Il aura fallu plus de 30 ans pour qu’un président français foule à nouveau le sol mauricien. Et pourtant, en écoutant Emmanuel Macron et Navin Ramgoolam, une évidence s’impose : les deux pays n’ont jamais vraiment cessé de marcher côte à côte. « Cet intervalle bien trop long ne reflète en rien ni la qualité de notre relation, ni la profondeur de nos liens historiques, humains, économiques, géographiques et linguistiques », a affirmé le président Macron. La visite du chef de l’État français vient seulement remettre en lumière une relation qui, parfois, s’était assoupie, mais jamais rompue.
Navin Ramgoolam, qui a fait une démonstration de ses qualités en matière diplomatique et politique, s’est employé à rappeler ce fil historique, politique et affectif qui relie Maurice à la France : l’héritage institutionnel, la structuration économique, la solidarité dans les grands moments, et, bien sûr, cette francophonie vécue et assumée, que l’archipel porte presque comme un acte de résistance culturelle après la longue période coloniale britannique. La référence appuyée à la presse mauricienne francophone, « 252 ans sans interruption », n’est pas un détail; c’est un « rappel de ce socle civilisationnel partagé ». Malheureusement, cette même presse est confrontée à de sérieuses difficultés économiques et financières aujourd’hui.
Sur le plan politique, le Premier ministre a réussi à montrer au monde l’image d’un gouvernement uni et stable tourné vers l’avenir, malgré les conflits internes propres aux alliances politiques, fut-il en France. Toutefois, derrière la solennité, un point central domine : Ramgoolam veut réinscrire Maurice dans une dynamique internationale plus assumée, plus stratégique. Son tête-à-tête avec Macron a servi à réactiver des dossiers qui s’étaient figés au cours de la dernière décennie : sécurité maritime, lutte contre les trafics, coopération régionale, transition énergétique. Et même Tromelin, sujet sensible s’il en est, a été abordé « avec responsabilité » – une manière diplomatique de dire qu’on sort des crispations pour entrer dans une logique de gestion mature.
Face à lui, Emmanuel Macron s’est présenté non pas en visiteur lointain, mais en partenaire conscient du rôle particulier que Maurice peut jouer dans l’océan Indien. Au Caudan jeudi, il a bénéficié d’un accueil populaire qui a mis à mal le service de sécurité. Ce qui lui a visiblement fait plaisir. Le président français voit en Maurice un allié stratégique dans une région devenue l’un des nouveaux théâtres des rivalités internationales. Sa mise en avant de la sécurité maritime, de l’océan, et des enjeux environnementaux n’est pas une simple convergence écologique; c’est un positionnement géopolitique.
Le volet éducatif et francophone – filière bilingue d’excellence, coopération universitaire, maintien des BTS – dévoile, lui, un autre pan du projet français : consolider l’influence culturelle et intellectuelle de la France dans la région, dans un monde où les outils du Soft Power deviennent déterminants.
Les deux dirigeants, chacun dans son registre, ont ainsi déroulé une vision qui dépasse les échanges commerciaux et les accords techniques. Le partenariat renouvelé Maurice–France apparaît comme une tentative de reconstruction d’un espace de stabilité dans une zone où les lignes bougent vite. Navin Ramgoolam n’a pas manqué d’adresser une flèche en direction de l’ancien gouvernement en affirmant que durant la dernière décennie, très peu a été fait pour consolider les relations franco-mauriciennes. Alors que la France y cherche un allié sûr et que le président Macron s’apprête à participer au sommet du G20 en Afrique du Sud, Maurice est également à la recherche d’un partenaire capable d’offrir appui, expertise et visibilité internationale.
Avec cette visite brève mais intense du chef d’Etat français, il est évident que les relations franco-mauriciennes ne sont pas un héritage du passé, mais une ressource d’avenir. Et si les discours de Ramgoolam et Macron convergent autant, c’est parce que derrière les formules se lit une même intuition : dans un monde fragmenté, les petites nations aussi bien que les grandes puissances n’ont d’autre choix que de se réinventer ensemble.
Jean Marc Poché

