous avez été, au MMM, le responsable du dossier sports. Quel est le regard que vous posez sur l’action de l’actuel ministre des Sports ?


–Au MMM j’ai été responsable du dossier des sports pendant quinze ans ! En ce qui concerne l’actuel ministre, je suis persuadé qu’il n’a pas choisi les Sports, qu’il aurait préféré un autre ministère, celui des Administrations régionales, par exemple. Il a accepté le ministère des Sports, mais parce qu’il ne l’a choisi et parce que ce n’est pas un dossier qu’il maîtrise, il est en train de commettre des erreurs. Tout d’abord en nommant des activistes politiques dans des postes de responsabilités dans les organismes de jeunesse et de sports. Il a très mal géré le problème du COM et un de ses Seniors Advisers a fait des interventions qu’il n’aurait pas dû, d’autant que le ministère doit avoir une position de neutralité. Il ne relève pas de la responsabilité du ministre ou de ses officiers de faire nommer leurs préférés à la tête des institutions. Ce choix doit se faire démocratiquement lors des élections. Les problèmes de certaines fédérations, judo, handball, par exemple, sont toujours en suspens et je vais bientôt poser des questions sur ces sujets. Heureusement pour le sport mauricien que Kimberley Lecourt est venue — par ses propres moyens — sauver l’honneur du pays ! Il faudrait lui donner le titre d’ambassadrice du sport de l’île Maurice.

O Donc, selon vous, le bilan du ministre des Sports n’est pas bon…


-Du tout.

O Vous le dites avec amertume parce qu’on lui a donné la place que vous deviez occuper ?

–Non. Je fais cet exercice en toute objectivité. On annonce, avec de grandes déclarations, la relance du football à Maurice, mais j’ai des doutes sur la manière dont ce sera fait. Mais je ne vais pas jouer à l’oiseau de mauvais augure et je vais attendre pour voir comment ça se passe.
O Est-ce qu’il n’aurait pas été plus logique, et dans l’intérêt du sport mauricien, que vous utilisiez votre expérience dans ce domaine en allant donner un coup de main au ministre des Sports ?
– Si le ministre a besoin d’un coup de main ou de conseils, il n’a qu’à le demander, il ne l’a pas fait. S’il le demande, j’irai le rencontrer pour lui dire ma manière de penser sur des sujets que je maîtrise. Mais le ministre a des advisers pour le conseiller. J’espère qu’ils lui donnent les conseils qu’il faut, de bons conseils.

O Au début de cette interview, vous avez dit, avec ironie, que le DPM avait quatre super conseillers…


— À mon avis c’est beaucoup trop pour un DPM qui ne gère pas de ministère et des secteurs spécifiques en tant que tels.

O Son entourage laisse entendre que le DPM agit surtout comme le chien de garde du gouvernement, pour veiller à ce que tout se passe bien…

–Un chien de garde c’est peut-être une bonne chose, ça peut être utile avec des limites. Mais tout dépend de la manière dont c’est fait, de l’approche, de la manière de s’adresser aux autres. En tout cas, ce qui est en train de se passer au gouvernement est dû, en grande partie, au chien de garde.


O Parlons de ce qui est « en train de se passer au gouvernement ». Quel est le regard que vous portez par cette cassure, annoncée, démentie et réannoncée quelques jours après ?

–Vous voulez parler de la nouvelle version ce qu’on a appelé dans le passé le « on/off » de l’alliance PTr-MMM ? Bérenger doit savoir qu’il a sa façon de travailler et que Navin Ramgoolam a la sienne. L’un est l’homme pressé, l’autre plus posé, prend son temps — trop disent certains. Ce n’est pas aujourd’hui que le leader du MMM découvre comment fonctionne Navin Ramgoolam ?! Est-ce qu’il y a, dans tout ce qui se passe, autre chose que des dissensions qui peuvent être réglées ? Est-ce que le leader du MMM est en train de préparer le terrain pour une opération qui va mener à la cassure de l’alliance ? Si c’est le cas, ce serait dommage : une majorité de Mauriciens ont voté pour un gouvernement pour cinq ans, pas pour une cassure après un an. Malgré ce que j’ai subi, je ne peux pas souhaiter le malheur du gouvernement, car si je le faisais, ce serait souhaiter le malheur de la population et le pays.

O Selon une grosse rumeur, Paul Bérenger serait prêt à quitter le gouvernement, mais que, pour la première fois dans l’histoire du MMM, c’est tout l’appareil du parti qui ne le suivrait pas…

–Tout l’appareil du parti, il faut savoir de quoi on parle. Jusqu’à l’heure, ce sont des membres du bureau politique et du comité central qui ont réagi, mais le MMM fonctionne avec ses régionales dans les 20 circonscriptions, et au-dessus de tout ça, l’instance suprême c’est l’assemblée des délégués. C’est vrai que des membres du BP ont dit ne pas souhaiter une cassure, ce qui est tout à fait compréhensible et c’est également le cas des ministres, si j’ai bien compris. Sans compter tous les nominés politiques. On me dit qu’on est en train de faire le leader du MMM cool down, mais je sais que quand Bérenger décide de faire quelque chose, il doit avoir une raison, un but, un objectif

O Toujours selon la rumeur, le but de l’opération serait de quitter le gouvernement et de faire de Joanna Bérenger le leader de l’opposition…

