Hôtels et maisons sur le littoral face à de grands dangers dans les prochaines années
Pr Nathalie Bernardie-Tahir : « Il y a une sous-évaluation des risques à Maurice… Il faudra s’affranchir de la pression de certains acteurs, il y a fort à faire… »
Plusieurs zones touristiques menacées
Maurice et Rodrigues font face à une accélération sans précédent des risques liés à la montée du niveau de la mer, à l’érosion côtière et aux phénomènes de submersion. Ces menaces, désormais tangibles et mesurées, engagent directement l’avenir démographique, touristique et économique du pays. Environ 20 % de la population mauricienne vit aujourd’hui dans les zones littorales, où se concentrent aussi certaines infrastructures critiques pour l’économie – aéroport, port, hôtels, entre autres – déjà exposées et appelées à le devenir davantage. Le tourisme, dont l’objectif affiché de 2 millions de visiteurs en 2030, implique de nouvelles extensions portuaire, aéroportuaire et hôtelières, et cela accentuera encore la vulnérabilité des côtes si rien n’est anticipé.
C’est dans ce contexte d’urgence climatique que le Centre d’Études du Développement Territorial Indo-océanique (CEDTI) a tenu la deuxième édition de son colloque international « Habiter aux bords : Transitions littorales dans l’océan Indien ». Ce rendez-vous a réuni chercheurs, urbanistes, institutions, entreprises et communautés afin de repenser l’avenir des territoires particulièrement exposés. L’événement a été marqué mardi dernier par la conférence inaugurale de la géographe Nathalie Bernardie-Tahir, qui a présenté les résultats du vaste programme scientifique Mauriscot, consacré à l’évaluation des risques côtiers à Maurice et Rodrigues.
Le programme Mauriscot a été commandité par le gouvernement mauricien et financé par l’AFD. La chercheuse explique que l’équipe a commencé ses travaux en 2022 avec « trois objectifs : fournir des éléments d’évaluation des risques côtiers, proposer des recommandations et des pistes d’adaptation ». Pendant trois ans, de nombreux spécialistes ont travaillé sur l’ensemble du littoral des deux îles, tout en identifiant plusieurs hotspots, notamment Flic-en-Flac, Anse La Raie et Port-Mathurin, trois zones particulièrement exposées.
Le diagnostic dressé est sévère. Selon l’étude, Maurice et Rodrigues se situent dans une zone du globe où l’élévation du niveau marin est plus rapide que la moyenne mondiale, – 9 mm par an pour Maurice, un rythme qui devrait encore s’accélérer dans les prochaines décennies. Les projections établies jusqu’en 2050 anticipent une montée des eaux comprise entre 24 cm et 40 cm, tandis que le scénario le plus pessimiste évoque jusqu’à 1 mètre 84 à l’horizon 2100. Le rapport avertit que « the rise in sea level will be significant for both islands, especially after 2050. Our results show that Rodrigues could be affected by a land subsidence of -2mm/year, which would result in an increase rate of relative sea level rise for the island. »
Les phénomènes d’érosion côtière, qui s’amplifient déjà aujourd’hui, deviendront massifs entre 2050 et 2100. Le retrait du trait de côte pourrait atteindre, selon les secteurs, 5 à 50 mètres d’ici 2050. Les chercheurs ont identifié 61 « vulneral coastal segments » où le recul sera compris entre 30 et 50 mètres. À Maurice, les zones touristiques de Trou-aux-Biches, Grand-Baie, Cap-Malheureux, Grand-Gaube et celles de la côte Est – Belle-Mare, Trou-d’Eau Douce – sont considérées comme parmi les plus menacées. Dans le Sud et l’Ouest, Rivière-des-Galets, Le-Morne, Grande-Rivière-Noire et Tamarin apparaissent également extrêmement vulnérables. Les régions urbaines, dont Port-Louis et Mahébourg, « will be severely affected », note le rapport, qui insiste sur la gravité de la situation.
La submersion représente une autre menace majeure. Aujourd’hui, près de 15 000 bâtiments sont déjà touchés dans diverses proportions. Les projections montrent que l’intensité et la fréquence des épisodes de submersion augmenteront dans les années qui viennent. D’après le rapport, « the number of buildings on the coastal zone of Mauritius partially or totally affected by coastal retreat and sea-level rise in 2050 is more than 4 000 constructions in the safety scenario, half of which is residential, the remainder being hotel buildings ». L’étude précise que la situation deviendra critique en 2100, avec un total estimé à 19 000 bâtiments en péril sur le littoral, dont les hôtels et maisons. Par ailleurs, l’analyse de la Coastal Flooding souligne que son impact « is already high today » avec plus de 13 000 bâtiments « variously affected », un nombre qui devrait doubler d’ici la fin du siècle.
Grand-Baie illustre l’ampleur des transformations à venir : dès 2050, la quasi-totalité des infrastructures hôtelières y sera exposée à la submersion, et en 2100 « aucun hôtel ne sera épargné ». Rodrigues, déjà soumise à un phénomène de submersion préoccupant, pourrait connaître une aggravation rapide de sa vulnérabilité.
Pour Nathalie Bernardie-Tahir, la situation impose un changement profond, d’autant qu’« à Maurice, il y a une sous-évaluation des risques ». Elle avertit que les stratégies actuelles, centrées sur une intensification du modèle de développement existant, risquent d’amplifier la vulnérabilité du pays dans les prochaines décennies. Les solutions proposées par Mauriscot insistent au contraire sur la nécessité d’une adaptation rapide, fondée sur des choix institutionnels, réglementaires et territoriaux. Parmi les mesures recommandées figure l’extension à 100 mètres de la zone d’interdiction de construire, aujourd’hui limitée à 30 mètres. L’étude encourage aussi la relocalisation progressive de certaines infrastructures côtières en se retirant des zones les plus menacées, une approche d’« adaptation » qui, selon la chercheuse, nécessitera du courage politique : « Il faudra s’affranchir de la pression de certains acteurs, il y a fort à faire… »
Le rapport appelle ainsi à une transformation en profondeur de la manière d’habiter, d’aménager et de protéger le littoral mauricien et rodriguais, afin d’éviter que les prochaines décennies ne se traduisent par une perte massive d’infrastructures, de logements et d’activités économiques stratégiques.

