Combat contre la pollution plastique : À Saint-Brandon, la science se mobilise pour protéger un archipel en péril

Cinq tonnes de déchets plastiques ont été enlevées de l’archipel de Saint-Brandon ! Des déchets qui semblent avoir voyagé à travers l’océan Indien pour finalement atterrir sur ces îles inhabitées par l’homme, mais constituant un véritable sanctuaire pour les espèces marines, oiseaux et autres. Lors d’une présentation vendredi, à l’Odysseo Oceanarium, Bernardo Nascimento et son équipe ont ainsi présenté les résultats préliminaires des recherches effectuées sur l’île, tandis que Simon Bernard, président de Plastic Odyssey, a raconté la folle opération de dépollution sur l’archipel.

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Que se passe-t-il quand une équipe de scientifiques passionnés rencontre l’équipage d’un navire-laboratoire itinérant sur une île déserte en plein milieu de l’océan Indien ? Odysseo Foundation et Plastic Odyssey ont la réponse. Le mois dernier, ces deux équipes se sont croisées sur l’archipel de Saint-Brandon pour une opération inédite et intense de dépollution et de recherches scientifiques continues.

Odysseo Foundation, en collaboration avec la Saint-Brandon Conservation Trust, s’est fixé une mission claire, celle d’accroître la connaissance scientifique et d’approfondir la recherche sur cet archipel aussi isolé que vulnérable. Méconnu du grand public, Saint-Brandon fait aujourd’hui l’objet d’une attention renouvelée, notamment grâce à un partenariat inédit avec la National Geographic Society et le MV Plastic Odyssey.

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L’aventure scientifique a véritablement pris son envol lorsque National Geographic a approché l’équipe mauricienne. De cette rencontre est né le National Geographic Society Last Archipelago Project, un programme entièrement dédié à l’exploration et à la protection de l’écosystème unique de Saint-Brandon et qui fera plus tard l’objet d’un documentaire. Ce projet met en lumière la beauté fragile des îles et vise à attirer l’attention sur l’impérieuse nécessité de les préserver. Prashant Mohesh, National Geographic Explorer et storyteller, a partagé son expérience sur le terrain, évoquant un séjour rythmé par les recherches menées avec une équipe de scientifiques aguerris, passionnés du ZSL Institute of Zoology (Zoological Society of London).

Des déchets qui viennent d’ailleurs ?
Les premières études réalisées sur place se sont concentrées sur la pollution plastique, qui a pris une ampleur effrayante sur l’île. Lors de la présentation, David, research assistant, a expliqué avoir été frappé par la quantité de déchets présents sur les plages. Pour comprendre comment ces débris avaient atteint cet archipel éloigné, l’équipe a mis en place une méthodologie précise : huit transects ont été définis sur quatre plages, couvrant au total 730 mètres de littoral. Durant cette période d’observation, pas moins de 5 552 débris plastiques ont été collectés : savates, plastiques durs, bouteilles et un nombre impressionnant de bouchons.

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Bien que préliminaires, les résultats penchent vers une hypothèse évidente : ces déchets ne proviennent pas de Saint-Brandon, mais d’ailleurs. Pour confirmer cette intuition, les chercheurs se sont intéressés aux courants marins de la région. Ils ont ainsi mis en place huit « satellite bottles », relâchés en mer, deux par site d’étude. Les premières données indiquent que ces bouteilles dérivent vers l’ouest, mais il faudra attendre la suite de leur voyage pour en tirer des conclusions solides, précisent les chercheurs.
Un autre aspect fondamental de leurs travaux concerne les tortues de mer. David a rappelé que le sexe des tortues dépend de la température du sable. Un sable chaud produit davantage de femelles, un sable froid davantage de mâles. Or, la présence de microplastiques peut réchauffer le sable et perturber cet équilibre naturel. Les scientifiques ont donc prélevé des échantillons pour évaluer la quantité de microplastiques présents et anticiper d’éventuels déséquilibres dans le ratio mâle-femelle de la population de tortues.