–J’entends dire que Bérenger voudrait préparer l’avenir politique de sa fille en la préparant pour les prochaines élections générales en passant par le poste de leader de l’opposition.
O Si cette hypothèse se réalise pour que le MMM accède au poste de leader de l’opposition, il doit avoir quatre députés. Est-ce que vous pourriez être tenté d’aller donner un coup de main au parti où vous avez passé plus de trente ans ?
–Quand il m’a appris que je ne serais pas nommé ministre, Paul Bérenger m’a proposé, comme lot de consolation, le poste de Deputy Whip avec auto et chauffeur. Quand j’ai rejoint les rangs de la minorité parlementaire, Joe Lesjongard et Adrien Duval m’ont proposé le poste de Whip de l’opposition avec auto-chauffeur. J’ai refusé les deux propositions parce que j’ai une dignité, une image que je tiens à conserver et parce que ceux qui m’ont élu savent que je ne fais pas la politique pour avoir des avantages. Ils savent que j’ai des principes et j’ai préféré garder mon indépendance et je me suis mis à l’écart quand j’ai senti que ma dignité était bafoué. Valeur du jour, je n’ai pas l’intention de me joindre à un parti, quel qu’il soit. Depuis plus de 35 ans au MMM, je fais de la politique pour servir, pas pour me servir. J’espérais être récompensé pour mes compétences, mais ça n’a pas été le cas.


O Continuons à faire des hypothèses. Est-ce que si Bérenger est écarté du MMM, vous pourriez réintégrer le parti ? Ou ti pou kapav retourn lakaz mama si finn met papa deor ?


–(Rires)Valeur du jour, mo manz pistas, mo guet sinema. Pour le moment je reste où je suis et je continuer à servir mes mandats et mon pays. Je n’ai pas d’amertume pour ce qu’on m’a fait subir, mais je n’ai pas oublié.

O Vous avez été élu avec deux autres députés du MMM. Est-ce que pour les intérêts de vos mandants vous travaillez ensemble ?

–Avec Rajesh Bhagwan nous sommes, depuis, quelque temps, on speaking termsquand nous nous croisons au Parlement. C’est un pas, sans plus.

O Objectivement, est-ce que la crise actuelle pourrait marquer la fin de la longue carrière politique de Paul Bérenger ?


–En tout cas, il est actuellement en difficulté. Il essaye de pousser dans une direction et devrait, pour réussir, être soutenu par toutes les instances du MMM, mais d’après ce que je comprends, rien n’est fait jusqu’à présent. Avant, lors des précédentes crises, les choses étaient différentes, il y avait d’autres personnes avec une plus grande allégeance à la cause, aux idéaux du parti. Aujourd’hui, c’est plus l’intérêt personnel qui prime sur le collectif, et certains disent que c’est humain. En tout cas, valeur de maintenant, je ne vois pas beaucoup de parlementaires disposés à suivre Bérenger dans la voie qu’il semble vouloir choisir. Est-ce qu’il aura plus de suivi du côté des régionales, du CC et de l’assemblée des délégués ? L’avenir nous le dira.


O J’imagine que vous suivez l’évolution de cette situation politique avec amusement…

–Je la suis avec attention et intérêt, mais pas avec amusement. Dans la vie, il ne faut pas faire du tort à son prochain. Sans me vanter, je dois dire que tout au long de ma vie, je n’ai jamais donné de coups de couteau dans le dos des gens ou trahi l’amitié pour un gain personnel. Si je l’avais fait, je ne serais pas aujourd’hui député indépendant au sein de la minorité, mais occuperais des fonctions importantes.


O Que souhaitez-vous dire pour conclure cette interview ?

–Je voudrais qu’on ne déçoive pas les Mauriciens qui ont fait confiance à l’Alliance du Changement. Je voudrais que le gouvernement se ressaisisse, corrige ses erreurs, mette en pratique ses projets qui ont été massivement plébiscités. Je voudrais dire qu’il faut prendre rapidement des mesures pour lutter contre la prolifération de la drogue sous ses formes nouvelles et qui, il faut le souligner, ne touche pas que les habitants des cités ouvrières, mais l’ensemble du pays. L’agence qui a été créée pour mener le combat ne fonctionne pas comme il le faut, comme le disent toutes les ONG et les travailleurs sociaux. Il faut mettre the right person at the right placedans toutes les structures et prendre des mesures pour protéger la jeunesse mauricienne du fléau de la drogue. Nous ne pouvons pas laisser notre jeunesse dans les mains des marchands de drogues synthétiques !

O Est-ce que la solution du problème serait, comme beaucoup l’affirment, la dépénalisation ?
-

-J’ai été le premier à aborder la question de la dépénalisation du cannabis au Parlement. Je ne suis pas contre la légalisation, mais je crois qu’il faut commencer par la dépénalisation. Il faudrait même envisager la légalisation dans une structure contrôlée qui pourrait devenir un secteur économique pour le pays.


O La dernière question s’impose d’elle : est-ce que l’alliance va aller jusqu’au bout de son mandat ?


Je ne suis pas sûr, mais cela n’empêchera pas le Premier ministre de continuer son travail. Quelle que soit la situation politique, le Premier ministre doit tenir les promesses faites et faire oublier, autant que possible, le report de la pension, et regagner la confiance de la population qu’il a perdue avec ses erreurs.

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