Des colonies d’oiseaux à étudier
Les recherches ne s’arrêtent pas là. Des études sont également en cours sur les coraux, parmi les plus rares au monde, ainsi que sur les colonies d’oiseaux, parmi les plus importantes de la région. Surveyset échantillonnages se succèdent, d’autant que Saint Brandon demeure l’un des sites les moins étudiés de l’océan Indien, malgré son importance écologique majeure. Pour les chercheurs, cette expédition représente une occasion unique d’enrichir les connaissances, mais aussi de mieux protéger une île très prisée des pêcheurs

internationaux et aujourd’hui menacée par les « invasions plastiques. »
La seconde partie de la présentation a donné la parole à l’équipage du Plastic Odyssey, qui a rejoint Saint Brandon lors de son escale dans l’océan Indien en début du mois. Le navire-laboratoire franco-africain sillonne les mers depuis trois ans pour expérimenter des modes de vie sans plastique et lutter contre la pollution à terre. À Saint-Brandon, l’équipage a rencontré les scientifiques de l’Odysseo Foundation et de la Saint-Brandon Conservation Trust.

Simon Bernard, cofondateur du projet, décrit cette rencontre comme une « formidable collaboration. » Il s’agissait alors de leur 45ᵉ escale. Face à l’ampleur des déchets observés, ils ont lancé une opération de dépollution inédite. Huit membres de l’équipage ont été dépêchés sur l’île pour nettoyer, à mains nues, des zones entièrement envahies de plastique. « Nous nous sommes rendu compte de la biodiversité impactée par cette pollution qui se dégrade, et c’est ça le plus inquiétant », souligne Simon Bernard. Alors qu’il pensait initialement réaliser l’opération en cinq jours, le chantier a finalement duré bien plus longtemps tant le travail était colossal.

Opération dépollution de plusieurs jours
Pour optimiser leurs efforts, l’équipe a cartographié l’île, longue de cinq kilomètres, et l’a divisée en tronçons. Il explique ainsi que l’urgence était de collecter les déchets avant qu’ils ne se fragmentent davantage en microplastiques. Si le MV Plastic Odyssey n’était pas spécialement équipé pour une mission de cette ampleur, ses membres ne regrettent rien. Ils réfléchissent déjà à concevoir de nouveaux outils pour de futures opérations similaires.
Par ailleurs, grâce à leurs pontons flottants, ils pouvaient transporter jusqu’à une tonne de déchets par jour vers le navire-laboratoire. À bord, les déchets étaient traités dans un atelier de recyclage où ils étaient nettoyés, triés et transformés en mobilier. Parmi les créations phares, il y a un fauteuil présidentiel aux couleurs du drapeau mauricien, entièrement conçu à partir de plastique recyclé pour la visite d’Emmanuel Macron (voir encadré).

Chercheurs, navigateurs, pêcheurs et politiques, tous aujourd’hui s’accordent le fait qu’il est indispensable de multiplier les études et les initiatives pour mieux comprendre ce phénomène de migration des déchets vers Saint Brandon. À long terme, l’objectif est de développer des modèles économiques durables pour protéger les populations les plus vulnérables face à la pollution plastique et aux microplastiques. Entre science, exploration et innovation, Saint Brandon devient ainsi le laboratoire d’un combat mondial indispensable.
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Saint-Brandon, joyau méconnu de la République
Saint-Brandon, également connu sous le nom de Cargados Carajos Shoals, est un archipel de l’océan Indien situé sur le plateau des Mascareignes, à environ 430 km au nord-nord-est de Maurice. Il est composé de bancs de sable, de hauts-fonds et d’îlots. Situées dans l’océan Indien, les 13 bases de pêche de Saint-Brandon sont placées sous la responsabilité de Raphaël Fishing.

À travers le Saint-Brandon Conservation Trust, l’équipe de Raphaël Fishing collabore avec la Mauritius Wildlife Foundation, l’Odysseo Foundation, le ZSL Institute of Zoology (Zoological Society of London), des explorateurs de National Geographic, ainsi qu’avec d’autres ONG nationales et internationales, des scientifiques et des spécialistes de la conservation. Ensemble, ils œuvrent pour protéger les espèces et préserver la complexité des écosystèmes de l’ensemble des îles de l’atoll, au bénéfice des générations futures.
Raphaël Fishing se conforme à la Native Terrestrial Biodiversity and National Parks Act 2015,la principale législation mauricienne dédiée à la conservation et à la gestion de la biodiversité terrestre et des parcs nationaux. Selon le site officiel de l’île, leurs actions de conservation sont financées de manière durable grâce à la pratique responsable du catch-and-releaseet de la pêche à la ligne pour les visiteurs des îles.
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Bertrand Boulle (Saint-Brandon Conservation Trust) : « Travailler dans la synergie pour protéger l’archipel »
Bertrand Boulle, du Saint-Brandon Conservation Trust, présent à l’événement, nous raconte la genèse de son engagement pour l’archipel. « I came back to Mauritius more than 10 years ago », raconte-t-il. Tout a réellement commencé lors d’une expédition en voilier à Saint-Brandon, dit-il.

Face à la beauté sauvage de l’archipel, il nous confie être tout de suite tombé amoureux. Lorsque survient la période de confinement, il décide alors de rédiger un document de 70 pages consacré à Saint-Brandon. « J’ai écrit un disaster risk management paper », dit-il. Son réflexe est alors de protéger ces îlots. Ses recherches approfondies l’amènent finalement à mettre la main sur une version originale d’un rapport de la Banque mondiale datant de la fin des années 1990. Puis, par hasard, tout s’accélère. « Je suis allé dans un restaurant à Tamarin, et j’ai rencontré une biologiste marine. Et c’est comme cela que tout cela a commencé et que tout s’est vite enchaîné. »

« Il y avait un plan et personne n’avait rien fait, et on a sauté sur l’occasion. » Homme d’affaires, il se dit prêt à contribuer. « Je suis un businessman, et pour moi, il est important de redonner aux autres », dit-il. Aujourd’hui, il se dit optimiste et confie que « je suis ravi que les choses avancent dans le bon sens et j’ai appris aussi qu’il faut pouvoir travailler avec le gouvernement, il faut travailler ensemble, en synergie, car nous avons finalement tous à cœur la protection et la préservation de l’archipel de Saint-Brandon. »
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Emmanuel Macron sur le Plastic Odyssey jeudi
Marine Reveilhac, reporter : « C’est une reconnaissance pour nous »
Pour Marine Reveilhac, reporter à bord du MV Plastic Odyssey, la visite présidentielle, jeudi, s’est déroulée dans des conditions idéales. Elle a rejoint le navire il y a un et a également participé à l’exercice de dépollution sur Saint-Brandon. « Ça s’est très bien passé », résume-t-elle. L’équipage a en effet eu « la chance de l’avoir une demi-heure à bord du navire », un moment précieux au vu du programme chargé du chef d’État français.
Selon elle, le président s’est montré « curieux et intéressé face à l’ampleur de notre projet. » Il a pris le temps d’examiner les installations et « de poser plein de questions. »

Marine souligne qu’il a été « sensible au fait qu’on faisait un travail concret sur le terrain », notamment à travers les actions de sensibilisation menées « auprès des enfants de par le monde. » Plus encore, il s’est montré « touché par la cause plastique », mais également par les initiatives liées au recyclage et à la démarche scientifique portée par l’équipe.
« Il est important pour nous de travailler avec la science pour évaluer le bien que peuvent faire les clean-upspour l’écosystème », rappelle-t-elle. Cette approche est en effet au cœur du projet ExPLOI (Expédition Plastique Océan Indien) menée avec la Commission de l’océan Indien (COI), l’Agence Française de Développement (AFD) et le Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM).

La reporter rappelle également que le président « devait venir au mois de mai » et que l’équipe est « ravie qu’il vienne nous rendre visite ». « Une reconnaissance pour nous », insiste-t-elle. À bord, l’équipage est jeune et dynamique. « Le plus jeune, Yan, a 24 ans et il a embarqué la veille de la visite du président de la République. C’était marrant pour lui de voir toute cette émulsion autour du projet », raconte Marine Reveilhac.

Au quotidien, l’objectif est de vivre et travailler de manière exemplaire. « On essaie de développer une vie à bord sans plastique. » Pour cela, le navire est équipé « d’un laboratoire zéro déchet qui nous permet de réduire au maximum notre consommation de plastique », nous dit-elle. Après une semaine des plus mouvementée, le Plastic Odysseyquitte la marina du Caudan demain, pour mettre le cap sup l’Afrique du Sud, « avec 15 jours de navigation dans les mers du Sud », annonce Marine Reveilhac.

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